La façade, fabriquée dans un orphelinat à Shanghai, incarne un fascinant mélange de patrimoines belge et asiatique.
La façade, fabriquée dans un orphelinat à Shanghai, incarne un fascinant mélange de patrimoines belge et asiatique.
© Alexander D'Hiet

Six millions d'euros pour sauver le Pavillon chinois de Laeken

Après avoir restauré la Villa Empain et l’Atomium, la baronne Diane Hennebert s’attaque à un nouveau défi: redonner vie au Pavillon chinois de Laeken. Découverte en avant-première.

"Est-ce ici l’entrée du Pavillon chinois? Savez-vous s’il est ouvert aujourd’hui?" À peine sortis de ce bâtiment délabré, nous sommes interpellés dans le parc de Laeken par une passante désorientée. "Non, madame, le Pavillon chinois est fermé depuis 2013", répondons-nous poliment. Son étonnement est compréhensible: jusqu’à récemment, les horaires d’ouverture étaient affichés sur la façade, mais, désormais, un nouveau panneau trilingue annonce l’avenir de cette folie architecturale: une fois restauré, le Pavillon chinois deviendra le "Palais chinois et des pays des Routes de la Soie".

"Cette institution culturelle rouvrira ses portes au grand public. Comme au siècle dernier, elle accueillera des expositions thématiques qui présenteront des trésors asiatiques et pas uniquement venus de Chine. Les Routes de la Soie symbolisent depuis toujours les échanges entre l’Orient et l’Occident", explique Diane Hennebert.

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Avant cela, il faut réunir six millions d’euros pour en financer la restauration. La baronne Hennebert est prête à relever ce défi, mobilisant son vaste réseau pour y parvenir. "Le bâtiment appartient à la Donation royale, un patrimoine que Léopold II a légué à l’État belge à la fin de sa vie. Aujourd’hui, il est géré par la Régie des Bâtiments. Bien que des travaux de conservation aient déjà été réalisés, un bâtiment inoccupé se dégrade rapidement. Plus on attend, plus la restauration coûtera cher: chaque année, les frais de restauration nécessaires augmentent d’environ un million d’euros. On ne peut pas laisser ce joyau patrimonial unique se détériorer sans agir. Honnêtement, je ne supporte pas cette situation", confie-t-elle, visiblement émue.

"Le bâtiment reste la propriété de l’État, mais nous voulons prouver que la gestion privée peut être plus efficace."
Diane Hennebert
Baronne
La baronne Diane Hennebert, déjà à l’origine de la restauration de la Villa Empain et de l’Atomium, s’investit dans celle du Pavillon chinois.
La baronne Diane Hennebert, déjà à l’origine de la restauration de la Villa Empain et de l’Atomium, s’investit dans celle du Pavillon chinois.
© Alexander D'Hiet

Lueur d’espoir

La façade en bois du Pavillon chinois, soutenue par des étais, montre des signes évidents de délabrement. L’inscription qui surplombe les fenêtres, rédigée en caractères chinois, proclame: "Que la gloire éternelle et les présages favorables apportent à ce palais la plus grande prospérité." Après des années de négligence, les astres semblent enfin alignés. Une lueur d’espoir, car cela fait déjà cinq ans que Diane Hennebert se consacre activement, mais discrètement, à ce projet de sauvetage.

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"Le bâtiment a été classé en 2019. Hélas, peu de décisions avaient été prises sur le plan politique. J’ai donc pris l’initiative d’entamer les démarches nécessaires", explique-t-elle. Une ASBL a été créée, dont le financement proviendra de fonds privés dédiés à la restauration, à la préservation et à l’exploitation du palais. Fin décembre 2024, cette ASBL – composée de représentants de la Régie des Bâtiments, d’administrateurs du secteur privé et présidée par la reine Mathilde – a obtenu une concession de 30 ans. "C’est un exemple de partenariat public-privé qui pourrait inspirer d’autres éléments du patrimoine bruxellois négligés. Nous voulons prouver qu’une gestion privée peut être efficace. Si ce projet réussit, nous pourrions envisager de restaurer ensuite la Tour japonaise, construite en même temps que le Pavillon chinois dans les jardins du Palais royal de Laeken."

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© Alexander D'Hiet

Ce n’est pas la première fois que Diane Hennebert s’engage dans une opération de sauvetage architectural. Elle a déjà mené à bien la restauration de la Villa Empain et de l’Atomium, pour les montants respectifs de 17 et 30 millions d’euros. "Ce projet est plus modeste. Je le fais par amour du patrimoine", précise la baronne.

Dans un premier temps, elle souhaite s’attaquer à l’annexe du palais, les anciennes écuries situées à côté de l’édifice. Ce bâtiment, abritant le Musée d’Extrême-Orient jusqu’en 2013, deviendra, après restauration, un lieu de rencontre pour des conférences, des événements culturels ou des dîners, un espace dédié aux relations entre la Belgique et l’Asie.

Inspiration parisienne

Le palais chinois s’inscrit dans la vision de Léopold II, qui, en 1903, a lancé sa construction, ainsi que celle de la Tour japonaise. Ces édifices devaient mettre en valeur les liens économiques entre la Belgique, la Chine et le Japon. L’idée lui était venue lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900, où il avait visité, avec l’entrepreneur Édouard Empain, le Tour du Monde, soit un ensemble de bâtiments exotiques, dont un pavillon chinois, un pavillon japonais et un temple khmer, œuvres de l’architecte français Alexandre Marcel, pour la Compagnie des Messageries Maritimes.

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 Le pavillon nécessite une restauration urgente: les infiltrations et les problèmes de stabilité menacent ce joyau du patrimoine.
Le pavillon nécessite une restauration urgente: les infiltrations et les problèmes de stabilité menacent ce joyau du patrimoine.
© Alexander D'Hiet

Léopold II et Édouard Empain avaient parfaitement compris les enjeux économiques de l’Extrême-Orient. Empain, figure clé dans la construction de lignes ferroviaires et de tramways en Égypte et en Chine, encouragea alors le roi de faire appel à Alexandre Marcel pour réaliser des constructions similaires pour le jardin du Palais royal de Laeken. Empain fit également appel à l’architecte pour son propre projet: un palais de style khmer à Héliopolis, en Égypte.

Club privé avec restaurant

La construction du Pavillon chinois débute en 1903. Léopold II souhaitait y installer un restaurant de luxe: une sorte de "China Club" pour les industriels ayant des intérêts ou des ambitions en Chine. "Alexandre Marcel a fait fabriquer la façade en bois à Shanghai, dans un orphelinat dirigé par des jésuites belges. En 1904, ils ont envoyé à Léopold II une maquette, récemment retrouvée en morceaux au Musée d’Art et d’Histoire du Cinquantenaire", relate Hennebert.

L’intérieur et l’extérieur du pavillon forment un mélange curieux de "chinoiseries", soit des éléments de style oriental adaptés au goût occidental. L’intérieur est un assemblage éclectique de symboles chinois, de motifs khmers et d’éléments japonais mêlés à ceux de style Art nouveau, Louis XV et à l’Empire.

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La façade, fabriquée dans un orphelinat à Shanghai, incarne un fascinant mélange de patrimoines belge et asiatique.
La façade, fabriquée dans un orphelinat à Shanghai, incarne un fascinant mélange de patrimoines belge et asiatique.
© Alexander D'Hiet

À l’étage on découvre un salon impérial et d’autres pièces richement décorées. Le pavillon reflète une vision paternaliste que l’Occident avait de l’Orient à l’époque. Aujourd’hui, les rôles semblent inversés: l’Asie prospère regarde l’Europe avec curiosité et intègre des éléments de ses styles dans ses cultures. Les Asiatiques trouvent ce bâtiment fascinant", pointe Hennebert.

Chef-d’Œuvre en péril

Léopold II ne verra jamais ce projet achevé: il meurt en décembre 1909 et son projet de restaurant est oublié. Lors de son ouverture, en 1913, le pavillon a servi de bourse commerciale pour des produits d’Extrême-Orient tels que porcelaine, soie et broderie. Après la Première Guerre mondiale, le bâtiment sera utilisé comme lieu d’exposition annexe au Musée Royal d’Art et d’Histoire. Les vitrines d’exposition sont aujourd’hui abandonnées dans les salles, qui, à première vue, n’ont que peu perdu de leur beauté d’origine.

Cependant, les balcons en bois de l’étage présentent de sérieux problèmes de stabilité, ce qui a conduit à la fermeture du musée en 2013. Par endroits, l’eau s’infiltre, causant des dégâts croissants aux plafonds décoratifs et aux parquets.

"Si ce projet aboutit, nous pourrions également nous attaquer à la Tour japonaise."
Diane Hennebert
Baronne
© Alexander D'Hiet

Contrairement à la Villa Empain, qui était en ruine lorsque Diane Hennebert a lancé sa restauration, en 2006, le Pavillon chinois nécessite moins d’imagination pour envisager son potentiel. "Nous souhaitons pouvoir terminer les travaux dans trois ans, avec une ouverture prévue en 2028", lance Hennebert. Espérons que les passants égarés dans le parc de Laeken sauront patienter jusque-là.

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