Ici, la vie s’articule dans et autour d’un jardin en partie immergé. Dans ce projet signé du bureau d’architecture Compagnie-O, intérieur et extérieur ne font qu’un.
Le bureau d’architecture Compagnie-O ne conçoit pratiquement jamais d’habitations privées. "Quand nous acceptons ce type de commande, nous devons pouvoir réaliser quelque chose de vraiment spécial", explique l’architecte et cofondateur Francis Catteeuw. Mission accomplie avec cette demeure en forme de S à Destelbergen, qui serpente à travers un marais.
Quelle est l’expérience des propriétaires de cette maison?
Francis Catteeuw: "C’est une maison très agréable, nous disent ses propriétaires, un jeune couple avec enfants. Ils voulaient un lieu parfaitement adapté à leur mode de vie. Ils travaillent beaucoup tous les deux, mais quand ils sont chez eux, ils souhaitent vivre pleinement en famille. C’est pourquoi nous avons conçu la maison comme un terrain de jeu horizontal, sans escaliers ni étages, ponctué d’espaces qui se fondent les uns dans les autres et de nombreuses possibilités de circulation."
"À l’intérieur comme à l’extérieur, on peut parcourir de grandes distances sans jamais avoir le sentiment d’être éloignés les uns des autres. Vivre ici est un exercice social de regards et de perspectives, de rencontres et de passages, de distances et de participations."
Avec ses terrasses couvertes, ses passerelles et ses jetées japonisantes, la maison ressemble à un jardin habitable.
"Les propriétaires souhaitaient avoir un contact étroit avec l’extérieur. Mais, en raison de la situation, près des lacs autour de Gand, nous avons dû tenir compte du niveau élevé des eaux souterraines. Certaines parties du jardin sont notamment sous eau toute l’année, ce qui donne un marais serpentant autour et sous la terrasse et variant en fonction du niveau d’eau du ruisseau, à l’arrière. Des pierres et des hautes herbes définissent le patio fermé, entre le lieu de vie et le carport. En outre, chaque espace offre une vue différente. Avec les terrasses et les passerelles qui font le lien, la frontière entre intérieur et extérieur s’estompe."
Comment la maison est-elle agencée?
"Côté rue, les saules têtards forment une rangée de gardiens. La maison proprement dite est conçue en forme de grand S. Il n’y a pratiquement pas de portes et, pourtant, l’acoustique est agréable, car il y a énormément de coins et de recoins. Il y a suffisamment d’intimité aussi, malgré l’ouverture. Quand les enfants jouent dans leur chambre, on ne les voit pas, mais on les entend."
"Ainsi, ils sont tout de même impliqués dans la vie familiale. Cette stratification sociale pourra être adaptée en fonction de l’évolution de la famille. Par exemple, le garage est conçu de manière à pouvoir éventuellement devenir une "man cave" pour les enfants: il peut accueillir une table de snooker et de ping-pong et peut même être agrandi. Les parents ont également leur refuge, complètement séparé de la maison et aménagé à la manière d’un boudoir convivial avec vue sur le jardin aquatique."
Compagnie-O ne conçoit pratiquement pas d’habitations privées, plutôt des commandes publiques, comme le pavillon de premiers secours jaune vif sur la plage de Knokke-Heist. Pourquoi avez-vous accepté cette mission?
"Nous réalisons principalement des projets qui ont un rôle social, pour lesquels nous étudions les possibilités du programme, le contexte et le climat social. C’est également le cas pour cette maison." Quelles limites avez-vous explorées ici? "Comment impliquer au maximum l’environnement? Comment maximiser la zone de contact avec l’extérieur?"
"Notre réponse à ces questions a été de créer une maison en forme de S. Grâce à ce slalom, le soleil y afflue différemment tout au long de la journée. La maison est ouverte sur presque tous les côtés pour qu’à tout moment une partie différente soit exposée. Le projet est également un exercice de gestion de l’intimité dans un monde où il y a de moins en moins de frontières. L’ouverture à l’autre est essentielle pour vivre ensemble, mais cette ouverture exige également des limites claires.
Il n’y a rien de plus facile que de dessiner un portail fermé et une haie de plusieurs mètres de haut autour d’une maison, mais cela suggère la distance plutôt que la participation. D’où le carport en verre cathédrale: on ne peut pas regarder au travers, mais on peut voir que des gens vivent ici. L’accueil des visiteurs relève d’une scénographie qui se construit progressivement: on commence par longer le carport avant de passer par une petite porte et d’emprunter le passage couvert menant à l’entrée. Le temps d’y arriver, on a ouvert."
Cette forme en S rend la maison tout sauf compacte. Construire une maison aussi spacieuse est-il encore pertinent?
"La morale dominante voit d’un mauvais œil de vivre dans un espace aussi vaste. La compacité est un critère important pour une construction économe en énergie, ce que nous ne considérons pas à priori comme une condition absolue."
"Grâce à l’intégration de l’énergie géothermique, de la ventilation naturelle et des stores solaires, cette maison est particulièrement économe en énergie. Le débat sur l’efficacité énergétique des bâtiments est aujourd’hui teinté par la peur de perdre de l’énergie par des fissures et des interstices, mais aussi la peur de perdre son identité en raison de la pression à vivre ensemble de manière plus compacte. La peur n’est pas un bon état d’esprit. En tant qu’agence, nous sommes à la recherche de solutions qui repoussent les limites. Ainsi, nous apprenons où se trouve l’équilibre, aussi instable soit-il."