Pendant la Biennale de Venise, les œuvres en matériaux bruts de Bosco Sodi occuperont tout un palais. Mais pour réellement découvrir l’univers de ce grand artiste mexicain, il faut se rendre à la Casa Wabi, dans l'État d'Oaxaca, au sud du Mexique.
Pour ceux qui se demandent si, cette année, Axel Vervoordt organise une exposition thématique à la Biennale de Venise, la réponse est, hélas, non. Cependant, il sera présent au Palazzo Fortuny, où il prend ses quartiers tous les deux ans depuis "Artempo: When Time becomes Art" en 2007. Bien que le Belge n’organise pas d’exposition, il a contribué à mettre sur pied l’exposition solo de Bosco Sodi au Palazzo Vendramin Grimani.
Il a présenté le grand artiste mexicain pour la première fois en 2015, dans le cadre de l’exposition "Proportio" au Palazzo Fortuny. "J’ai été séduit par sa puissance primitive et son lien avec la terre et les éléments naturels", explique Vervoordt. Sodi est devenu un intime de la famille. "Je considère Boris Vervoordt (le fils d'Axel, NDLR) comme un de mes meilleurs amis", déclare ce dernier. "Nous prenons nos vacances ensemble deux fois par an. Nous allons aux sports d’hiver et il est déjà venu chez moi en Grèce. Mes enfants le considèrent comme leur oncle."
Boris Vervoordt qualifie Bosco Sodi de chamane. "Il travaille à partir de la nature et utilise la puissance des éléments pour rapprocher les gens."
Pourtant, ce n’est pas la nature, mais l’architecture qui a fait le lien entre Sodi et la famille Vervoordt. "J’ai rencontré Axel Vervoordt il y a huit ans, alors que je construisais ma maison/résidence d’artistes Casa Wabi avec l’architecte japonais Tadao Ando", se souvient Sodi. "En fait, je voulais qu’Axel se charge des intérieurs, mais cela ne s’est pas fait. Nous avons cependant noué une chaleureuse amitié."
Et il a trouvé un endroit où loger. Pendant les préparatifs de son exposition solo vénitienne, Sodi a séjourné au Palazzo Alverà, dans l’appartement privé de Vervoordt, sur le Grand Canal. De là, il faut compter vingt minutes de marche jusqu’au Palazzo Vendramin Grimani.
Énergie de Venise
Pour l’exposition qu’il y présente, Bosco Sodi (52 ans) est parti de l’idée que Venise est une ville commerçante séculaire où se retrouvaient des marchands venus du monde entier. "Tel un commerçant, j’ai importé ma marchandise exotique au Palazzo Vendramin Grimani. De l’or, des pierres rouges, de l’argile... Dans mon imagination, tous ces matériaux ont été négociés et échangés à Venise", explique-t-il.
Au rez-de-chaussée du palazzo, qu’il a transformé en atelier, il a travaillé ces éléments importés pour en faire une série de nouvelles œuvres d’art. "Les œuvres que j’ai réalisées dans ce palais sont restées à même le sol pendant des semaines, afin d’être exposées à l’énergie de Venise. Pour moi, ces pièces en matériaux bruts traduisent l’âme unique de la ville et sont ainsi devenues indigènes. Si je les avais réalisées ailleurs, elles auraient été complètement différentes. Elles ont absorbé l’énergie de la cité des Doges. Vous pouvez rire, mais j’y crois vraiment! Notre plus jeune fils, Alvaro, a été conçu au Japon et je sens dans son caractère ce calme typiquement japonais: il est zen. Même s’il n’y a pas grandi, ses cellules ont absorbé l’énergie du Japon."
Recherche d’équilibre
Son exposition à Venise est intitulée "What comes around goes around". "Parce que tout est lié; culturellement, spirituellement et économiquement. Surtout dans une ville comme Venise, une ville qui a vécu sur l’échange de biens et de cultures", explique Sodi. Le revers de la médaille, c’est que la cité, déjà fragile, est envahie par les touristes et, tous les deux ans, par des hordes d’amateurs d’art. "Ils vont et viennent, mais ne rendent pas grand-chose à la ville", déplore Sodi. "Ce déséquilibre me pose un problème, c’est pourquoi j’ai voulu lui donner quelque chose en retour. J’ai réalisé une installation de sphères en argile d’Oaxaca, dans le sud du Mexique, là où j’ai construit la Casa Wabi. Dans la dernière salle de l’exposition, j’ai installé une grande sphère entourée de 195 sphères plus petites, une pour chaque pays du monde. La grande représente l’humanité. Chaque visiteur peut faire bouger les sphères. Cette œuvre s’intitule ‘Nous sommes un’. À la fin de l’exposition, les Vénitiens pourront en emporter une. Mon travail porte toujours sur l’équilibre entre ordre et désordre. C’est ma manière d’équilibrer ma présence", explique-t-il.
La sphère représentant la Russie ne devrait-elle pas être retirée? "Exprimer des messages politiques n’est pas mon rôle. Mon espoir, c’est que les humains parviennent à mieux se comprendre grâce à mon travail. Par le biais de mon art, je veux rapprocher l’homme et la nature. L’artiste romantique que je suis y croit."
Dyslexie et hyperactivité
Sodi a percé à l’international au début des années 2000, en présentant des sculptures en argile et des peintures à base de pigments naturels. Il a fait l’objet d’importantes expositions solo, notamment au Dallas Museum of Art, au Museo Nacional de Arte à Mexico et au Noguchi Museum à New York. Pourtant, avoir du succès n’est pas évident, estime Sodi. Il est même source de déséquilibre. "L’art est pour moi une nécessité, voire une thérapie", déclare-t-il.
"Quand j’étais enfant, j’ai été diagnostiqué dyslexique et hyperactif. Au lieu de me donner des médicaments, ma mère m’a inscrit à l’académie artistique. J’y faisais de l’art pour le plaisir et pour mon bien-être mental. Avec succès. Les montants irrationnels qui circulent dans le monde de l’art m’ont toujours mis mal à l’aise. Je n’ose même pas dire à mes enfants à quel point mes œuvres sont chères: ils ne comprendraient pas. Comme j’ai du mal à gérer cet aspect, j’ai l’impression que je dois rendre la pareille. Tout d’abord au Mexique, le pays où je suis né et où j’ai grandi. Ensuite, aux habitants d’Oaxaca, où j’allais souvent camper, car il y règne une énergie très particulière. Et aussi à mes collègues artistes, parce que je sais combien une carrière peut être difficile au début. C’est pourquoi j’ai construit la Casa Wabi, un lieu où les artistes peuvent venir travailler et où de grands architectes ont laissé leur empreinte."
Poulailler d’architecte
Peu après avoir réalisé le bâtiment principal de la Casa Wabi, en collaboration avec Tadao Ando, Sodi est présenté à Álvaro Siza, un autre lauréat du prix d’architecture Pritzker. Ce dernier a tout de suite été intéressé par la conception d’un atelier de céramique sur le site. Puis, pour le four à céramique qui trône dans ce même atelier, Sodi a fait appel au grand architecte mexicain Alberto Kalach, qui s’est fait connaître grâce à ses "multi-concepts" censés résoudre les problèmes d’approvisionnement en eau de la ville de Mexico. "Et j’ai rencontré l’architecte japonais Kengo Kuma à Tokyo, où j’ai également une petite maison. Nous sommes allés prendre un bon repas ensemble, car Kuma apprécie autant que moi les plaisirs de la table. Et, le soir, il m’a expliqué qu’il travaillait sur un mausolée pour des insectes au temple Kencho-ji de Kamakura. Comme moi, Kuma essaie toujours de rapprocher les gens et la nature par le biais de son travail. Quand je lui ai dit que je voulais réaliser un poulailler à la Casa Wabi, il a accepté de relever ce défi. Pro bono."
Résultat: un poulailler composé de planches en bois parfaitement entrelacées pour former une structure aérée autoportante. Ainsi, non seulement chaque poule a sa cellule dans laquelle elle peut se poser, mais, grâce à la structure ouverte, l’air frais et la lumière affluent à l’intérieur du poulailler. Il s’agit sans aucun doute du plus esthétique des poulaillers au monde, d’autant plus que, pour sa construction, Kuma a utilisé uniquement du bois brûlé, une technique traditionnelle du Japon, pays natal de Kuma.
"Kuma voulait également rendre quelque chose à la communauté", explique Sodi. "Je trouve que les architectes sont souvent plus généreux envers la société que les artistes. Les artistes devraient se consacrer aux problèmes universels d’aujourd’hui. Je n’y parviens pas toujours, je le sais bien, mais j’essaie de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour faire du bien à mes frères humains. S’il y avait des réfugiés ukrainiens au Mexique, je les accueillerais à la Casa Wabi."
L’Effet Casa Wabi
Dans les environs de Puerto Escondido, on peut observer un "effet Casa Wabi". La côte est devenue une destination de surf recherchée, provisoirement mieux préservée et plus sauvage que celle de Tulum. De nombreux architectes, dont Alberto Kalach, y ont construit, au cours de ces dernières années, des projets hôteliers inspirés par le climat tropical et l’architecture élémentaire de la Casa Wabi, dont la Casa Tiny, la Casa Cosmos, la Casa Cal et la Reserva El Toron.
Bosco Sodi a montré l’exemple à Las Marianas, une station balnéaire pour laquelle il a conçu plusieurs maisons de vacances non loin de la Casa Wabi. Toutes sont aménagées avec du mobilier de Década Muebles, le studio de design mexicain cofondé par Lucia Corredor, l’épouse de Sodi. Lorsque les Sodi sont au Mexique, ils séjournent notamment à la Casa Cons, leur maison de vacances qui est également disponible à la location (via la plateforme Airbnb).
Résidence d’artistes
Bosco Sodi ne réside pas vraiment à la Casa Wabi: il vit et travaille à New York, mais il a fait construire sa maison de vacances sur le domaine de la Casa Wabi à Puerto Escondido, un des meilleurs spots de surf du Mexique. Sodi a conçu la Casa Cons et l’a fait aménager par Década Muebles, le studio de décoration d’intérieur de son épouse, Lucía Corredor. La résidence, qui peut être louée sur Airbnb, est en béton, argile, bois et briques. Le toit de chaume traditionnel d’Oaxaca lui offre une protection parfaite contre la chaleur du soleil tropical. "Je ne suis pas architecte, mais je voulais faire des expériences avec ces différents matériaux", explique Sodi au sujet de cette construction.
Une expérience qui a manifestement plu, car Sodi a ensuite conçu plusieurs maisons de vacances dans la station balnéaire de Las Marianas, à quinze minutes à pied de la Casa Wabi. L’une d’elles est la Casa Liebre, qui est actuellement disponible à la location sur Airbnb et peut accueillir douze personnes. Pour les murs de brique, Sodi a fait appel aux mêmes artisans que pour "Muro", son installation de deux mètres de haut sur six mètres de long qu’il a réalisée en 2017 pour le Washington Square Park à Manhattan. C’est une critique à peine voilée de l’ex-président américain Donald Trump, qui avait le projet de faire construire un mur entre le Mexique et les États-Unis. Cette œuvre artistico-politique a fait parler d’elle dans le monde entier.
La Casa Wabi proprement dite reste avant tout une résidence d’artistes. Ceux qui sont invités à y séjourner sont sélectionnés par une équipe de curateurs. La bonne nouvelle, c’est que même ceux qui ne sont pas des artistes peuvent visiter les résidences d’artistes. "Nous accueillons principalement des amateurs d’art et d’architecture", précise Sodi. "Bien qu’ils ne puissent pas y passer la nuit, ils peuvent y effectuer une visite de deux heures et demie. Bon, il y a aussi des gens qui ne cherchent qu’à y faire des selfies", soupire-t-il.
"J’y séjourne souvent en été. C’est là que je viens de réaliser mes grandes œuvres en argile. J’utilise de la terre locale pour façonner des grandes sphères, qui doivent sécher pendant un an avant de pouvoir être cuites. Je ne sais jamais à l’avance à quoi elles vont ressembler. Cette imperfection et ce caractère aléatoire sont inhérents à mon travail. Cet été, nous ferons cuire les sphères que nous avons façonnées l’année dernière. C’est un peu comme faire du vin: c’est un processus qui prend beaucoup de temps, compte de nombreux paramètres imprévisibles et demande énormément de patience. Bref, c’est un véritable défi pour quelqu’un d’hyperactif comme moi!"
"Bosco Sodi: What Goes Around Comes Around", jusqu’au 27 novembre au Palazzo Vendramin Grimani à Venise. www.boscosodi.com
La galerie Axel Vervoordt présente des œuvres de Bosco Sodi à la Tefaf Maastricht, du 25 au 30 juin. www.tefaf.com axel-vervoordt.com
La Casa Cons et la Casa Libre sont disponibles à la location via Airbnb. www.Airbnb.com