Dans "Le mépris", Jean-Luc Godard a immortalisé le toit-terrasse de la Casa Malaparte. On peut désormais acquérir des meubles conçus pour cette villa iconique de Capri.
La jeune Brigitte Bardot flânant ostensiblement sur l’immense toit-terrasse de la Casa Malaparte: cette scène du "Mépris" de Jean-Luc Godard est inoubliable. Avec le bleu infini de la Méditerranée pour toile de fond, on voit Jack Palance, campant un producteur américain, et Michel Piccoli, dans le rôle de l'époux scénariste de Brigitte Bardot, discuter ensemble. L’atmosphère est étouffante et le paysage étourdissant.
Dans le film "Le Mépris" (1963), Brigitte Bardot traîne son ennui sur l’immense toit-terrasse de la Casa Malaparte.
Aujourd’hui, 83 ans après la construction de la Casa Malaparte et près de 57 ans après la sortie du film, Tommaso Rositani Suckert, le plus jeune descendant de la famille Malaparte, a décidé de rééditer en édition limitée trois meubles iconiques spécialement conçus pour la villa: une table, un banc et une console. Ils sont actuellement exposés à la galerie Gagosian de Londres, où ils seront présentés dans un décor semblant tout droit tiré du Mépris. Il ne manque plus que la Méditerranée!
Curzio Malaparte
Curzio Malaparte (1898-1957) n’était pas le vrai nom de celui qui a fait ériger la célèbre villa à Capri en 1937. Il s’appelait en réalité Kurt Erich Suckert. Cet Italo-Allemand, poète, romancier, correspondant de guerre, journaliste, cinéaste, fasciste et plus tard maoïste s’était donné le nom de Malaparte (mauvais côté) parce que le nom de Bonaparte (bon côté) était déjà pris. Ce qui en dit long sur le maître d’ouvrage de cette maison.
Malaparte fut l'un des premiers partisans du fascisme italien et participa à la Marche sur Rome de Benito Mussolini en 1922. Mais il adorait surtout se trouver constamment sous le feu des projecteurs et se retrouva en désaccord avec le dictateur. Il fut emprisonné en 1933, puis assigné à résidence sur l’île éolienne de Lipari, au large de la Sicile.
Une période que Malaparte allait plus tard relater de manière exagérément mélodramatique alors qu’en réalité, son emprisonnement était plutôt confortable, comme c’était souvent le cas pour ses compagnons d’infortune de l’époque.
Moderniste et fasciste
Il est certain que, sans son exil, Malaparte n’aurait jamais eu l’idée de concevoir une maison. Au point culminant de Lipari, une majestueuse forteresse de pierre domine encore la baie. Une construction qui, en 1937, inspira clairement Malaparte dans son choix d’un endroit pour construire sa propre maison, sur une falaise tout aussi abrupte.
Reconnaissable entre mille, La Casa Malaparte est une relique laissée sur un pinacle après que la mer se soit apaisée.
Malaparte se considérait également comme architecte. Il n’était cependant qu’un amateur enthousiaste et la maison de Capri fut en grande partie conçue par Adalberto Libera, un architecte qui combinait modernisme et éléments fascistes, le tout mâtiné d’archétypes classiques. C’est d’ailleurs grâce à ses bonnes relations avec le parti fasciste que Malaparte fut autorisé à ériger sa maison.
Le toit-terrasse
Il conçut cependant lui-même une partie de sa maison en s'inspirant librement des plans de son architecte. C’est lui qui ajouta les éléments les plus caractéristiques, comme le toit en forme d’escalier, qui confère à l’ensemble des allures de théâtre grec niché dans le paysage.
C’est également lui qui imagina la large terrasse et la couleur rouge rappelant les intérieurs romains du site de Pompéi, dont l'île de Capri est proche. Surtout, c'est Malaparte qui conçut le mobilier de bois et de pierre.
Le magazine Domus, qui fut pendant des années la plateforme internationale de l’architecture fasciste-rationaliste italienne, publia un article sur la Casa Malaparte en 1980. "C’est une maison de paradoxes", écrivait à l’époque l’auteur-architecte John Hejduk. "Une relique laissée sur un pinacle après que la mer se soit apaisée. Un sarcophage de cris doux, chuchotant le destin inévitable..."
Antiquité classique
L’image qu’esquisse Hejduk de ce lieu paradoxal ne saurait être plus juste: la Casa Malaparte est à la fois mythique et résolument moderne. Bien sûr, ce sont la fenêtre et la cheminée qui accrochent le regard dans le salon, mais le reste de la pièce est sobre, pour ne pas dire dépouillé. On y trouve à peine trois meubles, également visibles dans "Le Mépris", même si ceux qui regardent le film aujourd’hui sont involontairement subjugués par les fauteuils bleu vif particulièrement anachroniques.
Les meubles conçus par Malaparte font entrer l’antiquité classique et la nature dans la maison. Les pieds de la table et du banc, par exemple, sont simplement constitués de deux morceaux d’une colonne cannelée classique.
Les originaux de la maison de Malaparte étaient réalisés avec des fragments de pierre de taille, laissés par les Romains dans toute l’Italie et abondamment utilisés en tant qu’éléments architecturaux durant les siècles qui suivirent la chute de l’empire.
Aussi bien le plateau de la table que l’assise du banc sont constitués d’un tronc d’arbre coupé dans la longueur, dont la forme aux bords irréguliers a été conservée: la rusticité sur un fond de classicisme parfait. Les pieds de la table, par contre, sont des colonnes en bois sculptées dans le style rococo.
Gagosian Gallery
Dans l’histoire du mobilier moderne, les chaises et les tables ont été spécialement conçues pour des maisons bien définies, mais ce n’est pas le cas des meubles actuellement exposés dans la galerie Gagosian. Contrairement aux chaises longues contemporaines en tubes d’acier ou soudées et chromées, ces tables et ces chaises n’ont jamais été conçues pour être produites en grand nombre, ni pour avoir un aspect contemporain, mais tentent plutôt de réconcilier des fragments d’une histoire perdue avec la nature.
Si les motifs sont universels, celui qui compte investir dans une telle pièce devra néanmoins disposer d’une grande et belle maison...
L’exposition "Casa Malaparte: Furniture" peut être visitée jusqu’au 19 septembre à la Galerie Gagosian, Davies Street 17-19 à Londres.
Les meubles de Malaparte sont réédités en édition limitée, entre 60.000 et 90.000 euros.