Frank Gehry et les deux Belges qui changent le visage d'Arles

Samedi prochain, le musée Luma Arles ouvrira ses portes. Un bâtiment dont La spectaculaire Tour de Frank Gehry est la pièce maîtresse. Deux Belges ont participé à sa conception: l’architecte paysagiste Bas Smets et le directeur artistique Jan Boelen.

Message à tous les Belges qui prévoient un voyage dans le sud de la France cet été: passez par Arles! Pour ses rues pittoresques, mais, surtout, pour Les Rencontres d’Arles, le plus grand et plus prestigieux festival de photographie du monde, qui revient après une pause due au covid en 2020. L’occasion aussi de découvrir le tout nouveau musée Luma Arles et la spectaculaire tour signée Frank Gehry.

Le musée est couvert de 11.500 panneaux d’acier inoxydable étincelants.
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L’architecte américain (qui a signé le Guggenheim à Bilbao et la Fondation Louis Vuitton à Paris) a beau avoir 92 ans, il n’est pas du genre à prendre sa retraite. La tour de 56 mètres de haut est recouverte de 11.500 panneaux d’acier inoxydable étincelants, un matériau que Gehry a choisi pour évoquer «La Nuit étoilée», une œuvre majeure de  Vincent Van Gogh, peinte à Arles en 1888. Par contre, la forme massive est inspirée des blocs rocheux de la région et la rotonde, des arènes romaines, autre merveille de la ville.

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Lieu vivant

Cela fait des années que les Arlésiens sont aux premières loges de ce chantier. En effet, si faire appel à Frank Gehry, c’est obtenir un bâtiment sensationnel, c’est aussi être confronté à des retards de construction: prévue pour 2018, l’ouverture de Luma Arles aura enfin lieu samedi prochain.

Ce bâtiment est la matérialisation de la Fondation Luma, qui soutient des projets artistiques depuis 2004 et dont la fondatrice est la collectionneuse, productrice de films, philanthrope et mécène suisse Maja Hoffmann. Issue de la famille Hoffmann-La Roche, elle consacre sa part du capital familial à l’art et à la conservation de la nature. Un choix en harmonie avec l’esprit de sa grand-mère, qui collectionnait les Picasso, et de son père, qui a participé à la fondation du WWF.

Si, aujourd’hui, Hoffmann se balade entre New York,  Londres et la Suisse, elle a grandi à Arles. Débordante d’enthousiasme, elle a mis son esprit d’entreprise au service de la ville, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle y a ouvert trois boutique-hôtels et un restaurant étoilé et, depuis vingt ans, elle soutient le festival de photographie. Elle a même acheté tout un quartier, le Parc des Ateliers, un ancien site industriel de la SNCF abandonné depuis les années 80. Ce site ouvrira ses portes le 26 juin sous le nom de Luma Arles. Ce ne sera pas un musée statique, mais un lieu vivant où l’art n’est pas seulement présenté, mais aussi réalisé et étudié, et ce, dans tous les domaines: de la danse au design, en passant par la performance, la vidéo, la philosophie et la photographie.

Luma Arles est installé dans Un ancien atelier de la SNCF abandonné.
Luma Arles est installé dans Un ancien atelier de la SNCF abandonné.
©Hervé Hôte

Belge à bord

Maja Hoffmann a fait appel à Gehry, mais aussi à un Belge, l’architecte paysagiste et urbaniste Bas Smets, impliqué dans le projet depuis 2009. «Dès le départ, Maja voulait mettre en place une équipe complète: Frank Gehry pour le nouveau bâtiment, l’architecte Annabelle Selldorf pour la réhabilitation et moi pour le paysage», explique Smets, joint sur le chantier arlésien. «Bien sûr, j’attends le jour de l’ouverture avec impatience, mais l’environnement ne sera terminé que dans deux ou trois ans, contrairement à un bâtiment qui l’est le jour de son inauguration.»

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«Nous avons placé un sol fertile sur la dalle de béton. Cela semble peu naturel, mais, tous les sols ne sont qu’une couche de terre sur la pierre.»
Bas Smets
architecte paysagiste

Le Belge a travaillé sur le projet pendant douze ans. Le parc de 36.000 m² (qui représente un budget de 10,3 millions d’euros) est son projet le plus complexe à ce jour. «J’y ai réuni toute l’expérience que j’ai acquise au cours des 21 dernières années. Les conditions climatiques sont rudes: le soleil déshydrate les sols et le mistral assèche les plantes comme un sèche-cheveux.» Il poursuit: «Le site du parc est une grande plaine bétonnée taillée dans la roche et recouvrant, en partie, un cimetière romain. Autrement dit, il n’était pas question de creuser. Nous avons donc placé un nouveau sol fertile sur la dalle de béton. Cela semble peu naturel, mais, en fait, tous les sols ne sont qu’une couche de terre sur la pierre.»

L’architecte Frank Gehry en pleine conversation avec sa cliente, la collectionneuse, productrice de films, philanthrope et mécène suisse Maja Hoffmann.
L’architecte Frank Gehry en pleine conversation avec sa cliente, la collectionneuse, productrice de films, philanthrope et mécène suisse Maja Hoffmann.

Message d’espoir

«En général, nous améliorons une situation existante; cette fois-ci, il fallait inventer un paysage. Notre point de départ était futuriste: si nous ne faisions rien, à quoi ressemblerait ce paysage dans 200 ans? Normalement, sur un terrain en friche, la nature reprend ses droits progressivement, en cinq à dix ans. Mais sur ce site, abandonné depuis plus de vingt ans, il ne poussait rien, car, entre le sous-sol en béton et les conditions climatiques difficiles, la nature ne pouvait pas gagner du terrain, à moins de lui donner un coup de main. C’est ce que nous avons fait. Nous avons construit des dunes et planté 650 arbres et 80.000 plantes, soit 140 espèces différentes. Grâce à un canal qui se jette dans la Durance, un ouvrage creusé au XVIe siècle, nous avons pu créer un bassin pour purifier l’eau avant de la diriger vers le système d’irrigation.»

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©Hervé Hôte

L’idée de départ consistait à transformer un climat (semi-)désertique en climat méditerranéen. Un projet aussi ambitieux qu’il en a l’air. «Grâce à l’humidité qui s’évapore des feuilles, la température sur le site est déjà de 4 à 8°C en dessous de la température moyenne: c’est un climatiseur extérieur», explique-t-il fièrement. «C’est un message d’espoir: si nous pouvons le faire ici, nous pourrons le faire ailleurs. C’est en cela que c’est un projet scientifique. Toute la végétation, mais aussi les oiseaux, les poissons et d’autres animaux endémiques font l’objet d’un suivi attentif et d’une analyse minutieuse, qui pourront servir à d’autres.»

Pour son projet, Smets a travaillé en étroite collaboration avec Gehry et s’est rendu à Los Angeles à plusieurs reprises. Comment s’est passée cette collaboration? Bonne question: les deux hommes semblent avoir une philosophie très différente en matière d’architecture. Alors que Smets s’enracine aussi profondément que possible dans le contexte local, les créations de Gehry font figure d’ovni. «Notre objectif est pourtant le même: déterminer comment le bâtiment et le paysage peuvent se renforcer mutuellement. Ce que je pense de la tour? C’est un bâtiment original. Le crépuscule lui donne des reflets magnifiques. On dirait que le bâtiment est liquide.»

Encore un Belge

Si Maja Hoffmann et Bas Smets se connaissent, c’est grâce à l’artiste français Philippe Parreno, pour lequel Smets a réalisé le décor d’un film. «Parreno est membre du Core Group de Maja, un groupe de conseillers artistiques, dont font également partie Hans Ulrich Obrist, Liam Gillick et Beatrix Ruf. Il nous a présentés et le contact est tout de suite passé. Dans l’intervalle, j’ai également conçu son jardin à Londres et un bois provisoire dans son centre artistique de Zürich, Westbau.»

L’inauguration, qui se déroulera le 26 juin, célèbrera avant tout la Tour Luma de Gehry, qui abrite musée, restaurants, salles de conférence, studios, laboratoires et archives. Les six autres bâtiments industriels du XIXe siècle qui se trouvent sur le site  ont déjà été rénovés et mis en service au cours de ces dernières années, notamment pour y loger des ateliers et des expositions, ainsi qu’une partie du festival de photographie Les Rencontres.

Depuis des années, un Belge travaille dans l’un de ces anciens bâtiments: Jan Boelen, l’ancien directeur artistique de Z33, le centre d’art contemporain et de design de Hasselt. En 2016, il a fondé Atelier Luma, dont il est, depuis lors, le directeur artistique. Il s’agit d’un think tank (ou d’un centre interdisciplinaire), qui s’appuie sur les ressources locales, les matériaux, le savoir-faire et les talents d’Arles et de ses environs.

L’atelier Luma, un centre de recherches consacré à la valorisation des ressources locales (algues, sel et paille), est dirigé par le Belge Jan Boelen.
L’atelier Luma, un centre de recherches consacré à la valorisation des ressources locales (algues, sel et paille), est dirigé par le Belge Jan Boelen.
©Jean-Baptiste Marcant

«Il y a cinq ans, Maja Hoffmann est venue me demander si je pourrais créer une chaise Luma», témoigne Boelen. Je lui ai alors suggéré de s’adresser à un éditeur comme Vitra. Et puis, comme la conversation se poursuivait, j’ai ajouté que j’aimerais faire autre chose pour elle: créer un centre de recherche consacré aux ressources locales comme les algues, le sel et la paille, et la façon de les valoriser dans l’agriculture, l’industrie et la conservation de la nature, par exemple. Cette proposition lui a tout de suite plu.

Entre-temps, nous menons le même genre de recherches dans d’autres lieux. Notre base de départ est logique et simple: actuellement, nous importons presque tous les matériaux, mais ils sont lourds. Par contre, les idées et les gens sont légers, ce qui leur permet de se déplacer plus facilement.»

L’Atelier Luma a participé à la conception de l’intérieur de la Tour de Gehry et son directeur artistique s’est donc également assis autour de la table, avec l’architecte américain. «Au départ, la collaboration était complexe, car son entreprise s’en tenait à des solutions traditionnelles. Tout a changé quand Frank Gehry a visité notre atelier à Arles», explique Boelen. Résultat des courses: l’Atelier Luma a fabriqué une table à partir de déchets de riz et a habillé le hall de l’ascenseur de cristaux de sel. Les bureaux, les chaises et les cloisons modulaires proviennent également de l’atelier de Boelen.

«Ce bâtiment est la vitrine de tout ce que nous pouvons faire», conclut le Belge, qui compte 20 collaborateurs permanents à l’Atelier Luma ainsi qu’un important vivier d’étudiants, de stagiaires et de free-lances. Par contre, s’il n’est pas accessible aux visiteurs, on peut jeter un coup d’œil dans le laboratoire par la baie vitrée. Une raison de plus d’aller passer quelques jours dans cette ville provençale!

Le Luma Arles ouvre ses portes le samedi 26 juin, www.luma-arles.org

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