Dans les années soixante et septante, Brigitte Bardot, Françoise Hardy et Jackie Kennedy étaient folles des mini-jupes, des robes trapèze et des combinaisons " seconde peau " signées Courrèges. Aujourd’hui, deux publicitaires français redonnent vie à la belle marque endormie. reportage : iris de feijter
Murs réfléchissants, sol laqué blanc et étagères en plexiglas présentant bottes argentées et mini-jupes rose fluo : la boutique parisienne de Courrèges est un univers futuriste. Et dire que la boutique, située dans le quartier le plus chic de Paris, n’a pas changé depuis la grande époque des années soixante ! Le couturier André Courrèges a ouvert ce magasin, situé rue François 1er, quelques années après avoir lancé sa maison de couture avec sa femme Coqueline, en 1961. Il avait conçu la déco dans le même style que ses collections. De même, la ressemblance des bureaux situés aux étages supérieurs avec les décors de 2001 : L’odyssée de l’espace est étonnante : dans le hall d’accueil tout blanc brillamment éclairé, sans fenêtres, la réceptionniste en tenue Courrèges immaculée est assise derrière un haut bureau blanc. Dans les studios de création adjacents, les meubles en plexiglas sont placés contre des murs fluo. Il y a partout, des objets spacy créés par le maître en personne, comme une mini-robe transparente ornée de trois cercles argentés. Tout le personnel porte du Courrèges, sauf les deux nouveaux directeurs, Jacques Bungert et Frédéric Torloting. Sur leur jeans, leur chemise blanche et leur veston, nulle trace du fameux logo AC. Jacques Bungert : " Dans les années septante et quatre-vingts, Courrèges avait une ligne masculine, mais celle-ci a été arrêtée. Comme cadeau de bienvenue, Coqueline nous a fait faire deux vestes en vinyle, typiquement Courrèges. "
On demande repreneur
Bungert et Torloting forment un binôme bien rodé. Il y a plus de vingt-cinq ans, ils ont lancé ensemble une agence de publicité qui attire des clients comme Danone et Evian. En 2005, ils sont nommés coprésidents de la branche française de l’agence Young & Rubicam. Mais pourquoi deux publicitaires à succès ont-ils acheté une marque de mode française à l’agonie ? Jacques Bungert : " Il y a deux ou trois ans, le rédacteur en chef de Madame Figaro, un de mes amis, nous a demandé de rédiger un éditorial sur l’avenir des marques en période de crise. À l’époque, tout le monde était sous le charme de la philosophie No Logo et il était de bon ton dire que les marques étaient vouées à une mort certaine. Nous, nous affirmions l’inverse : les marques donnent au consommateur la confiance à laquelle il aspire en ces périodes d’incertitude. Dès le lundi matin, j’ai reçu un coup de fil de l’assistante de Coqueline Courrèges (qui, depuis que son mari a pris sa retraite en 1996, assure la fonction de directeur créatif, NDLR). Elle avait lu notre article et souhaitait me rencontrer. Et quelques jours plus tard, je me suis retrouvé dans un bureau fantastique, en face d’une femme incroyable. Elle avait alors une bonne septantaine d’années, mais cela ne l’empêchait pas d’être en pleine forme et incroyablement jeune d’esprit, très intelligente et très curieuse. J’ai d’abord pensé qu’elle allait devenir cliente de Young & Rubicam, mais c’est une amitié qui a vu le jour. Elle a expliqué qu’elle cherchait un repreneur depuis 2004. Les grands groupes de luxe avaient beau offrir des montants astronomiques, Coqueline ne voulait pas vendre l’œuvre de leur vie au premier venu. Un jour, elle nous a déclaré qu’elle avait enfin trouvé quelqu’un : " vous ". Nous étions flattés par la confiance qu’elle nous accordait, mais n’avions aucune expérience de la mode et, qui plus est, pas assez d’argent. Mais Coqueline est une femme déterminée. " Vous êtes des spécialistes des marques et des maîtres de la communication. L’argent suivra. "
C’est ainsi que Bungert et Torloting se retrouvent confrontés à un énorme défi. Pourtant, ils n’hésitent pas. " Quand on a une telle occasion, il ne faut pas la laisser passer. Courrèges est un jalon dans la mode française ", explique Torloting. " Son invention de la mini-jupe et du look space age a changé le monde. Après lui, la mode a encore connu des évolutions et des innovations comme le smoking d’Yves Saint Laurent , mais elles n’ont pas changé le monde. "
Couture Futuriste
Bungert et Torloting parviennent à réunir l’argent entre 10 et 15 millions d’euros, grâce à trois banques de leur région natale, la Lorraine. Depuis le mois de janvier 2011, le duo s’emploie à relancer l’icône française, bien que Courrèges n’ait jamais été totalement absent. Durant toutes ces années, la boutique parisienne est restée ouverte, mais la production et l’exportation étaient en veilleuse. Comment un label, autrefois si révolutionnaire, a-t-il pu s’endormir ?
" En 1985, André Courrèges fait appel à des investisseurs japonais, ce qui, rétrospectivement, s’est avéré être un mauvais choix. C’est aussi à cette époque qu’André tombe malade. De même, l’intérêt pour les produits de luxe a connu un certain recul. En 1993, le couple rachète sa marque. André se concentre alors sur ses peintures et Coqueline devient directeur créatif. Marie, leur fille unique, est une cavalière émérite qui ne s’intéresse pas au domaine de la mode ", explique Bungert.
" Nous nous donnons dix ans pour que Courrèges retrouve son ancien niveau de succès. En 1970, nous comptions 180 points de vente et 250 collaborateurs à l’usine. Pour y parvenir, nous procédons avec calme et discrétion, sans quoi nous courons le risque de prendre de mauvaises décisions. Nous limitons provisoirement le nombre de nos points de vente, mais nous optons pour une boutique en ligne. Nous n’avons pas encore de boutique prévue en Belgique mais, si je devais en ouvrir une, ce serait à Knokke-le-Zoute. J’y passe souvent le week-end et, dans les archives de Courrèges, il y a des patrons de maillots de bain extraordinaires ! "
Quant à ceux qui attendent de grands défilés et des collections saisonnières régulières, ils en seront pour leurs frais : pour Bungert et Torloting, ce cinéma est devenu anachronique. " Comment peut-on rendre honneur à une collection quand on la jette six mois plus tard pour la reprendre de manière radicalement différente ? Nous voulons procéder de manière plus durable et lancerons de nouveaux modèles tout au long de l’année. Ce qui se situe dans le droit fil du concept Couture Future, développé par André Courrèges en 1965 : le luxe de la couture combiné à l’accessibilité du prêt-à-porter. Les vêtements sont de qualité et le style, intemporel. Une robe Courrèges d’il y a quarante ans n’a pas pris une ride. "
Style optimiste
Bungert marque un point. Les modèles en boutique sont moitié anciens, moitié nouveaux et personne ne parvient à voir la différence. Le style architectural minimaliste aux lignes nettes, aux formes géométriques et aux couleurs claires n’a pas changé. Bungert et Torloting n’ont jamais cherché de créateur célèbre pour reprendre la marque.
" De nombreux stylistes se sont spontanément présentés, mais cela ne nous intéresse pas. Ils sont incroyablement chers et apposent leur empreinte sur la marque, alors que nous, nous souhaitons justement mettre le style original d’André Courrèges en valeur, avec notre propre équipe de stylistes. Les archives comportent pas moins de 25.000 patrons, dont la majeure partie n’a jamais été produite. Nous y puiserons très certainement à l’avenir ", explique Torloting. " Pour insuffler une vie nouvelle à une marque ancienne, il est essentiel de rendre honneur à son ADN. Grâce aux nombreux récits de Coqueline, nous parvenons à le faire. Même si cette dernière n’est plus officiellement impliquée dans l’entreprise, cela ne l’empêche pas de passer presque tous les jours. Nous voyons André de temps en temps, mais a 88 ans, il est trop malade pour apporter son grain de sel ", ajoute Bungert.
En dépit de son âge, Coqueline (77) vient de lancer avec le duo de directeurs une nouvelle entreprise pour relancer la Zooop, une voiture électrique lancée en 1968. En effet, André architecte de formation ne se limitait pas à la mode : il avait dessiné un scooter pour Honda, un vélo pour Peugeot, un appareil-photo pour Minolta, des robots ménagers pour Hitachi, sans oublier des meubles, des salons de coiffure, des salles de bains, des téléphones, etc. Bungert : " Pour moi, Courrèges est bien plus un studio de design qu’une maison de mode. Ici, il n’est pas question de tendances, mais de style. Et cela ne s’applique pas uniquement aux vêtements, mais aussi aux tables, aux chaises, aux voitures électriques et aux parfums. Non seulement André Courrèges voulait rendre les femmes et le monde plus beaux, mais aussi plus optimistes. Il a apporté de la couleur dans les rues. En 2012, sa devise est plus pertinente que jamais : " Toute femme plongée dans du Courrèges subit une importante poussée d'optimisme. "
www.courreges.com