Villa Tugendhat: cadeau de mariage, ancien siège de la Gestapo et icône du Bauhaus

Il y a exactement un siècle était fondée à Weimar, en Allemagne, une école qui allait mettre en ébullition l’art, l’industrie et l’architecture, ‘Staatliches Bauhaus’. Sa philosophie est concrétisée en 1929, à Brno, en République tchèque, où Ludwig Mies van der Rohe, architecte et directeur du Bauhaus, conçoit la Villa Tugendhat. Le cadeau de mariage le plus moderne et le plus enviable.

Il fallait un beau cadeau de mariage, et au diable l’avarice! Lorsque Grete Tugendhat, la fille d’un industriel ayant fait fortune dans le textile, épouse Fritz, le fils d’un fabricant de laine tout aussi nanti, ses parents lui offrent la construction de sa villa, sur un terrain en pente à Brno, dans l’actuelle République tchèque.

Les tourtereaux contactent Ludwig Mies van der Rohe, qui est à l’époque déjà un grand nom dans le monde de l’architecture et du design. Accepterait-il de leur construire une résidence?

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Mies van der Rohe se rend ainsi à Brno en septembre 1928. Il est émerveillé par le terrain surplombant la ville, avec une vue magnifique sur le centre historique. Pour mener à bien ce projet, il décide de travailler avec ses collègues Lilly Reich et Sergius Ruegenberg.

La pièce la plus extraordinaire de cet ensemble est la paroi en onyx du Maroc. Les trois fauteuils ‘Barcelona’
et le repose-pieds sont revêtus de cuir vert billard. Enfin, la table basse a été dessinée par Ludwig Mies van der Rohe pour Knoll.
La pièce la plus extraordinaire de cet ensemble est la paroi en onyx du Maroc. Les trois fauteuils ‘Barcelona’ et le repose-pieds sont revêtus de cuir vert billard. Enfin, la table basse a été dessinée par Ludwig Mies van der Rohe pour Knoll.
©Mark Seelen

À peine quatorze mois plus tard, la villa est terminée. Et le résultat est éblouissant. Avec un salon de plus de 200 mètres carrés, un mur semi-circulaire en précieux bois d’ébène, une cloison en onyx, des meubles spécialement conçus pour les lieux et un système de chauffage et de ventilation ingénieux pour l’époque, la maison est un enchantement architectural. Le couple est ravi. "C’est une véritable œuvre d’art", déclare Fritz Tugendhat un an après leur emménagement.

Cependant, tout le monde n’est pas du même avis: au début des années 30, un critique d’architecture du célèbre magazine ‘Die Form’ écrit que “la villa doit être considérée comme un ‘overstatement’ dans un style impossible à vivre pour ses résidents”.

©Mark Seelen

Hélas, les Tugendhat n’auront pas le temps de profiter de leur villa d’avant-garde. En mai 1938, les hordes nazies les obligent à fuir à la hâte la ville de Brno. Ils trouvent d’abord refuge en Suisse, puis au Venezuela.

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Leur villa est, successivement, réquisitionnée par la sinistre Gestapo (1939), utilisée comme entrepôt et arsenal par les Alliés (1945), transformée en sanatorium et gymnase pour enfants souffrant du dos par les communistes.

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©Mark Seelen

L’intérieur est pillé, les radiateurs arrachés du mur et la villa perd de sa grandeur. Un moment, il est même envisagé de la raser, envoyant ce cadeau de mariage architectural aux oubliettes de l’histoire.

Heureusement, la révolution de velours passe par là et la ville de Brno décide de ne pas l’abattre, au contraire: elle choisit de la restaurer. Et, en 1992, c’est dans la villa que s’écrit un nouveau chapitre de l’histoire mouvementée de ce pays d’Europe centrale, quand s’y déroule la conférence préparatoire à la division de la Tchécoslovaquie.

Cette villa iconique est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2001 et a fait l’objet d’une restauration complète il y a sept ans. Depuis lors, le seul exemple de modernisme de la République tchèque est enfin ouvert au public.

Ossature en acier

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©Mark Seelen

C’est par un beau dimanche matin, alors que le bleu du ciel contraste avec le blanc immaculé de la maison, que nous visitons la Villa Tugendhat, accompagnés de Rastislav Bosko, ingénieur et enseignant à l’Université de Brno, mais surtout amoureux de l’architecture moderne. En guide accompli, il nous accompagne tout en photographiant l’iconique bâtiment avec son Rollei-Flex vintage.

La villa moderniste est située sur un terrain en pente orienté sud-ouest, en direction de Brno. Dans les années 30, c’était la première maison construite avec une ossature en acier. Les 29 poutres d’acier sont des profilés en L soudés entre eux, ce qui donne à celui qui, en 1930, devient le troisième et dernier directeur du Bauhaus, la liberté d’agencer l’espace intérieur sans murs porteurs et de réaliser les façades extérieures entièrement en verre.

©Mark Seelen

La demeure compte trois étages. Le sous-sol abritait, à l’origine, les parties consacrées à la technique et les espaces de service. L’étage du milieu, soit le rez-de-chaussée, accueillait les principales fonctions d’habitation, une serre et une terrasse, la cuisine ainsi que les chambres à coucher du personnel. Quant au troisième étage, au niveau de la rue, il se composait du hall d’entrée principal, des chambres et des salles de bain des membres de la famille Tugendhat.

Zéro bibelots

"Nous voulions une maison vraiment moderne et spacieuse, constituée de lignes et de volumes simples", avait expliqué Grete Tugendhat quant à leur choix de l’architecte. "Mon époux était horrifié à l’idée d’avoir une maison remplie de bibelots et de meubles, comme dans son enfance."

©Mark Seelen

Les Tugendhat confient donc également tout l’aménagement intérieur à Mies van der Rohe et ses collègues Reich et Ruegenberg. Dans la villa, on trouve notamment quelques chaises ‘Barcelona’, que Ludwig Mies van der Rohe et sa partenaire, Lilly Reich, ont créées spécialement pour le Pavillon allemand de l’Exposition Universelle en 1929 à Barcelone, et lors de laquelle ils ont tenté le principe d’espace fluide qu’ils vont appliquer dans la villa.

Pour l’intérieur, Mies van der Rohe a utilisé principalement des tubes et des feuillards d’acier, ainsi que de nombreuses essences de bois très particulières (une folie dans ces années-là): le palissandre, le zebrano et l’ébène.

Autre caractéristique de cette touche extravagante, la cloison intérieure en onyx couleur miel, un élément fonctionnel et décoratif absolument bluffant. Cette pierre vient des montagnes de l’Atlas, au Maroc. Mies van der Rohe aurait accompagné en personne l’équipe qui a placé cette cloison originale.

Le revêtement du hall d’entrée ainsi que les portes et les placards des chambres des parents sont plaqués de palissandre. Pour les chambres des enfants, l’architecte a utilisé du placage de zebrano. Mais, le plus remarquable demeure le bois d’ébène de Macassar (importé de l’île des Célèbes, qui fait aujourd’hui partie de l’Indonésie) qui orne le salon.

Un bois veiné d’une couleur marron foncé que Mies van der Rohe a utilisé aussi bien pour le mur en arc de cercle de la salle à manger que pour la bibliothèque intégrée. En 1938, Ludwig Mies van der Rohe émigre en Amérique, où ses tours résidentielles d’acier et de verre font sa célébrité. ‘Less is more’ devient son credo, un leitmotiv qui, cent ans après la fondation du Bauhaus, est toujours d’application pour de nombreux designers et architectes.

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