Shigeru Ban est mondialement reconnu pour son architecture innovante et l’utilisation du carton comme matériau de construction. Il réalise pour la première fois un projet en Belgique.
Un homme qui adhère au principe du "less is more" ne peut qu’être parcimonieux avec les mots. Et aussi fuir les regards: l’architecte japonais Shigeru Ban (67 ans) est de nature réservée et il est donc un peu réticent à l’idée d’attirer l’attention. Ce qui peut s’avérer un peu délicat lorsqu’il se rend à Anvers pour observer l’avancement de son premier projet dans notre pays, projet qui ne passe évidemment pas inaperçu.
Shigeru Ban, qui appartient à l’élite mondiale, est reconnu pour ses conceptions innovantes et son engagement humanitaire. Il est honoré par un prix Pritzker en 2014, considéré comme le prix Nobel de l’architecture. Plus récemment, il a reçu le prix Praemium Imperiale, portant ainsi à près de cent le nombre de distinctions à son actif. Parmi les lauréats précédents du prix décerné par la Japan Art Association, figurent Norman Foster, Frank Gehry, Peter Zumthor et Zaha Hadid. Une réalisation de Shigeru Ban en Belgique est donc un événement qui relève de l’exceptionnel.
L’architecte japonais a en effet conçu un projet résidentiel comprenant une tour d’habitation, une annexe plus basse et un bâtiment indépendant nommé BAN. Grâce à ce projet, le quartier anversois du Nieuw Zuid accueillera un projet de plus signé par un maître de l’architecture. En effet, Ban aura pour voisins immédiats Sir David Chipperfield, Max Dudler et Stefano Boeri.
"Nous travaillons pour les heureux de ce monde,mais notre expertise peut faire une différence dans les régions où les besoins sont criants."Shigeru Ban
Actuellement, les travaux sont à mi-chemin, ce qui a conduit Shigeru Ban à profiter d’un passage à Paris, où se trouve son deuxième bureau, pour faire un saut à Anvers pour visiter le chantier. Il est difficile de discerner sa satisfaction, mais cela devient évident pendant de notre entretien. "Lors de ma première visite ici, le quartier m’a semblé froid. Vu sa configuration, le bâtiment allait inévitablement être géométrique, donc le rôle des matériaux était d’apporter chaleur, sérénité et sentiment de se sentir chez soi. Même à ce stade, je perçois déjà la différence", confie Shigeru Ban.
Maison en papier
Les matériaux sont au cœur de l’œuvre du Japonais: il est un fervent amateur du bois, qu’il apprécie pour sa chaleur et sa faible empreinte carbone. Parallèlement, il est aussi reconnu pour son approche novatrice du carton. Si le lien avec la durabilité semble évident, Ban voit les choses autrement. "Dès 1986, j’ai commencé à faire des essais avec des tubes en carton en tant que matériau de construction. À l’époque, personne ne parlait de recyclage, alors qu’aujourd’hui, il est de bon ton de glisser le terme 'durabilité' dans la conversation, mais je doute fort de sa valeur. C’est pourquoi je préfère ne pas qualifier mes projets de durables. Mon principal exercice de réflexion est plutôt le suivant: comment réduire au maximum le gaspillage de matériaux?"
Cinq projets emblématiques
◆ Centre Pompidou à Metz (France)
L’immense toit ondulant de ce musée d’art contemporain s’inspire de la forme d’un chapeau chinois traditionnel. La structure semble flotter, créant un contraste saisissant avec les lignes rectangulaires du bâtiment.
◆ Swatch and Omega Campus à Bienne (Suisse)
Véritable point de mire de ce campus, qui abrite le siège des horlogers et un musée, cette imposante structure fluide de 240 mètres de long est également l’une des plus grandes constructions en bois massif au monde.
◆ Cardboard Cathedral à Christchurch (Nouvelle-Zélande)
Érigée après les séismes dévastateurs de Christchurch, cette cathédrale repose sur des éléments porteurs principalement constitués de tubes en carton. Bien qu’elle ait été conçue comme une solution temporaire pour remplacer la cathédrale détruite, elle est devenue un puissant symbole de résilience et une attraction architecturale majeure.
◆ Mount Fuji World Heritage Center à Fujinomiya (Japon)
Ce site comprend un centre d’accueil des visiteurs ainsi qu’un musée consacré au mont Fuji. Le bâtiment du musée, en forme de spirale, est une réplique inversée de la montagne et une grande pièce d’eau entourant la structure en bois en reflète la silhouette.
◆ Paper House à Yamanashi (Japon)
Cette maison, l’un des premiers projets résidentiels de Shigeru Ban, est constituée de tubes en carton recyclé. Son design minimaliste incarne la vision de Ban, pour qui les architectes ont une responsabilité écologique et doivent constamment rechercher des moyens de réduire l’impact environnemental de leurs constructions.
Un exemple emblématique de cette philosophie est la Paper House, près du mont Fuji: c’est sa première maison permanente à avoir une structure porteuse en tubes de carton recyclé. L’architecte a d’ailleurs vécu pendant plusieurs années dans une construction en papier: lors de la conception du Centre Pompidou à Metz, il ne disposait pas d’un budget suffisant pour louer un bureau et il a donc construit un espace de travail de 35 mètres de long en utilisant des tubes en carton et des joints en bois. Avec son équipe, il a ainsi pu travailler pendant six ans sur le toit du Centre Pompidou à Paris, sans payer de loyer.
"J’apprécie les matériaux naturels. À cet égard, le papier est remarquable: il est accessible, solide et relativement abordable. De plus, les constructions en papier sont recyclables et faciles à déplacer."
Dans le projet BAN d’Anvers, pas de papier, mais une abondance de bois de pin, complété par de l’acier et du béton. La façade sera en grande partie habillée de bois, les terrasses formeront de confortables cocons en bois et, bien sûr, on retrouvera le fameux treillis en bois, signature architecturale de Shigeru Ban.
Autre thème récurrent dans son travail, le dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, que Ban souligne: "Cette connexion est essentielle dans tous mes projets. Les espaces doivent se fondre les uns dans les autres; j’essaie d’éviter autant que possible les cloisons. J’aime l’ouverture. Les terrasses de ce projet sont conçues pour offrir un maximum d’espace. Grâce aux portes coulissantes entre le salon et la terrasse, l’espace intérieur se prolonge harmonieusement vers l’extérieur une fois les portes ouvertes, créant ainsi une sorte d’espace intermédiaire couvert."
Aider les gens
Shigeru Ban est peu loquace, certes, mais il s’anime dès qu’il évoque ses projets humanitaires. Dès le début de sa carrière, il s’est interrogé sur le sens de son travail et il a ressenti le besoin d’avoir un impact au-delà des projets prestigieux. "Pour moi, le métier d’architecte consiste à aider les gens. Nous travaillons inévitablement pour les plus privilégiés, ceux qui ont de l’argent et du pouvoir. Cependant, notre expertise peut faire une réelle différence dans les régions où les besoins sont les plus criants", expose Ban.
En 1994, en pleine guerre civile au Rwanda, quand des millions de réfugiés cherchaient un abri, Ban a pu mettre en pratique ses expérimentations avec le papier pour créer une structure solide et économique, capable de servir de logement d’urgence.
Un an plus tard, il fonde Voluntary Architects Network, une ONG visant à fournir un abri digne aux victimes dans les zones de conflits et de catastrophes. "Le travail humanitaire ne se fait pas sur invitation. Je me rends en personne dans les régions où il faut de l’aide, j’écoute les besoins des gens et je propose mon expertise."
À l’image de la liste de ses distinctions, celle de ses projets humanitaires est impressionnante. Ces dernières années, il a construit des abris en papier au Japon, Turquie, Sri Lanka, Haïti, Chine, Italie et États-Unis. Mais son travail ne se limite pas aux abris. En Nouvelle-Zélande, il a, par exemple, conçu une église en carton afin de remplacer une cathédrale détruite par un séisme. Prévue à l’origine comme une solution temporaire, cette église est, depuis, devenue une attraction architecturale à part entière. Il a également réfléchi à des cloisons en papier pour répondre au besoin d’intimité dans les centres d’accueil. Actuellement, il est très engagé en Ukraine, où il travaille à la création d’un nouveau bloc opératoire pour un hôpital à Lviv entre autres.
Rêve viticole
L’âge de la retraite n’a pas encore sonné pour Ban, malgré son âge. Son cabinet, Shigeru Ban Architects, fonctionne comme une machine bien huilée avec des bureaux à Tokyo, Paris et New York. "Même sans moi, la mission reste la même: concevoir une architecture de qualité tout en contribuant à la société", lance Ban. "Je souligne également l’importance de voyager. J’encourage les jeunes architectes à découvrir le monde par eux-mêmes et non à travers un écran. Les projets architecturaux, les paysages et les cultures les plus divers façonnent notre regard."
Hélas, lors de cette visite, il n’aura pas le temps de mieux connaître Anvers, car il doit déjà rallier son bureau à Paris. Bruxelles, en revanche, l’a séduit: membre du New European Bauhaus, Ban séjourne parfois dans la capitale et prend plaisir à se perdre dans l’effervescence de la ville.
Avec un portfolio aussi diversifié, l’architecte a-t-il encore des rêves? "Comme je suis un grand amateur de vin, j’aimerais concevoir un chai. J’ai déjà participé à plusieurs concours, mais jusqu’à présent, je n’en ai remporté aucun." Touchons du bois.