Demander à Pierre Yovanovitch de s’attaquer à un chalet dans les Alpes suisses, c’est obtenir un refuge intime et chaleureux où se mélangent design rustique, folklore sophistiqué et savoir-faire contemporain.
Goethe et Rimbaud connaissaient Andermatt, dans les Alpes suisses. En effet, cela fait des siècles que ce village de montagne est réputé, même si, à l’époque, cette réputation n’était pas si flatteuse. Quand ils ont marché jusqu’au village, en franchissant le Saint-Gothard, les deux poètes ont pu constater à à leurs dépens à quel point les formations de granite pouvaient être dangereuses.
Ce lieu est également symbolique pour d’autres raisons: c’est à Andermatt que se trouve la ligne de partage des eaux entre les rivières qui coulent vers la mer du Nord et celles qui coulent vers la mer Méditerranée. Et, à quelques encablures de l’Italie, ce village se situe à la frontière des sphères d’influence germanique et latine.
Ce carrefour culturel est pleinement intégré dans le nouveau chalet-penthouse conçu par l’architecte d’intérieur français Pierre Yovanovitch. D’une part, il a fait une réinterprétation du refuge de montagne suisse, avec les solides charpentes en bois sous lesquelles on se sent en sécurité.
Et, d’autre part, il a imaginé un loft ouvert, avec une hauteur sous plafond de 8 mètres et des baies vitrées de 20 mètres de large, libérant l’espace pour des œuvres d’art contemporain signé Ugo Rondinone et Roberto Matta.
Vigilant
"L’architecture n’est pas uniquement destinée aux villes et aux villages: il y a aussi l’architecture rurale, et j’ai décidé d’en devenir un ardent partisan", écrit l’architecte français dans sa première monographie, qui vient de paraître. Il joint le geste à la parole à Andermatt, où il pousse très loin le cliché du chalet.
Le bois massif (de toutes essences, techniques de pose et finitions) est le matériau de prédilection. Si la charpente ne présente pas les deux versants traditionnels, les grosses poutres créent l’impression d’un refuge rustique. Quant au vestibule, Yovanovitch l’a recouvert de bardeaux, comme on en voit sur les murs et les toits des chalets des villages de montagne. La rampe d’escalier s’inspire des clôtures en bois, tout aussi typiques de cette région.
Les meubles de l’architecte-designer suédois Axel Einar Hjorth, que Yovanovitch affectionne tant, s’intègrent magnifiquement dans ce cadre rustique, soit le rocking-chair ‘Lovö’, le fauteuil ‘Lovö’ et la chaise ‘Utö’, tous fabriqués à la main en pin de Suède vers 1930. Le travail de Hjorth est à la croisée du classique et du moderne, la même limite sur laquelle évolue ici l’architecte.
Heureusement, le Français casse le côté folklorique avec quelques détails ludiques qui rendent l’ensemble plus léger et plus contemporain: les lampes en céramique de l’artiste belge Jos Devriendt, représenté par la galerie Pierre Marie Giraud, apportent une touche de fraîcheur, comme la suspension ‘Hely’ aux boules de verre colorées de Katriina Nuutinen.
La création la plus poétique est sans conteste ‘Fragile Future’ de Studio Drift, une sculpture LED de pistils de pissenlits. Une œuvre d’art réalisée à la main, qui allie à la perfection la fragilité et la beauté de la nature à la technologie contemporaine.
Maisonnettes
Le chalet s’étend sur cinq cents mètres carrés, soit légèrement plus que l’église paroissiale d’Andermatt. Une superficie immodérée, et dont l’espace central est resté le plus ouvert possible afin de ne pas gâcher la vue sur les Alpes. Pour apporter un peu de convivialité dans cet espace assez vaste, Yovanovitch a également imaginé deux maisonnettes, sortes de refuges indoor en rondins avec un toit à deux versants.
L’une fait office de coin à manger et l’autre, de salon. Cette idée avait déjà été concrétisée à La Patinoire Royale - Galerie (Bruxelles), où l’architecte a construit un cube blanc dissimulant les escaliers au cœur de l’immense vestibule historique.
Autre petite signature du Français: faire de ce projet une ode à l’architecture rurale et au savoir-faire. Dans la mesure du possible, il emploie les meilleurs artisans ou artistes pour concevoir des éléments d’intérieur originaux. Ici, les canapés en mélèze massif ont été fabriqués par le maître ébéniste français Pierre Elois Bris, qui n’a quasi utilisé que des joints en bois artisanaux.
La cheminée, une œuvre d’art sur mesure en céramique dont les diagonales font référence à la structure complexe du toit, est également caractéristique. Reste à savoir comment Goethe et Rimbaud auraient qualifié ce chalet... s’ils étaient arrivés à Andermatt sans encombre!