Nick Coutsier a dansé pour Beyoncé, travaillé comme "movement director" pour Louis Vuitton ou un clip pour l'Eurovision, et devient l'effigie de l'exposition "Fashion Moves" au MAD Brussels.
Il y a un truc chez les danseurs qui permet de les reconnaître, même sans musique ni projecteurs. Maîtres d’un langage corporel, ils semblent toujours danser, même lorsqu’ils vous parlent. Suivant son débit rapide, Nick Coutsier glisse, saute et roule même dans les plus petits gestes. Ses mimiques et son sourire interviennent toujours au moment parfait.
"Pour moi, le mouvement est partout", déclare le danseur, chorégraphe et movement director. Qu’il s’agisse de musique, de cinéma, d’un défilé de mode ou d’un discours d’entreprise, il y décèle toujours le même fil conducteur. "Un violoniste qui fait glisser son archet sur un violon, c’est du mouvement. Déposer un couteau dans une assiette, c’est du mouvement. Un danseur, c’est du mouvement. Même un orateur sur une scène, c’est du mouvement. En ce sens, je me considère de plus en plus comme un artiste du mouvement."
"La musique et la danse sont fortement liées à la culture congolaise de ma famille."
Cet homme talentueux ne se contente pas de se produire en tant que danseur invité pour des compagnies telles que l’Opera Ballet Vlaanderen de Sidi Larbi Cherkaoui. En tant que movement director, il orchestre également les mouvements pour les défilés et les shootings de labels de mode tels que Marine Serre et, plus récemment, le Louis Vuitton de Pharrell Williams. Sans oublier sa collaboration avec Beyoncé. Les danses fluides du clip vidéo de Mustii pour l’Eurovision? C’était lui aussi.
Pour le MAD, le musée bruxellois du design et de la mode, il était donc évident de lui demander de devenir l’expert et l’égérie de "Fashion Moves", l’expo qui explore le lien entre la danse et la mode. "Les artistes belges ont tendance à voyager, car les pays étrangers conviennent mieux à ce qu’ils font dans la danse, la mode ou le cinéma. Pourtant, il se passe plein de choses intéressantes ici. Nous avons la chance d’avoir quelques-unes des meilleures écoles d’art, de design et de danse au monde", confie Coutsier.
"Depuis que j’ai obtenu mon diplôme au Conservatoire d’Anvers, en 2015, je suis constamment en déplacement. Je ne reviens à Bruxelles que pour voir ma famille et mes amis. L’année dernière, je suis monté pour la première fois sur une scène bruxelloise et depuis lors, je travaille à mon retour: je tiens à garder le contact avec les jeunes et explorer de nouvelles opportunités ici. C’est pour cela que c’est formidable de travailler avec une institution belge, d’autant plus que je trouve important de sortir la danse de son cadre classique. Ce n’est que lorsqu’on demande votre avis et qu’on l’apprécie que vous réalisez que votre contribution est précieuse. Cette prise de conscience a été le fil conducteur de mon travail ces dernières années."
Vous êtes un «movement director», mais ce terme n’est pas encore aussi bien établi en Belgique qu’aux États-Unis, par exemple. De quoi s’agit-il?
Nick Coutsier: "C’est effectivement un concept relativement neuf. Les movement directors peuvent être sollicités dans divers domaines: pour les shootings et les défilés de mode, dans le monde du cinéma, lors de performances musicales et même dans le monde des affaires. En tant que movement director, vous êtes le chorégraphe de l’invisible, le public peut penser qu’un artiste se déplace de manière tout à fait naturelle sur scène, mais en coulisses, un movement director donne des instructions: tenez-vous ici, déplacez-vous là sur la scène, regardez de ce côté-ci pendant ces paroles, etc. Contrairement au chorégraphe, qui prescrit des mouvements, le movement director est plutôt un coach. Il met l’accent sur les mouvements que les gens font déjà. En effet, il n’est pas facile d’avoir l’air naturel lors des grands shootings ou en studio, quand 15 personnes vous regardent. Avoir quelqu’un qui vous indique quelles poses vous conviennent crée un environnement de confiance agréable. En tant que movement director, on combine les connaissances d’un chorégraphe avec des compétences sociales."
"Je suis un enfant des années 90, qui a grandi avec MTV, les Grammy Awards et la pop. Très vite, j’ai senti que je pouvais m’exprimer à travers la danse."Nick Coutsier
Pharrell Williams a également fait appel à vos talents de movement director pour son premier défilé de mode homme pour Louis Vuitton, sur le Pont Neuf à Paris l’année dernière.
"Pour ce défilé, je devais m’occuper d’un chœur de gospel de 70 personnes, qui se trouvait au centre de la performance. Mon travail ne consistait donc pas à en faire les meilleurs danseurs du monde, mais à trouver des moyens pour que les chanteurs se connectent à leur corps et aient des mouvements naturels et authentiques."
"Au départ, Louis Vuitton n’était pas à la recherche d’un movement director, car la production devait s’en charger elle-même. Et puis, j’ai reçu un appel de mon agente. J’ai très vite été impliqué, et cela s’est avéré être une expérience merveilleuse, renouant avec mon amour pour la mode et le mouvement. Il s’agissait d’un défilé de mode, mais Pharrell voulait y intégrer des visages: le chœur a donné une véritable âme aux vêtements. De plus en plus de maisons de mode font appel à des ‘talents’ plutôt qu’à des mannequins, pour que les vêtements soient incarnés par des personnes qui ont une histoire. C’est intéressant, car cela ouvre la porte à un plus large éventail de personnes capables de représenter des vêtements et une marque."
"Dans ‘Fashion Moves’, nous abordons également la manière dont les vêtements peuvent être incarnés et le lien qui existe entre vêtements et identité. Les danseurs donnent vie aux vêtements d’une manière différente: ils les rendent plus tangibles qu’une photo sur une double page."
"Les personnes qui ont un véritable talent créatif sont souvent aussi une source d’inspiration incroyable en raison de leur dévouement à leur art. Je le remarque également chez Pharrell Williams et Sidi Larbi Cherkaoui. L’ego et les jeux politiques les laissent froids."Nick Coutsier
Comment s’est déroulée la collaboration avec Pharell Williams?
"Ce n’est pas comme si j’étais allé dîner avec Pharrell! (rires) Ma rencontre a duré dix minutes tout au plus, mais le fait d’avoir sa confiance pour un projet de cette envergure est déjà impressionnant. J’étais surtout reconnaissant de pouvoir faire partie d’un ensemble plus vaste et de contribuer à quelque chose de beaucoup plus grand que moi. La rencontre avec les membres du chœur était également formidable. Certains d’entre eux étaient des chanteurs de gospel de ‘Voices on Fire’, la série Netflix portée par Pharrell. Certains de ces chanteurs, venus de Virginie, n’avaient jamais pris l’avion avant. Faire partie de ce moment a été incroyablement stimulant."
Un projet auquel vous collaborez doit-il toujours avoir une finalité supérieure?
"Les gens interprètent le terme ‘finalité’ comme quelque chose de pesant. Prendre du plaisir constitue également une raison valable de s’impliquer dans un projet. Ma mère me l’a récemment rappelé. L’année dernière, j’avais le rôle principal dans une production du Koninklijk Ballet Vlaanderen. Quand je suis descendu de scène, j’avais déjà d’autres projets en tête. Jusqu’à ce que ma mère me prenne à part, m’invite à reprendre mon souffle et me rappelle que je réalisais tout ce dont j’avais rêvé depuis que je dansais dans ma chambre à l’âge de sept ans. Ce sentiment, je ne veux plus jamais le perdre."
Quels sont vos premiers souvenirs de danse?
"Ils sont intimement liés aux festivités. La musique, la danse et les fêtes, ces expressions physiques du bonheur, sont profondément ancrées dans la culture congolaise de ma famille. À chaque mariage, baptême et réunion de famille, on chante et on danse. Un de mes premiers souvenirs est probablement ma tante en train de danser. De plus, je suis un enfant des années 90, j’ai grandi avec MTV, les Grammy Awards et la culture pop. On imitait ce qu’on voyait et j’ai très vite senti que je pouvais m’exprimer par la danse, qui est devenue un exutoire."
Bien que vous dansiez aujourd’hui du contemporain, vous avez commencé par le hip-hop. Comment avez-vous évolué entre ces deux styles?
"Je dansais déjà seul dans ma chambre depuis plusieurs années avant de suivre mon premier cours de danse, à l’âge de 12 ans. Ça a été le hip-hop parce que c’était le seul style disponible et que je m’y sentais à ma place."
"À partir de 15 ans, je me suis lancé dans la danse moderne et contemporaine. J’éprouvais aussi un certain intérêt pour le ballet, mais à l’époque, chaque fois que je poussais la porte d’une classe de ballet, je me rendais vite compte qu’il n’y avait pas de connexion entre moi et les danseurs. Après mes études secondaires, comme j’étais intéressé à la fois par la mode et la danse, j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour aller à Los Angeles, l’épicentre de la danse commerciale où se trouvent des écoles comme le Millennium Dance Complex. C’est là que les stars viennent chercher leurs danseurs. Même si je me suis bien amusé là-bas, j’ai senti que j’avais besoin de plus de profondeur pour comprendre ce que je faisais."
"Dès mon retour en Belgique, j’ai passé l’examen d’entrée en danse au Conservatoire royal d’Anvers. J’ai tout de suite senti que j’y étais à ma place. En ce sens, je compare souvent la danse à la mode. Tout comme les créateurs de mode travaillent avec une certaine esthétique et des références quand ils créent des vêtements, les chorégraphes élaborent une pièce de danse. Tout comme les créateurs de mode collaborent avec les ‘petites mains’ pour donner vie à leurs créations, les chorégraphes travaillent avec les danseurs. Dans la danse comme dans la mode, on raconte une histoire avec son esthétique, ses cadres de référence et ses moodboards. Le processus créatif est similaire."
"Beyoncé a un don pour ne pas tout faire tourner autour d’elle. Quand elle est dans un studio de danse, on ne voit pas une mégastar, mais une femme créative qui met l’accent sur le savoir-faire."Nick Coutsier
Vous êtes à la fois danseur pour des compagnies comme le Ballet Vlaanderen de Sidi Larbi Cherkaoui, movement director travaillant avec des mannequins et des musiciens, et vous continuez à créer vos propres chorégraphies. Comment passez-vous d’un projet à l’autre?
"La chorégraphie, la ‘movement direction’ et la danse forment les trois piliers de mon travail. Dès qu’il y a du mouvement, je suis dans mon élément. L’année dernière a surtout été marquée par l’alternance de ces différents rôles. Mes projets naissent de rencontres, de conversations et de curiosité. En ce sens, mon identité et mon travail sont étroitement liés, car pour des rencontres sincères et authentiques, il faut être soi-même. Le mouvement a pour moi trois facettes. Outre le mouvement physique du corps, mon travail peut aussi transformer des idées et même provoquer des changements politiques. En tant qu’artiste du mouvement curieux de nature, je me nourris personnellement et j’étanche ma soif de collaborations. Depuis que j’ai 30 ans, je réalise à quel point le temps est magique. Mon travail attire davantage l’attention, et j’ai l’impression que les graines que j’ai semées au cours des 20 dernières années commencent enfin à germer. Sans vouloir paraître prétentieux, je trouve cela très gratifiant. Surtout pour quelqu’un de très impatient de nature!" (rires)
Vous êtes aujourd’hui l’expert et le visage de l’exposition "Fashion Moves". Selon vous, où se situe le lien entre la mode et la danse?
"Pour moi, chaque rôle commence par une question: que vais-je porter? Non parce que la tenue doit être cool, mais parce que les vêtements influencent et peuvent inspirer votre rôle et vos mouvements. Que les danseurs soient habillés en blanc, en tenue de sport ou en jeans et T-shirt, chaque choix raconte une histoire différente et touche un public différent. J’aime cette approche holistique d’un spectacle de danse. La collaboration entre le danseur et le styliste est également cruciale. Lors d’un essayage, le danseur bouge d’abord dans tous les sens pour voir comment les vêtements s’adaptent à son corps. Dans le monde de la danse, votre styliste est votre meilleur ami."
À propos de meilleur ami, vous avez également dansé aux côtés de Beyoncé dans "Black is King", son film.
"Je travaillais à Genève quand Sidi Larbi Cherkaoui m’a appelé. Il travaillait déjà avec Beyoncé à l’époque et m’a demandé si je pouvais le retrouver à Anvers le lendemain. Je lui ai dit que j’étais à Genève! Il m’a répondu: ‘Alors, saute dans un avion!’ Le lendemain, nous avons travaillé sur un solo, sans plus de détails. Jusqu’à ce qu’à la fin de la répétition, il lâche: ‘Ah oui, au fait, c’est pour Beyoncé.’ Le lendemain, je prenais l’avion pour Los Angeles avec Josepha Madoki, un ami danseur. Nous allions enseigner notre danse à Beyoncé. Nous l’avons rencontrée et lui avons présenté notre danse, et Beyoncé a très gentiment répondu: ‘En fait, les gars, je veux que vous la dansiez vous-mêmes.’ Et voilà."
Qu’est-ce qui vous passe par la tête lorsque vous vous retrouvez soudain, sous le coup du décalage horaire, devant une personne comme Beyoncé et qu’elle vous demande de lui montrer une danse?
"Pour être honnête, c’était une dissociation totale! (rires) Un instant, nous entrions dans le studio à Los Angeles et je me disais: ‘C’est cool, il n’y a que des danseurs noirs.’ Et l’instant d’après, je revenais dans la salle de danse après un passage par le lobby, et soudain, Beyoncé se tenait à côté de moi. Je ne l’avais pas vue entrer. Tout cela m’a semblé très sincère. Elle a une sorte de don pour ne pas faire tourner les choses autour d’elle. Lorsqu’elle est dans le studio de danse, on ne voit pas une mégastar, mais une femme créative axée sur le savoir-faire. Les personnes véritablement talentueuses et créatives sont souvent incroyablement inspirantes en raison de leur dévouement à leur métier – c’est aussi quelque chose que je remarque chez Williams et Cherkaoui. L’ego et les jeux politiques les laissent froids. Lorsqu’ils entrent dans une pièce, il est clair que c’est dans un but précis: nous sommes ici pour créer."
Vous venez d’avoir 30 ans et avez travaillé avec Beyoncé et Pharrell Williams. Vous arrive-t-il de vous pincer le bras pour vous assurer que tout cela est bien réel?
"Je ne suis pas du genre à être arrogant et à me couvrir de compliments sur l’ampleur de mes réalisations. Même si mon thérapeute me dit que ce ne serait pas mal de me donner une petite tape dans le dos de temps en temps! (rires) J’adore avoir plus d’opportunités, être responsable de mes missions et savoir que c’est vraiment ce que je veux faire. Actuellement, je coréalise mon premier film avec un ami. Il s’agit d’une fusion de danse, de mode et de cinéma, avec 20 danseurs d’une compagnie londonienne. Tout ce que j’aime s’y retrouve. Pour ce qu’il en est d’autres projets, je ne peux encore rien vous révéler."
"Fashion Moves"
Jusqu’au 31 août au MAD Brussels,
place du Nouveau Marché aux Grains 10 à Bruxelles
| www.mad.brussels |