Elle est devenue célèbre en scandant son poème "The hill we climb" lors de la cérémonie d’investiture du président Joe Biden. Amanda Gorman fait désormais partie des "young leaders" les plus influents tout en étant une icône de la mode.
Les choses vont bon train pour Amanda Gorman. Pratiquement inconnue en dehors des cercles littéraires américains avant le 20 janvier 2021, date à laquelle Joe Biden a prêté serment en tant que nouveau président des États-Unis, elle connaît un succès immédiat suite à cette cérémonie d’investiture.
Et la voilà couverte d’éloges, parce qu’avec sa poésie, elle exprime les espoirs de trois générations d’Américains dans l’ère post-Trump. Une jeune femme noire qui s’exprime dans un langage si universel qu’il émeut toutes les communautés d’une Amérique profondément divisée: quiconque croit en la liberté et l’égalité ne pouvait qu’en rêver.
Il ne faut pas s’étonner que la jeune femme soit devenue omniprésente du jour au lendemain. Et chacun se demande quel sera son "the next big step". La réponse à cette question à un million de dollars est désormais connue: le géant des cosmétiques Estée Lauder lui a proposé un contrat. Non pour devenir ambassadrice de la marque ou figurer dans une campagne publicitaire, mais en tant que "global changemaker".
Concrètement, le groupe américain de cosmétiques souhaite investir à hauteur de 3 millions de dollars sur 3 ans dans le programme "Writing Change", dont l’objectif est d’encourager l’alphabétisation, vecteur majeur de plus d’égalité. Il va sans dire qu’en tant qu’éminente représentante d’une communauté qui n’a pas souvent toutes les chances qu’elle mérite aux États-Unis, la jeune femme représente la figure de proue idéale.
"À 11 ans, j’avais déjà dit en classe que je voulais changer le monde."Amanda Gorman
Elle se dit honorée de travailler avec Estée Lauder. "Il y a 75 ans, madame Estée Lauder a mis fin au plafond de verre. En gardant à l’esprit sa volonté, je suis fière de pouvoir, à mon tour, inspirer d’autres femmes, filles et personnes."
Ce sont là, bien sûr, les civilités habituelles qui sont échangées dans le cadre de ce type d’accord, mais, pour une fois, ne soyons pas cyniques: il semble très probable que cette collaboration aura effectivement un impact positif sur les jeunes Afro-Américains.
Un défaut d’élocution pour don
Même sans Estée Lauder, Gorman a déjà une carrière impressionnante à son actif. Née à Los Angeles en 1998, elle est élevée aux côtés de sa sœur jumelle par leur mère célibataire, professeur d’anglais. Elle grandit dans une famille qui n’a jamais connu la pauvreté, mais dans laquelle l’argent ne tombait pas du ciel non plus. Elle décrit son enfance comme étrange, car elle ne regardait presque jamais la télévision et préférait nettement lire et écrire - un petit miracle à une époque où les jeux vidéo sont omniprésents.
"J’ai toujours cherché le moyen de m’exprimer. Les cours de danse étaient trop chers et,quand j’ai voulu commencer à peindre, j’ai dû utiliser de la peinture bon marché. Pour écrire, j’avais seulement besoin d’un stylo et de papier."Amanda Gorman
À 14 ans, elle lit "The Bluest Eye", le premier roman de l’écrivaine Toni Morrison, pour elle une révélation. "Je n’avais jamais lu de livre avec une femme noire sur la couverture", déclare-t-elle dans une interview accordée au New York Times. "Lorsque j’ai terminé le livre, j’ai pris la résolution de ne jamais cesser d’écrire et de toujours inclure des personnages marginalisés. C’est de là qu’est née ma voix - la voix d’une femme noire qui n’a pas honte de son défaut d’élocution et sait ce que c’est que d’être réduite au silence."
De manière caractéristique, l’Américaine considère le défaut d’élocution dont elle est affectée (elle a des difficultés à prononcer certaines lettres) non comme un obstacle, mais comme un don. "Cela a favorisé mes dons pour la lecture et l’écriture", avait-elle déclaré en 2018 à The Harvard Gazette, le site d’information officiel de l’université où elle a étudié la sociologie et obtenu son diplôme avec distinction en 2020.
De l’ONU à MTV
À cette époque déjà, elle affiche un palmarès impressionnant. À 15 ans, elle devient jeune déléguée de l’Organisation des Nations unies après avoir été inspirée par un discours de la militante pakistanaise des droits des femmes Malala Yousafzai, nommée prix Nobel de la paix en 2014. Et ce n’est pas tout: la même année, elle décroche le titre de "Youth Poet Laureate" de la ville de Los Angeles, fonde One Pen One Page, une association visant à encourager les jeunes à se lancer dans l’écriture, et publie "The one for whom food is not enough", son premier recueil de poésie.
Celui-ci reçoit de si bonnes critiques qu’il attire l’attention du géant du sport Nike, qui lui demande d’écrire un hommage aux athlètes noirs. Le fait qu’elle choisisse la poésie comme moyen d’expression est également lié à son défaut d’élocution. "J’ai toujours cherché des moyens de m’exprimer", a-t-elle expliqué au New York Times. "Les cours de danse étaient trop chers et, quand j’ai voulu commencer à peindre, j’ai dû utiliser de la peinture bon marché, ce qui était frustrant. Pour écrire, j’avais simplement besoin d’un stylo et de papier."
Avec succès, car, à 19 ans, elle signe un contrat pour deux livres pour enfants et passe même sur MTV, où elle lit ses poèmes devant un public de kids branchés. Ce qui ne reste pas lettre morte: en avril 2017, elle est la première à recevoir le titre de "National Youth Poet Laureate" et son nom intègre progressivement l’élite culturelle américaine. Elle apparaît de plus en plus comme une voix d’opposition à l’establishment conservateur, notamment avec un poème dans lequel elle réclame le droit à l’avortement.
Poète de Prada
Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit séduite par un mode de vie écolo, bien au contraire. En 2018, elle est photographiée pour la campagne "Smart people" de la maison de couture Helmut Lang en compagnie d’autres intellectuels comme les réalisateurs James Ivory et Luca Guadagnino, à qui l’on doit "Call me by your name", et le designer britannique Max Lamb. Et quand elle part étudier à Madrid pendant six mois, la marque de mode italienne Prada lui demande d’assister à son défilé automne hiver à Milan.
"Je voudrais montrer qu’un poète peut être élégant."Amanda Gorman
Miuccia Prada s’est toujours engagée en faveur des arts, c’est pourquoi la poétesse de 21 ans trouve place au premier rang. "Il y a cette idée du poète pauvre et souffrant, mais je voudrais montrer qu’un poète peut aussi être élégant", déclare-t-elle au magazine Vogue. Elle écrit même un poème en l’honneur de la créatrice italienne. "Demanding: ready-to-wear style in our hands/Giving us power, which makes it a power brand", peut-on lire dans "A Poet’s Prada". On peut être intrigué par ce mélange des genres, mais ce mix culture-commerce n’a pas de prise sur elle.
Nouvelle icône de style
Ensuite, elle perce lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden, et même ses plus grands détracteurs se taisent. C’est l’épouse du nouveau président, Jill, docteur en pédagogie, qui lui a suggéré de faire appel à Amanda Gorman pour la cérémonie. Les conséquences ne se font pas attendre: ses deux ouvrages pour enfants se hissent au sommet des listes de bestsellers, son poème "The hill we climb" est publié sous forme de livre et l’éditeur décide d’imprimer ses prochains livres à un million d’exemplaires.
Le fait qu’elle soit habillée en Prada de la tête aux pieds lors de la prestation de serment de Biden ne surprend alors plus personne. Le magazine Vogue l’a élue "nouvelle icône de style" et elle sait en tirer profit: le mois dernier, elle était coprésidente du Met Gala, la soirée de la mode new-yorkaise réservée aux célébrités.
Présidente des États-Unis
La jeune femme ne cache pas nons plus ses ambitions. Elle a déjà déclaré à plusieurs reprises qu’elle souhaitait se présenter aux élections présidentielles des États-Unis en 2036. "À 11 ans, j’avais dit en classe que je voulais changer le monde", déclarait-elle à USA Today. "Mon professeur m’avait alors répondu en riant "Alors, tu devrais te présenter à la présidence!" À quoi je lui ai répondu sans hésiter "Oui, je devrais"."
Nul ne doute qu’elle y parviendra, car elle ne manque pas de confiance en elle. "Je n’ai pas besoin de changer pour être un leader", a-t-elle déclaré dans une interview accordée au Wall Street Journal.
On peut toutefois se demander si, en tant que future présidente, c’est une bonne idée de se lier à des marques de luxe. Un leader mondial qui signe un contrat avec un label de beauté exclusif et s’habille en Prada et Vera Wang fera certainement tiquer beaucoup d’Américains. Mais, même si elle ne parvient pas à conquérir la Maison-Blanche, elle aura marqué toute une génération. Ce n’est pas si mal pour une jeune femme de 23 ans.