il y a trois ans, Bert Jeuris n’avait jamais goûté de madère. Aujourd’hui, il possède l’une des plus grandes collections de madère du monde : quelques milliers de bouteilles, dont les plus anciennes datent du 18ème siècle. Et ce n’est qu’un début …
Texte : Stéphane Godfroid
photo : Dries Luyten
Peu à peu, le madère se débarrasse de son image de vin de cuisine destiné à la préparation de la langue de bœuf pour incarner une nouvelle tendance en matière de gastronomie. De plus en plus de chefs et de sommeliers découvrent l’infinie richesse de sa palette aromatique et gustative, dont l’acidité particulière constitue l’atout majeur. Celle-ci est due au sol volcanique sur lequel poussent les vignes, mais aussi à la chaleur créée pendant la maturation en fûts à l’inverse du porto, par exemple, pour lequel la maturation se produit dans des lieux frais. Le madère est tout bonnement extraordinaire pour accompagner fromages, desserts, chocolat et foie gras, mais aussi comme digestif.
" Je m’en souviens comme si c’était hier ", raconte Bert Jeuris. " Il y a quelques années, j’ai dîné avec mon associé Ludovic Beun chez Hof van Cleve. J’ai demandé au sommelier quelque chose d’original pour accompagner le dessert. Il nous a apporté un madère de 1968 de la maison d'Oliveira, élaboré avec le cépage boald. Cette dégustation m’a éberlué : un vin d’une immense richesse, doté d’une acidité singulière et d’une douceur de la plus grande finesse. "
Jeuris se met alors en quête de l’importateur des vins de cette île de l’océan Atlantique : il se retrouve chez un certain Raymond Smeyers, à Hoboken. " Pendant vingt ans, ce passionné a acheté principalement du madère, important les meilleures maisons, avec une exclusivité pour la Madeira Wine Company, d'Oliveiras et Barbeito. C’est un parcours plutôt amusant, quand on sait qu’il a été comptable à la Bourse de Bruxelles ! "
Jeuris, qui, avec son frère Kris, faisait commerce de vins français et portugais, décide de se consacrer au madère. " En janvier 2010, après mûre réflexion, avec Ludovic Beun, j’ai repris la collection de Raymond Smeyers que j’ai enrichie jusqu’à ce qu’elle devienne ce qui est aujourd’hui The Madeira Collection. Je sais qu’il existe aussi une collection extraordinaire en Amérique mais, d’après les producteurs de madère, c’est ici, à Roeselare, que nous avons sans doute la plus grande collection du monde. La verticalité de notre stock est la plus importante, car nous remontons jusqu’en 1795 ", explique Jeuris.
Dégustation singulière à Madère
Quand Bert Jeuris lance The Madeira Collection, il part sans attendre pour procéder à des dégustations intensives sur place. " Mais, curieusement, ce n’était pas l’habitude à Madère. Ils n’avaient jamais vu quelqu’un venir tester des échantillons de fûts puis commander quelques centaines de bouteilles ", explique Jeuris. " Avant, on achetait sur la base du millésime, tout simplement. "
Bert Jeuris distingue deux grandes lignes : les exemplaires jeunes et fruités, avec une légère oxydation et le moins caramélisé possible, et les bouteilles historiques. " C’est précisément pour faire découvrir ces madères jeunes et frivoles que je suis constamment en pèlerinage. Je souhaite faire découvrir toutes les qualités qu’un tel madère a à offrir. Et je passe presque tous les jours dans des restaurants pour rencontrer des chefs et des sommeliers. Cela vaut la peine, car le madère possède un potentiel gastronomique particulier. "
Accompagné du chocolatier bruxellois Pierre Marcolini, Jeuris est parti sur l’île pour soumettre des chocolats de terroir à une dégustation verticale de madères produits entre les années 20 et 90. La critique de vin britannique Jancis Robinson était également du voyage pour visiter les différentes maisons de madère.
Premier assemblage personnel
L’année passée, Bert Jeuris a embouteillé son premier assemblage de madère : The Madeira Collection Number 1. " Un signature wine, pour ainsi dire, un madère comme je le désire. "
Le Number 2 sera mis en bouteille en mars 2012. L’assemblage a été réalisé en septembre 2011, avec du raisin cercial et tinta negra mole. Le Number 2 sera un vin sec.
Les madères sont-ils si coûteux ? " Le vieux madère n’est pas tellement cher. Les prix de The Madeira Collection vont de 15 à plus de 1000 euros. Quelques centaines d’euros pour une bouteille de madère de 1834, est-ce cher ? Certainement pas comparé à ce que l’on paie pour un excellent bordeaux jeune. Une bouteille de vieux Pétrus coûte proportionnellement nettement plus et on en profite moins longtemps. " Bert Jeuris est désormais le bienvenu à Madère, au point d’être le seul marchand à avoir accès aux collections familiales historiques de l’illustre maison Barbeito. " Ces bouteilles tout bonnement uniques me permettront de soutenir la vente de vins plus jeunes. Attention, la famille Barbeito n’a pas besoin de les vendre, vous savez. Mais je peux tout de même me faire plaisir... "
The Madeira Collection : Kaaistraat 62A, 8800 Roeselare, www.themadeiracollection.be