Trente jardins de premier plan, des Açores à la Côte d’Azur, en passant par Oostduinkerke et Malibu. L’architecte paysagiste bruxellois Erik Dhont publie une nouvelle monographie, ode à la nature et à l’émerveillement.
La nouvelle monographie d’Erik Dhont, "Projets 1999-2020", un ouvrage de 250 pages, trône sur la table basse. Cependant, l’architecte paysagiste bruxellois a de nouveaux projets et concours en vue -en Belgique, en Allemagne, en Italie et en France. "En ce moment, je suis en France pour mesurer un rocher pour un projet privé. 80% de notre travail -le bureau compte actuellement huit personnes- sont des commandes privées et 20% des commandes publiques", explique-t-il au téléphone.
En 1990, Dhont a passé une année entière à travailler sur son tout premier grand projet: un jardin paysager avec un labyrinthe abstrait pour le baron Piet Van Waeyenberge, qui lui a valu d’emblée une reconnaissance nationale et internationale. Il a été repéré par des faiseurs de tendances aussi influents que le créateur Dries Van Noten, l’architecte d’intérieur Axel Vervoordt et l’entrepreneuse française Aude de Thuin, mais aussi par les médias, dont le Financial Times.
"Heureusement, je réfléchis plus vite qu’en 1990!", s’exclame Dhont en riant. "Grâce à mon expérience, je comprends plus rapidement le contexte. Par contre, nos principes sont les mêmes: le jardin en tant que promenade botanique qui étonne, émeut, surprend et vieillit bien. Mais les accents se sont déplacés: il y a vingt ans, il était tout à fait exceptionnel de boiser alors qu’aujourd’hui, la nature est beaucoup plus intégrée dans les jardins privés."
"Mon bureau faisait partie des acteurs alternatifs qui montaient au créneau en faveur de la nature. Aujourd’hui les gens ont à nouveau davantage de respect pour elle: c’est devenu un bien commun. J’ai aussi constaté qu’on cherchait à rétablir ce lien."
"Le plus beau des compliments, c’est lorsque les gens ne distinguent plus l’action de l’architecte de jardin de celle de la nature."Erik Dhont
On le remarque également dans l’idée romantique des jardins de cueillette et des forêts alimentaires. "Depuis les débuts du bureau, il y a plus de trente ans, je mise sur les potagers, les vergers et les jardins de cueillette, ce qui s’inscrit dans la recherche d’une connexion avec la nature. Nous venons de terminer un jardin communautaire à Bruxelles, dans lequel nous avons testé des nouvelles plantes ainsi que des combinaisons entre différentes cultures. Et, à Haren, nous sommes en train de développer un parc avec deux potagers et un verger."
"L’avantage de mon métier, c’est que la nature ou le paysage ne se démodent jamais. Le design possède une matérialité, des lignes et un certain langage formel liés à son époque. Dans mes jardins, je recherche toujours la simplicité naturelle. Et elle résiste manifestement bien à l’épreuve du temps. La conception d’un jardin ne doit pas sembler forcée. Le plus beau des compliments, c’est lorsque les gens ne distinguent plus l’action de l’architecte de jardin de celle de la nature."
C’est le cas à Roulers, où Dhont a conçu un paysage avec des sentiers tondus, des prairies parsemées de boutons d’or, des étangs bordés de roseaux et des canaux enjambés par de petites passerelles. "Tout semble 100% naturel, jusqu’à ce que l’on découvre le paysage de départ: un bête champ de betteraves qui n’offrait pas la moindre expérience esthétique."
Changement climatique
Vingt ans après sa précédente monographie, à la liste de projets phares, Dhont (59 ans) a préféré des croisements thématiques entre une trentaine de réalisations, parfois achevées à une décennie d’intervalle. Il les a regroupées en différents chapitres: "Texture & Structure", "Sauvage et Raffinement" ou "Temporalité & Identité".
Il s’en explique: "Je voulais montrer au lecteur différentes façons de regarder le paysage. Couleur, rythme, calme, réensauvagement, relief: dans un aménagement de jardin, il y a tellement d’autres strates que les plantes proprement dites!"
Dans le chapitre "Saisons & Climats", il n’hésite pas à aborder l’évolution la plus discrète de son travail: le changement climatique. "Ces dernières années, nous avons vu les sols s’assécher plus rapidement et les arbres se stresser. Il fait de plus en plus chaud, ce qui demande d’adapter notre vocabulaire."
"Aujourd’hui, nous plantons en Belgique des espèces que l’on s’attendrait plutôt à trouver dans les régions plus au sud, comme le Magnolia grandiflora ou le Quercus ilex (chêne vert). Autrefois, le risque que ces espèces gèlent dans nos jardins était important, mais, aujourd’hui, il a pratiquement disparu."
Les anciens jardins de Dhont étaient-ils préparés à ce choc climatique? Y a-t-il déjà eu des pertes à déplorer? "Non, heureusement: les plantes sont capables de se défendre. Nous ne sommes jamais allés à l’extrême en termes d’espèces exotiques."
"En même temps, j’ai toujours choisi de respecter la nature et de ne pas aménager de jardins avec un système d’irrigation. Parce que c’est un pur gaspillage d’argent et d’eau, surtout maintenant. Dans le passé, mes projets tenaient également compte des périodes de sécheresse. Par exemple, j’utilise des microreliefs, des petits dénivelés qui permettent d’assurer une meilleure gestion de l’eau et d’anticiper le changement climatique. Chacun doit faire sa part."
Trois projets phares du nouveau livre d’Erik Dhont
01. Feu d’artifice végétal à Deauville
Près de la station balnéaire de Deauville, en Normandie, Erik Dhont a accepté une mission spéciale: l’aménagement du jardin d’une maison de campagne rénovée avec dépendances.
"La mission consistait à créer une terrasse reliant les deux éléments", explique l’architecte paysagiste. Les parents logent dans le bâtiment principal et les enfants dans les dépendances. L’idée était de concevoir un jardin accueillant où chacun peut se retrouver à table ou à l’heure du thé. Pourtant, les familles souhaitaient également préserver la distance et l’intimité nécessaires", explique Dhont.
Un minimum d’entretien, un maximum d’effet, telle était la règle.Erik Dhont
Entre les deux bâtiments, il a créé un univers merveilleux avec un chemin de dalles uniformes, des ifs taillés en formes géométriques et un feu d’artifice végétal. Pas de plates-bandes anglaises complexes, mais un nombre limité d’espèces, principalement des cierges d’argent et des grandes marguerites (Leucanthemum superbum "Becky").
"Un minimum d’entretien pour un maximum d’effet, telle était la règle", explique Dhont. "Le jardin devait avoir l’air facile à vivre et ludique. La butte de gazon anguleuse forme une frontière visuelle entre les maisons d’une part et la pelouse et le jardin en terrasse d’autre part. Mais c’est surtout un élément de jeu pour les petits-enfants: ils peuvent grimper la colline ou la dévaler en laissant libre cours à leur imagination."
02. Promenade de senteurs à Ohain
"La plupart de nos projets demandent trois à cinq ans de travail, mais nous avons aussi des clients pour lesquels le processus est en cours depuis 15 ans. Vous faites alors partie de la famille et vous grandissez avec les lieux", explique Erik Dhont, faisant référence au jardin du baron et de la baronne Guy et Myriam Ullens de Schooten à Ohain, dans le Brabant wallon, où Dhont intervient encore régulièrement. "Nous n’ajoutons pas de nouveaux éléments chaque année. Parfois, nous faisons des pauses de trois ans", poursuit-il.
Le baron Guy Ullens de Schooten connaît tous les noms des plantes en latin.Erik Dhont
"Le jardin se compose de plusieurs allées, chacune placée sous un thème. Par exemple, une réinterprétation d’une plate-bande anglaise, une palissade de ginkgos, un parcours de rosiers, une pergola en bois et une promenade olfactive de 500 camélias, rhododendrons, magnolias, cerisiers et autres plantes odorantes. Une fois encore, nous avons créé un microcosme qui accompagne les clients dans leur manière d’être."
Lorsqu’on continue à enrichir un jardin pendant 15 ans, comment éviter que l’ensemble ne devienne une sorte de fouillis botanique, avec trop d’idées dans trop peu d’espace? "Il faut se limiter, sans quoi cela devient une cacophonie", répond Dhont.
"Notre tâche consiste à préserver le ‘fil vert’ du projet. Guy et Myriam Ullens sont des clients exceptionnels, qui savent exactement ce qu’ils veulent. Lui, surtout, est un botaniste passionné qui s’émerveille devant la beauté de la nature. Il connaît tous les noms des plantes en latin, comme Dries Van Noten. Je vous assure que ce sont des réunions de chantier du plus haut niveau botanique. Avec de tels clients, on peut aller loin!"
03. Paradis atlantique aux Açores
Sur la couverture de la monographie d’Erik Dhont est représenté un fabuleux jardin aux Açores. "Cet archipel parle à notre imagination, grâce aux bulletins météorologiques", plaisante Erik Dhont. "C’est un territoire portugais et donc, un petit morceau d’Europe en plein océan. En même temps, c’est un lieu exotique inconnu, perdu au milieu de nulle part. Le climat est particulier. L’Atlantique est omniprésent, telle une force de la nature. Et comme l’île est volcanique, on y trouve des plantes très spéciales, ce qui a nécessité un important travail d’étude."
Pour une villa perchée sur la falaise, Dhont a conçu un jardin résistant aux éléments naturels. "J’ai réalisé un patchwork de plantes locales comme une moquette, composée uniquement d’espèces à végétation proche du sol. À l’intérieur des terres, sur l’ancien vignoble, nous avons restauré les murs qui servaient d’abri contre les intempéries."
La pierre de lave locale entoure la piscine d’eau de mer, pave les nouveaux sentiers et compose les murs ludiques qui compartimentent le paysage en plusieurs jardins à thème: un jardin atlantique, un jardin de cueillette et un jardin de jungle abrité avec des bananiers, des fougères arborescentes et des broméliacées.
"Pouvoir travailler dans un lieu aussi exceptionnel était un défi. Grâce aux projets que nous avons déjà réalisés en Belgique, en Italie, en France, aux Pays-Bas, en Angleterre et en Allemagne, nous connaissons bien le contexte botanique européen, mais un architecte paysagiste doit également être ouvert à d’autres cultures botaniques. À Saint-Pétersbourg, nous avons travaillé dans un contexte spécifique, où créer quelque chose de captivant avec des espèces végétales locales était extrêmement stimulant."