Didier Engels, CEO de la société "Engels Ramen en Deuren", a fait appel à Paolo Jacobsen pour rénover la maison de ses grands-parents à Eksaarde. La nature y occupe le premier rôle.
On ne juge pas un livre à sa couverture, mais Didier Engels, DJ et CEO de la société "Engels Ramen en Deuren", l’a fait. Et les conséquences ont été inattendues. Il y a environ sept ans, alors qu’il feuilletait le livre "Wood Architecture Now" (Taschen), la maison d’architecte en couverture a attiré son attention. "Cet architecte serait idéal pour notre nouvelle maison", s’est-il dit. "D’autant plus que nous voulions rénover l’ancienne maison de mon grand-père, qui était charpentier."
La maison en couverture était une réalisation de la célèbre agence brésilienne Jacobsen Arquitetura. "Cela compliquait les choses, mais j’ai pris mon courage à deux mains et je leur ai envoyé un mail pour leur demander s’ils seraient intéressés par un projet en Belgique, en joignant des photos de l’environnement. Ce n’était pas gagné, mais en moins de 24 heures, ils m’avaient déjà répondu: l’équipe de Jacobsen voulait s’assurer du sérieux de notre intérêt et voir si nous comprenions leur vision." C’était le cas.
Peu après, Didier Engels et son épouse Tiany Kiriloff (influenceuse et ancienne présentatrice) ont une première rencontre avec Paulo et Bernardo Jacobsen, père et fils. "Le courant est passé immédiatement. Ils sont très pragmatiques, comme nous. Notre histoire familiale et notre projet les ont touchés: nous souhaitions une maison qui se fonderait le plus discrètement possible dans la nature environnante. Ce n’était pas l’architecture, mais la nature, qui devait être mise en avant. La maison devait être une ode à la nature et à nos valeurs familiales: élégance, durabilité et humilité."
Modernisme tropical
Le choix d’un architecte exotique pour concevoir leur maison privée à Eksaarde n’était pas une question de snobisme, même si un nom étranger apporte une singularité au projet. Résultat: une architecture résidentielle d’un genre inédit en Belgique.
Depuis l’arrivée de Bernardo Jacobsen, l’agence Jacobsen Arquitetura travaille de plus en plus à l'international - Dubaï, Japon ou États-Unis. La Belgique, cependant, est une première. "En tant qu’architecte, Paulo Jacobsen est reconnu depuis près de 50 ans pour son modernisme tropical", explique Engels. "Mais une maison dans un climat tropical implique une relation intérieur-extérieur totalement différente de celle d’une habitation dans un climat tempéré. Heureusement, ils n’avaient pas l’intention de copier-coller une pousada brésilienne!", s’exclame Engels en riant.
"Chacun de leurs projets est ancré dans son environnement et cela a également été le cas ici. Depuis chaque pièce, à l’exception du home cinéma, il y a une connexion directe avec la nature – le bois environnant, le jardin conçu par le paysagiste Wirtz, l’étang aménagé par mon grand-père. Pour une intégration harmonieuse, Jacobsen a opté pour de la pierre naturelle des Ardennes. Les pierres de parement brutes, assemblées comme un puzzle, révèlent des lignes de rupture continues, les joints restant invisibles. Un travail particulièrement ardu: l’entrepreneur ne pouvait poser qu’un mètre carré par jour."
"Je voulais un nid, pas une vitrine."
Cette année, quand il a célébré ses 70 ans, Paulo Jacobsen a déclaré que la maison d’Eksaarde était "l’un de ses projets préférés". "Je dois avouer que j’ai été flatté, mais aussi surpris", confie le Belge. "Honnêtement, cette maison est l’une des plus modestes de son portfolio. En tant que jeune couple, nous ne disposions pas du budget de l’ordre de ceux habituellement alloués à ses réalisations. Avec les grands architectes, l’argent est parfois un sujet tabou, mais nous avions un budget défini, qu’ils ont scrupuleusement respecté. Notre projet a été une constante recherche d’équilibre entre fonctionnalité, esthétique et coût."
La conception de la maison n’a pas été une tâche aisée pour l’agence, en raison des nombreuses contraintes, pas seulement d’ordre budgétaire. "Nous devions partir de la maison de mon grand-père. Dans les années 1960, il a construit ici une maison avec un toit de chaume, qui a brûlé dans les années 1980 à la suite d’un feu de cheminée. En moins de six mois, il avait reconstruit une nouvelle maison exactement au même endroit. Celle-ci se trouve dans une zone naturelle protégée, ce qui impose des règles de construction très strictes. De plus, nous étions tenus de conserver 60% des murs extérieurs. La maison actuelle respecte donc les contours de celle de mon grand-père, mais notre façon de vivre et d’interagir avec le paysage est totalement différente."
Sur mesure
Pour ce type de projet, les architectes de la stature de Jacobsen exigent souvent carte blanche et veulent tout contrôler, jusqu’au choix des meubles. Mais, cette fois encore, l’agence a fait une exception.
"L’architecte a conçu tout le mobilier sur mesure, mais Tiany et moi avons choisi les meubles indépendants", explique Engels. "Nous pensons qu’un intérieur doit évoluer avec le temps. Nous ne voulions pas vivre dans une vitrine, mais créer un nid, un endroit où nous nous sentirions vraiment chez nous en tant que famille. Et nous avons réussi."
"Comme nous passons souvent les week-ends à la mer, la vie sociale de nos trois filles se déroule principalement là-bas. Mais, depuis que nous vivons ici, elles nous demandent chaque vendredi soir si nous pouvons rester à la maison. Elles s’y sentent tellement bien!"
Maison intemporelle
Fait notable: Didier Engels et Tiany Kiriloff n’avaient vu aucune des réalisations de Jacobsen Arquitetura avant de décider de travailler avec lui. La couverture de l'ouvrage aux éditions Taschen et leur premier entretien ont suffi à les convaincre. "Cependant, Bram Maes, notre coordinateur de chantier, a eu l’occasion de visiter une habitation privée contemporaine de Jacobsen lors d’un voyage au Brésil", raconte Engels. "Dès qu’il est arrivé sur place, il nous a appelés pour partager son enthousiasme et nous dire à quel point l’expérience était extraordinaire. Ce qui nous a également rassurés, c’est que les maisons conçues par Jacobsen dans les années 1970 et 1980 demeurent intemporelles."
Le modernisme tropical s’est très bien adapté à la Belgique.
Malgré la grande confiance accordée et l’équipe locale constituée (avec Guy Mouton pour l’ingénierie, Bram Maes pour la supervision du chantier et Henk Pypaert pour les installations techniques), Engels n’a pas pu s’empêcher d’examiner minutieusement les plans de conception.
"J’ai parcouru la maison dans ma tête au moins une centaine de fois. J’ai essayé d’anticiper tous les scénarios possibles. Comment vais-je entrer avec ma voiture? Où les filles laisseront-elles traîner leurs chaussures? La machine à laver est-elle placée à un endroit pratique? Comment les courses arriveront-elles efficacement jusqu’à la cuisine? Où allons-nous recevoir nos amis? L’acoustique est-elle bonne à cet endroit? Y a-t-il un réfrigérateur pour les boissons dans la salle à manger, séparée sur la mezzanine? Et comment monter là-haut avec un plateau bien chargé? De manière presque obsessionnelle, j’ai analysé chaque détail pour m’assurer qu’il n’y avait aucune faille dans les plans."
Pour un CEO habitué à déléguer, ce genre de micro gestion (se perdre dans les moindres détails) peut sembler pour le moins étonnant. "Je ne qualifierais pas cela d’ingérence, et je ne suis pas non plus un maniaque du contrôle. Cependant, notre famille a une manière de vivre bien spécifique et Jacobsen ne pouvait pas deviner toutes ces petites nuances: il fallait bien que quelqu’un les lui signale", explique Engels. "Ce n’est qu’en maintenant un dialogue constant entre le maître d’ouvrage et l’architecte qu’on peut parvenir à une maison véritablement sur mesure. Je connais tellement de personnes qui n’osent pas interpeller leur célèbre architecte. Pourtant, même ces grands noms doivent parfois être rappelés à l’ordre."
Baies vitrées
La maison a été livrée il y a deux ans, mais Engels et Kiriloff habitent sur ce terrain depuis 2007, dans les anciennes écuries situées de l’autre côté de l’étang. "Une fois les feuilles tombées, on peut même apercevoir notre ancienne maison à travers les arbres", explique Engels en ouvrant les immenses baies vitrées. Les rayons d’un doux soleil automnal baignent l’intérieur. La terrasse est luisante suite à une averse, tandis que les arbres autour de l’étang forment une muraille de feuillage aux automnales teintes d’orange et de jaune. "Dans l’architecture de Jacobsen, l’extérieur et l’intérieur se confondent, c’est pourquoi les baies vitrées peuvent s’ouvrir complètement des deux côtés, ce qui nous permet de prolonger la cuisine ou le séjour sur la terrasse, selon l’heure de la journée", explique-t-il.
Autre élément typique de l’architecture de Jacobsen est la présence d’auvents très fins qui créent une transition fluide entre intérieur et extérieur. "D’un point de vue technique, ces auvents ont été un défi pour le bureau d’ingénierie Mouton, non seulement en raison de leur finesse, mais aussi de leur portée impressionnante -12 mètres! L’architecte ne voulait pas de pilier de soutien supplémentaire au salon", ajoute Engels.
Didier Engels nous emmène au cœur de sa maison. Pas dans la cuisine ni dans la salle à manger, où il aime jouer de la musique avec ses amis, mais dans la cage d’escalier, sous un puits de lumière qui laisse pénétrer le soleil jusqu’au sous-sol. "On n’a jamais assez de lumière dans une maison. Jacobsen le répète toujours: dans la nature, la lumière est source de vie et c’est tout aussi vrai pour l’architecture", affirme-t-il avec conviction. "C’est ce que j’appelle la première ‘Règle d’Engels’. J’ai établi cinq règles pour objectiver la beauté. Règle numéro deux: privilégiez toujours l’authenticité. Ne trichez pas avec des matériaux factices ou de moindres qualités, comme le PVC. La règle numéro trois vient de nous: concevez une maison à échelle humaine, surtout si vous souhaitez vous y sentir douillettement protégé. La règle numéro quatre est empruntée à Jacobsen: concevez une maison comme un écosystème, où l’environnement, les personnes et l’architecture coexistent harmonieusement. Enfin, la règle numéro cinq: n’hésitez pas à juger les livres Taschen à leur couverture!"