L’art n’est pas un accessoire dans la vie des créateurs Pietro Loscalzo (Moschino) et Jacopo Colimodio (Bally). À Milan, ils ont transformé un ancien hammam en appartement de style loft où nicher leur collection d’art ancien et moderne.
Les intérieurs des créateurs de mode échappent aux tendances, transcendent le rythme des collections et ignorent les folies du moment. Ce sont évidemment des espaces inspirants et, pourtant, on ne peut pas les qualifier de "tendance". Ce qui est, pour une fois, très rafraîchissant. Les habitations privées des créateurs révèlent principalement l’univers créatif dans lequel, saison après saison, ils puisent leur inspiration. "La mode est liée à un moment particulier, alors que, chez moi, je cherche une manière de faire cohabiter des pièces de différentes époques, afin qu’elles transcendent cette temporalité", explique Pietro Loscalzo, créateur en chef des souliers chez Moschino.
Avec Jacopo Colimodio, créateur en chef du studio de design de Bally, il vit entouré d’une collection d’art et de design qui fait le grand écart entre peintures baroques et pièces contemporaines. Qui irait associer les chaises rouges et bleues de Gerrit Rietveld à des meubles haute époque? Et qui s’installe à une table hollandaise du XVIIe siècle sous un lustre vert vif pour prendre son petit déjeuner, assis sur des "Workshop Chairs" de Jerszy Seymour?
Et tout cela, dans un ancien hammam milanais qui était d’une laideur indescriptible...
Pietro Loscalzo: "Quand nous l’avons acheté, le hammam avait déjà été transformé en appartement, mais il était vraiment hideux. Même s’il était en vente depuis longtemps, nous lui trouvions beaucoup de potentiel. S’installer ici était un choix rationnel, pas un coup de cœur: nous savions que nous pourrions y créer le contexte adéquat pour notre collection. L’emplacement, dans le quartier de Porta Venezia, était moins important. Il correspondait à la façon dont nous voulions vivre."
Viviez-vous donc d’une manière si différente?
Pietro Loscalzo: "Nous vivions dans un appartement classique dans le quartier de Porta Romana, dans lequel notre collection n’était pas mise en valeur. Avant de m’installer à Milan, il y a neuf ans, je vivais dans un village de Toscane où j’avais rénové un petit appartement, comme celui que nous avons maintenant à Milan. Certaines des œuvres d’art et des objets se trouvent encore dans notre collection. Le grand tableau du XVIIe siècle, qui est accroché à la bibliothèque, vient de la collection familiale de Jacopo. Cette œuvre a été peinte par un maître napolitain avec l’aide de Giovanni Battista Colimodio, un ancêtre de Jacopo."
Jacopo Colimodio: "Je suis issu d’une famille de la noblesse italienne, dont les racines les plus anciennes remontent à 1014. Mes parents étaient des collectionneurs nés, et ils avaient hérité d’énormément d’art et d’antiquités. J’ai eu la chance de grandir entouré de belles pièces, et j’ai très vite compris qu’il était fondamental de les préserver. Après moi, ces pièces connaîtront une nouvelle vie, dans une autre collection."
Pietro Loscalzo: "Je ne suis pas issu d’une famille d’esthètes, mais d’un milieu simple qui accordait de l’importance aux valeurs familiales. Chez nous, on préférait transmettre l’amour. J’ai appris la culture en autodidacte."
Accrocher des peintures baroques à une bibliothèque est inhabituel, et les combiner avec des pièces de designers comme Ettore Sottsass et Marcel Wanders l’est encore plus. Où avez-vous trouvé votre inspiration?
Pietro Loscalzo: "Nous avons été inspirés par la façon dont Vincenzo Porcini présentait ses œuvres dans sa galerie, à Naples. Dans cet espace blanc aseptisé, agrémenté de béton, il mélangeait des antiquités avec des peintures de maîtres du XVe au XVIIe siècle. Grâce à lui, j’ai compris qu’il est fascinant de magnifier des pièces anciennes avec des créations contemporaines."
On dirait que, quel que soit leur âge, les œuvres et objets qui se trouvent ici engagent un dialogue. Nous distinguons des éléments récurrents, des références à la métaphysique et au savoir-faire au fil des siècles. Recherchez-vous certaines "conversations" entre les pièces?
Pietro Loscalzo: "Oui, absolument. Pour les antiquités et l’art, nous nous concentrons sur la haute époque, du XIVe au XVIIe siècle. Nous les mélangeons à des objets de design contemporains. Notre chambre en est un parfait exemple: elle combine un meuble Renaissance en trompe-l’œil extrêmement rare, un miroir ‘Diva’ tout aussi rare de Sottsass pour Memphis Milano ainsi que deux chaises ‘Zigzag’ de Gerrit Rietveld. Pour nous, objets uniques et production en série peuvent parfaitement être combinés sous un même toit pour créer des contrastes et faire des ‘erreurs délibérées’. C’est pourquoi Jacopo et moi avons conçu les espaces, mais aussi les finitions et l’aménagement intérieur. Une maison est trop personnelle pour en confier la conception à un inconnu. En fait, notre architecte n’a servi qu’à régler la paperasse."
Il est clair que les pièces de cet intérieur n’ont pas été achetées d’un seul coup.
Jacopo Colimodio: "Quand j’étais jeune, je m’intéressais déjà aux objets rares. J’étais un enfant introverti. J’aimais étudier et découvrir de nouvelles choses par moi-même. D’abord seul, ensuite avec Pietro."
Pietro Loscalzo: "Nous sommes des collectionneurs depuis longtemps. En prenant notre temps et en voyageant dans le monde entier, nous avons pu nous constituer une collection. Et elle continue à évoluer. Nous aimons l’art, les antiquités, la mode, la musique, le cinéma et les intérieurs. Autrement dit, tout médium qui stimule à produire de la beauté. Toutes ces disciplines sont une affaire de goût et de rêve qu’on ose."
Quels sont vos critères pour acheter une œuvre d’art ou un objet design? Quand un objet entre-t-il dans votre collection? Ici, vous semblez jouer avec presque toutes les combinaisons.
Pietro Loscalzo: "Tout d’abord, nous devons ressentir la passion et la culture. Il y a déjà tellement d’histoire derrière nous! La connaissance de notre passé est essentielle pour comprendre le présent et améliorer l’avenir. Nous aimons donc créer des contrastes entre le passé et le présent avec des combinaisons inhabituelles. Il n’y a pas de système dans nos achats. Tout dépend du moment où nous découvrons un artiste, un objet ou son histoire."
Jacopo Colimodio: "Pour moi, le coup de foudre est indispensable. Pour tout ce que j’ai acheté, je me suis décidé en une seconde. Si je réfléchis trop longtemps, je regrette mon achat."
Avez-vous atteint les limites de votre collection?
Jacopo Colimodio: "Notre passion et nos connaissances nous ont rendus un peu gourmands. Par conséquent, notre liste de souhaits est vraiment infinie. Et elle change constamment."