© Alexander D'Hiet

Willem Jan Neutelings a acheté 250 globes: "Maintenant, je veux m'en débarrasser rapidement"

L’univers des collectionneurs est fait de rêves, de possessions et (parfois) d’obsessions. Cette semaine: Willem Jan Neutelings, collectionneur de globes terrestres malgré lui.

Quand Willem Jan Neutelings (65 ans) m’accueille, je suis instantanément plongé dans l’univers des globes terrestres: son loft bruxellois en est rempli. Une scène qui me rappelle la magie de ces objets. "Tout enfant est fasciné par les maquettes de la planète sur laquelle nous vivons!", explique en riant le cofondateur du studio d’architecture Neutelings Riedijk Architects, à qui l’on doit le MAS à Anvers et la Gare Maritime sur le site de Tour & Taxis à Bruxelles. Pourtant, sa collection n’était pas un rêve d’enfant: "Elle est là par hasard."

Il vient de publier "Around the World in 200 Globes, Stories of the twentieth century". "La collection n’est pas l’origine, mais la conséquence de ce livre", explique Neutelings. "Tout a commencé il y a cinq ans, quand j’ai acheté un petit globe terrestre américain des années 50. Je me suis demandé d’où il venait, qui l’avait fabriqué et dans quel contexte.

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C’est alors que j’ai découvert qu’il n’y avait aucun livre sur les globes terrestres du XXIe siècle. Je me suis dit que j’allais m’en charger et comme nous étions en pleine pandémie, j’avais le temps. Mais je n’avais aucun endroit où les étudier: je n’en ai trouvé que sur des sites de seconde main. Pour les étudier, j’ai donc dû me mettre à les collectionner".

Willem Jan Neutelings

◆ Architecte, Cofondateur de l’agence Neutelings Riedijk Architects à Rotterdam.

◆ Auteur de "Around the world in 200 globes" aux éditions Luster Publishing, 50 euros.

L’architecte Willem Jan Neutelings dans son loft de Bruxelles, entouré des globes terrestres qu’il a collectionnés en marge du livre qu’il leur a consacré. Pour lui, l’intérêt réside moins dans les objets que dans l’histoire sociale, politique et technologique que raconte chaque globe.
L’architecte Willem Jan Neutelings dans son loft de Bruxelles, entouré des globes terrestres qu’il a collectionnés en marge du livre qu’il leur a consacré. Pour lui, l’intérêt réside moins dans les objets que dans l’histoire sociale, politique et technologique que raconte chaque globe.
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"Les globes du XIXe siècle sont assez coûteux. Pour un grand globe Mercator du XVIe siècle ou un globe de Blaeu du XVIIe siècle, il faut compter au minimum 100.000 euros. La majorité des globes de ma collection datent de la période 1920-1960 et sont qualifiés de vintage. Je les ai achetés sur eBay, Etsy, Catawiki et chez des marchands. Pour cinquante à cent euros, on peut trouver un joli petit globe. Il y a même des globes à vingt euros qui sont magnifiques. La beauté et le prix ne vont pas toujours de pair."

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"Maintenant que le livre est terminé, je compte me défaire de ces globes; ils n’étaient que du matériel d’étude."

"Peu à peu, j’ai compris autre chose", poursuit-il. "En réalité, je ne collectionnais pas les globes proprement dits, mais leurs histoires. Ces objets nous permettent de retracer les développements sociaux, économiques, politiques et technologiques du XXe siècle. C’est fascinant, surtout compte tenu de la rapidité de ces changements. Prenons l’évolution technologique, et plus particulièrement celle des matériaux: les globes sont passés du papier à la bakélite, au plexiglas et, enfin, au PVC. Ils sont représentatifs du style de leur époque: Art nouveau, Art déco, modernisme et postmodernisme. Les changements socio-économiques sont également visibles: au début du XXe siècle, un globe terrestre était un objet de prestige et, ensuite, il est devenu un accessoire prisé par la classe moyenne et a été intégré aux objets décoratifs, décliné dans un style et des couleurs appropriés, par exemple avec des océans argentés ou roses et des pieds élégants."

Chaque globe de cette collection a une histoire qui reflète les évolutions du XXe siècle, et elles furent nombreuses.
Chaque globe de cette collection a une histoire qui reflète les évolutions du XXe siècle, et elles furent nombreuses.
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La face cachée

Dans ce livre, un chapitre est consacré à l’instruction. "À la fin du XIXE siècle, la géographie est devenue une matière obligatoire et dans chaque classe se trouvait un globe terrestre. De plus en plus d’entreprises se sont spécialisées dans la fabrication de globes scolaires très robustes. Sur le plan politique, on observe aussi des changements comme la décolonisation: au début du siècle, l’Afrique était divisée dans les sept couleurs des grandes puissances coloniales, mais, à la fin de ce même siècle, on en comptait 54, soit le nombre de pays indépendants. Les globes reflètent également les idéologies de leur époque. Par exemple, sur ce modèle des années 1910, chaque continent est illustré par un visage représentant une race, avec des annotations explicatives."

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Malgré son impressionnante collection de globes, Willem Jan Neutelings ne se considère pas comme un collectionneur, mais un documentariste.
Malgré son impressionnante collection de globes, Willem Jan Neutelings ne se considère pas comme un collectionneur, mais un documentariste.
© Alexander D'Hiet

Un chapitre consacré à l’espace met en lumière les globes célestes: la Lune, Mars et la Voie Lactée. "Parmi les pièces les plus précieuses, figure un globe lunaire de 1969, dont un exemplaire a été offert par l’un des astronautes au président Richard Nixon." On découvre également de magnifiques globes en relief, dont ceux du professeur belge Auguste Piccard, qui a plongé à dix mille mètres de profondeur, enfermé dans son sous-marin.

"L’ascension du mont Everest a marqué les esprits. Dans les années 50, la fascination pour les grandes profondeurs et les sommets était énorme. C’est à cette époque que les géologues de la Columbia University, à New York, ont entrepris les premières explorations du fond des océans. Les femmes océanographes, dont Marie Tharp, n’étaient pas autorisées à participer aux expéditions. Les hommes leur transmettaient les données par télégraphe, ce qui a permis la création de la première carte du plancher océanique – et son globe correspondant. Grâce à ses analyses minutieuses, Tharp a aussi découvert que la vallée centrale de la dorsale médio-atlantique était sismiquement active et constituait l’épicentre de nombreux séismes. Cette découverte a mené à la théorie de l’expansion océanique et à l’acceptation de la théorie de la tectonique des plaques."

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"Il y a des collectionneurs, mais pas de véritable communauté", poursuit-il. "Certains globes apparaissent rarement sur le marché. Pour certains spécimens, j’ai vraiment dû retourner ciel et terre. Ce globe des années 30, par exemple, est signé Raymond Loewy, un des grands designers industriels du XXe siècle. C’est le premier globe en bakélite avec radio intégrée et il vaut quelques centaines d’euros. Il y a aussi le premier globe d’URSS, avec la face cachée de la lune encore vierge: les Soviétiques ne l’ont observée pour la première fois qu’en 1959. Avant cela, la lune était comme la terre avant Christophe Colomb."

"J’ai retrouvé beaucoup d’objets de mon enfance. Cependant, je ne suis pas un grand collectionneur. Mon père avait une collection d’art et, adolescent, je devais l’accompagner dans les foires tous les samedis: j’avais horreur de ça! Maintenant que le livre est terminé, je compte me défaire de ces globes sans attendre. Après tout, ce n’était que du matériel d’étude, un accident de parcours. S’ils avaient été dans un musée, je ne les aurais jamais achetés. Par contre, pour la revente, je n’ai pas envie de repasser par les sites de deuxième main, ce qui impliquerait 250 allers-retours à la poste pour expédier chaque colis. J’aimerais que quelqu’un les achète en lot ou alors je les offrirai à une institution. Mais une chose est certaine: je n’en achèterai plus d’autres."

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