Wendy Saunders, architecte belge: "Nous avons beaucoup à apprendre des Chinois"

Pendant plus de 20 ans, l’architecte belge Wendy Saunders a contribué à façonner la skyline de Shanghai. Avec son agence AIM Architecture, elle se lance dans une aventure en Belgique.

En tant que passionnée de design, il ne m’arrive plus guère d’avoir la chair de poule en entrant dans un bâtiment. Au bout d’un certain temps, on s’habitue à la beauté et à la perfection dans les intérieurs. Pourtant, dès que je franchis le seuil de l’imposante maison de maître sur l’Eilandje à Anvers, le chien Humphry sur mes talons, je suis surprise: des escaliers en marbre, des boiseries, une immense salle pour événements à l’arrière, une vue apaisante sur l’Escaut ondoyant, sans parler des pièces de design de collection colorées exposées. "Ce bâtiment ne nous appartient pas, vous savez", précise presque en s’excusant Wendy Saunders en me voyant bouche bée. "Il appartient à un client, un homme d’affaires chinois."

Je me retiens de justesse de lever les yeux au ciel. Car, entendre parler d’hommes d’affaires chinois achetant des maisons de rêve dans des lieux d’exception semble "pire" que s’il s’agissait d’un entrepreneur danois, italien ou même japonais. "Il y a là un énorme problème d’image", s’insurge Saunders. "Ici en Europe, tout ce qui est chinois est directement perçu de façon négative, comme si c’était de moindre qualité. Pourtant, c’est tout le contraire: nous avons encore beaucoup à apprendre des Chinois."

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"Cette vision positive de l’avenir et ce don de faire bouger les foules de manière organisée sont des choses que j’aimerais importer en Belgique."
Wendy Saunders
Wendy Saunders et son associé et époux, Vincent de Graaf, dirigent depuis près de 20 ans le cabinet AIM Architecture.
Wendy Saunders et son associé et époux, Vincent de Graaf, dirigent depuis près de 20 ans le cabinet AIM Architecture.

Wendy Saunders parle en connaissance de cause, bien sûr. Avec Vincent de Graaf, son conjoint et partenaire, elle dirige depuis près de 20 ans l’agence AIM Architecture à Shanghai. "En 2005, Vincent et moi étions censés partir quelques semaines à Shanghai, mais la ville nous a complètement conquis."

Énergie incroyable

Wendy Saunders est originaire de Bruges, où elle a grandi dans une famille de cordonniers et d’artisans. Après des études d’architecture à Gand, elle s’installe à Amsterdam, où elle rencontre De Graaf. Tous deux, alors au début de la vingtaine, ressentent le besoin de vivre une nouvelle aventure avant de se fixer.

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"Nous sommes tombés sur une petite annonce dans un magazine: ‘Architects wanted in Shanghai’. À l’époque, Shanghai était en plein boom, et nous avons décidé de nous lancer. Sans trop d’attentes, nous avons pris le Transsibérien pour aller jusqu’en Chine. Ce long voyage en train avait un énorme avantage: cela nous a permis de prendre la pleine mesure de la distance qui nous séparait de la Chine. Cette prise de conscience nous a rendus humbles. Je suis convaincue que ce respect nous a permis, avec le temps, d’être, à notre tour, respectés à Shanghai. Aujourd’hui, avec les trajets en avion, il est souvent difficile d’imaginer que l’on puisse débarquer dans un monde totalement différent, avec d’autres coutumes et habitudes. Se rendre compte de ces différences est le premier pas vers l’intégration, même si, en Chine, on reste toujours un étranger."

Bienvenue dans l'énigmatique villa en béton signée Marc Corbiau
Cotton Park est constitué de quatre lieux de rencontre cylindriques reliésles uns aux autres, mais chacun a son entrée.
Cotton Park est constitué de quatre lieux de rencontre cylindriques reliésles uns aux autres, mais chacun a son entrée.
©Dirk Weiblen

"En 2005, une énergie incroyable flottait dans l’air à Shanghai", se souvient Saunders. "On sentait une curiosité et une profonde envie de changement. Un contraste frappant avec l’Europe, parfois trop conservatrice. Ici, j’ai l’impression que la plupart des gens ont peur de changer les choses, que ce soit sur le plan social ou architectural. On se dit que c’est bien comme ça et puis c’est tout. En tant qu’architecte, ce sentiment qu’en Chine, absolument tout est possible est extrêmement stimulant."

Compromis gagnant

Ils ont donc décidé de rester. D’abord chacun dans des agences d’architecture différentes, puis en tant qu’indépendants, et enfin ensemble, en cofondant leur propre agence d’architecture, AIM, qui signifie Authentic Immersive Matters.

"En Europe, nous accordons beaucoup d’importance à l’authenticité, mais, en Chine, il en a longtemps été autrement. L’architecture pouvait être tout sauf authentique: les styles traditionnels étaient réservés aux classes populaires et modestes. Jusqu’à récemment, ceux qui aspiraient à un certain prestige préféraient un langage formel sans références marquées, et de préférence dans des matériaux opulents, voire littéralement brillants. Nous avons pris le contre-pied en cherchant des références authentiques, ce qui n’a pas été facile au cours des premières années de notre agence. Nous avons participé à de nombreux concours, sans jamais en remporter un seul. Finalement, nous nous sommes orientés vers l’architecture d’intérieur. Je me souviens d’une commande, décrochée grâce au bouche-à-oreille, pour l’aménagement d’une galerie d’art. Le budget du propriétaire était si limité que nous avons fait un compromis: il ne nous paierait rien, mais nous avions carte blanche. Peu à peu, cela nous a permis de monter un portfolio."

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Le tournant pour AIM est arrivé avec l’invitation du promoteur immobilier SOHO China à participer au projet de la Commune, un luxueux ensemble de villas conçues par des stars comme Zaha Hadid et Tadao Ando, à côté de la Grande Muraille de Chine. "À partir de là, nous avons gagné en visibilité, mais il est aussi devenu évident que nous serions toujours perçus comme une agence étrangère", explique Saunders. "Alors que les grandes agences chinoises misaient principalement sur une architecture spectaculaire et ‘shiny’, nous avons toujours été fascinés par la dynamique urbaine et, en particulier, par le chaos des grandes métropoles chinoises."

Cotton Park est constitué de quatre lieux de rencontre cylindriques reliésles uns aux autres, mais chacun a son entrée.
Cotton Park est constitué de quatre lieux de rencontre cylindriques reliésles uns aux autres, mais chacun a son entrée.

Pour Harmay, un distributeur local majeur de produits cosmétiques, AIM a conçu, dans un vieux quartier résidentiel de Shanghai, un point de vente qui a surpris bon nombre de ses confrères chinois. Au lieu de créer une vitrine glamour au rez-de-chaussée, AIM a totalement ouvert cette partie du bâtiment, restituant ainsi l’espace aux piétons, qui peuvent désormais circuler sous et à travers la structure. En y intégrant un café couvert, l’agence d’architecture a apporté une dynamique unique à ce lieu, attirant les curieux qui, désormais, empruntent l’escalier pour aller explorer la nouvelle boutique Harmay. Audacieux, mais génial.

Quatre réservoirs de pétrole

AIM a adopté une approche similaire au musée Fotografiska, dans le quartier de Suzhou Creek à Shanghai. Lors de la rénovation, les façades de l’ancien entrepôt bancaire ont été entièrement ouvertes, invitant les visiteurs et les passants à entrer dans le musée de la photographie par n’importe quelle partie du bâtiment, que ce soit le bar, la boutique, le restaurant ou même le stand de glaces. "Même ceux qui ne viennent pas spécifiquement pour la photographie doivent se sentir les bienvenus. Ce lieu doit être avant tout un espace de rencontre."

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"Nous devons travailler à améliorer la perception que l’on a de ce pays en Belgique."
Wendy Saunders
Lors de la rénovation du musée Fotografiska, les façades de l’ancien entrepôt ont été entièrement ouvertes, ce qui permet d’avoir accès au musée par n’importe quelle partie du bâtiment, même le bar.
Lors de la rénovation du musée Fotografiska, les façades de l’ancien entrepôt ont été entièrement ouvertes, ce qui permet d’avoir accès au musée par n’importe quelle partie du bâtiment, même le bar.

Les anciens éléments industriels rappelant le passé commercial du bâtiment ont été en grande partie conservés. Ce n’est qu’à l’étage supérieur, qui abrite un bar, un restaurant, une grande terrasse et un espace VIP, que des matériaux luxueux, des couleurs audacieuses et des finitions brillantes ont été utilisés. Une manière de refléter une population diversifiée dans une architecture à multiples facettes.

Moins stratifiée, mais pleinement aboutie, le projet de reconversion de quatre réservoirs de pétrole cylindriques à Changzhou reflète l’essence d’une ville au riche passé et au présent bouillonnant, où beaucoup de jeunes familles viennent s’installer et où les touristes sont de plus en plus nombreux. "Pour Cotton Park, nous nous sommes à nouveau inspirés de la dynamique d’une ville animée. Comment les visiteurs se déplacent-ils? Comment se rassemblent-ils? Le résultat est un ensemble de quatre cylindres reliés par un couloir vitré, mais disposant chacun de leur propre entrée. Les espaces intérieurs sont modulables et peuvent être aménagés, en fonction des besoins, en établissements horeca, salles de conférence, aires de jeux ou espaces de rencontre où les habitants peuvent se retrouver", explique Saunders.

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Lors de la rénovation du musée Fotografiska, les façades de l’ancien entrepôt ont été entièrement ouvertes, ce qui permet d’avoir accès au musée par n’importe quelle partie du bâtiment, même le bar.
Lors de la rénovation du musée Fotografiska, les façades de l’ancien entrepôt ont été entièrement ouvertes, ce qui permet d’avoir accès au musée par n’importe quelle partie du bâtiment, même le bar.
©Seth Powers

Design chinois

L’agence d’architecture AIM, basée à Shanghai, compte une quarantaine de collaborateurs venus des quatre coins du monde et continue de surfer sur cette dynamique positive de projets, le dernier en date étant un resort futuriste pour Club Med dans le Sichuan et différents projets culturels. L’agence vient de s’implanter aux États-Unis, à Chicago, où elle collabore avec Fernandes et Black Cube Artist sur des projets culturels. Et pourtant, c’est à Anvers que Saunders et De Graaf ont posé leurs valises. "J’espère que nous pourrons également décrocher de beaux projets en Belgique", confie Saunders, qui se consacre actuellement à la création d’un réseau et de la prospection. "J’aimerais aussi utiliser ce magnifique espace pour offrir une vitrine au design chinois. Nous avons déjà organisé une petite exposition il y a quelques mois et je pense qu’il serait formidable de jeter un pont entre la Belgique et la Chine. Il y a énormément de talents en Chine, même si nous devons, bien sûr, travailler à améliorer la perception que l’on a de ce pays en Belgique."

La transformation du Kailong Jiajie Plaza s’inscrit dans la volonté d’AIM de dynamiser les villes grâce à des bâtiments ouverts et inspirants.
La transformation du Kailong Jiajie Plaza s’inscrit dans la volonté d’AIM de dynamiser les villes grâce à des bâtiments ouverts et inspirants.

Le couple espère faire de ses racines européennes et de son expérience asiatique un atout professionnel. "Je ne prétendrais certainement pas que tout est mieux en Chine, car ce n’est pas le cas, mais cette vision positive de l’avenir, cette capacité à gérer de grandes foules de manière fluide et à créer une dynamique dans une ville sont des éléments que j’aimerais apporter à Anvers", ajoute Saunders. Cela lui rappelle une autre différence qu’elle souhaite évoquer. "Ici, les magasins ne sont ouverts qu’entre 10 et 18 heures et notre famille n’arrive vraiment pas à s’y faire. C’est un peu dépassé, non? Comme si les gens n’avaient des besoins qu’entre ces heures-là... Nous nous sommes souvent retrouvés face à des portes closes!" (rires)

Le magasin Harmay à Wuhan a aussi été conçu par AIM.
Le magasin Harmay à Wuhan a aussi été conçu par AIM.
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