La Villa Nisot transformée en temple de l'extravagence

Onyx, palissandre, travertin, bois de rose: les matières nobles foisonnent à la Villa Nisot. Datant 1934, la maison de style moderniste a été transformée en temple de l’extravagance par le bureau Labscape.

"Pour chaque projet, nous examinons le profil des clients: pouvons-nous oser ou pas? C’est un peu la signature de Labscape: on adore placer des surprises dans nos projets. Pour la Villa Nisot, nous avons eu la chance que les propriétaires soient très ouverts à nos propositions, ça les a aussi amusés."

L’architecte et designer italienne Tecla Tangorra et le Belge Robert Ivanov sont les moteurs du bureau d’architecture Labscape. Ils ont remanié durant deux ans la Villa Nisot, la maison d’architecte de 1934 pensée par Louis Herman De Koninck (1896-1984) située au cœur de la verdure, à Rhode-Saint-Genèse.

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Tecla Tangorra.
Tecla Tangorra.
©Labscape

La bâtisse, caractéristique de l’architecture des années 1930 avec ses volumes cubiques élégants, aurait été construite pour une femme architecte. Acquise il y a plus de vingt ans par les propriétaires actuels, il n’y avait plus aucun élément d’origine, sauf les volumes. Elle a été remaniée dans une proposition qui l’oppose au fonctionnalisme de l’Entre-deux-guerres.

Louis-Herman De Koninck fut un précurseur: c’est lui qui a introduit des voiles en béton armé en Belgique. Quelles ont été vos interventions?

Tecla Tangorra et Robert Ivanov: Nous avons rencontré des problèmes de stabilité et d’isolation, car la maison n’avait pas de fondations. Les murs en béton mesuraient 10 cm d’épaisseur et les châssis métalliques avaient du simple vitrage. Nous avons donc procédé à une ré-isolation totale des murs et des plafonds, tout en préservant la beauté et la légèreté des proportions.

Les habitants souhaitaient une chambre et une salle de bain supplémentaires: nous avons ajouté un volume sur la façade arrière, avec des fenêtres d’angle, dans le respect du dessin d’origine. Avant d’intervenir, j’ai visité plusieurs maisons De Koninck, et le modernisme me passionne depuis mes études: c’était essentiel de s’imprégner de l’esprit de l’époque.

©Nicolas Schimp

La maison dissimule plusieurs surprises: quelles sont les principales?

Oui, effectivement. Par exemple, la cheminée en travertin italien est encadrée par deux armoires en bois de noyer semblables à des paravents. L’un des deux pans dissimule un bar, dont l’ouverture dévoile un intérieur en laque verte.

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Autre surprise, un cabinet de toilette recouvert du sol au plafond par un motif de fleurs sur fond noir en mosaïque. Pour cela, nous avons adapté un dessin choisi par notre cliente, que nous avons fait reproduire en mosaïque. Un travail aussi remarquable que complexe! Nous attachons beaucoup d’importance à travailler avec des artisans belges de qualité: ébénistes, tailleurs de pierre, maîtres-verriers, mosaïstes.

"Nous ne nous limitons pas à l’architecture. Nous dessinons tout, jusqu’aux petites cuillères!"
Tecla Tangorra et Robert Ivanov
Labscape

Une œuvre d’art totale en somme...

Ce qui nous intéresse, ce n’est pas seulement l’architecture. Nous dessinons tout, jusqu’aux petites cuillères! Ici, nous avons réalisé des éléments spectaculaires et raffinés, dans la tradition de De Koninck qui était architecte-ensemblier. Il ne restait plus rien du mobilier d’origine, nous avons donc imaginé un design d’intérieur à la fois commémoratif et décalé, contemporain et frais.

"C’est une interpétation contemporaine du modernisme."
Tecla Tangorra et Robert Ivanov
Labscape

L’une des principales pièces est un cabinet de musique en palissandre flammé courbé et bronze, habillé d’une plaque d’onyx vert. Un bureau, la table de la cuisine, un cache-radiateur, les canapés... Nous avons tout dessiné. La bibliothèque a un design particulier: les étagères en bois reprennent le profil d’une tablette de la cuisine. Nous nous inspirons d’éléments existants et aussi d’exemples vus ailleurs, comme le chambranle des portes repéré dans une maison au Portugal.

De Koninck était un architecte socialement engagé. Le luxe des matières employées ne vous a pas déroutés?

Il s’agit, en effet, d’une réinterprétation contemporaine du modernisme. Chaque pièce de la maison constitue une sorte de spectacle alliant matériaux rares et détails raffinés, créant une atmosphère particulière tantôt lumineuse, tantôt sombre, parfois dominée par le minéral ou le végétal, mais toujours unique pour concourir à une étrange harmonie.

L’extravagance de certains motifs ou matières m’a parfois fait douter de l’équilibre total, mais nous sommes arrivés à un éclectisme heureux. La salle de bain de monsieur est en marbre Zebrano, souvent employé par Adolf Loos au début du XXe siècle. La chambre de madame a été imaginée entièrement à partir d’un luminaire ancien en verre opalin rose auquel elle tenait particulièrement. Le reste de la pièce est décliné en rose pâle, en hommage à ses séjours au Japon.

©Nicolas Schimp

De Koninck est surtout connu pour la cuisine Cubex, créée en 1930. Il y en avait une ici aussi?

Il devait y en avoir une, comme dans toutes ses maisons, mais elle n’existait plus. La propriétaire étant une grande cuisinière, elle souhaitait une cuisine dynamique qui lui donne envie de s’y installer en rentrant chez elle.

"Nous avons combiné de nombreuses références du travail de l’architecte dans nos choix de finitions et de matériaux."

Nous avons longuement réfléchi à la pierre: notre choix s’est finalement porté sur un marbre du Brésil, blanc, marron et noir, que nous avons disposé en miroir, comme un livre. Toute la cuisine est pensée à partir de cette pierre, notamment les couleurs: le blanc cassé des meubles, le plan de travail et le sol en pierre de lave, les portes en verre ambré mat.

Certaines pièces ont été réalisées en hommage à De Koninck, lesquelles?

Nous avons combiné de nombreuses références du travail de l’architecte dans nos choix de finitions et de matériaux. Parmi ses multiples talents, De Koninck dessinait des vitraux géométriques: nous avons donc créé une porte en mosaïque de verre très fin, assemblée avec de délicats profils en laiton.

Toujours en référence à l’architecte, nous avons habillé les salles de bain de mosaïques, comme il avait l’habitude de le faire. Nous avons volontairement choisi des formes simples et sophistiquées, qui relient le passé au présent.

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