Le Bruxellois Vexx, créateur de NFT pour Gucci

Vince "Vexx" Okerman est devenu une star sur YouTube avec son doodle-art coloré et ses vidéos flashy. Le Bruxellois est aujourd’hui passé aux choses sérieuses grâce à ses projets NFT et à une collaboration avec Gucci et Porsche.

Si vous n’y avez jamais mis les pieds, vous ne savez pas que ce portail, dans une ruelle de Molenbeek, cache une grande cour intérieure et de magnifiques lofts. De même, jusqu’il y a peu, nous ne savions pas que le nom de Vince Okerman (23 ans) indiqué sur la sonnette cachait le phénomène Vexx, un jeune artiste belge aux millions de fans. Son atelier ressemble à un terrain de jeu créatif pour grands ados: punching-ball, grande table à dessin, bacs de Lego, livres sur Banksy et Basquiat et, joyau de sa collection de sneakers, une paire de Nike Air Mags, le modèle porté par Michael J. Fox dans "Retour vers le futur II", avec leds et lacets autolaçants. C’est le collector Nike le plus convoité - il vaut 30.000 euros, une somme que Vexx a pu débourser.

Le jeune artiste bruxellois Vince Okerman compte plusieurs millions de fans dans le monde.
Le jeune artiste bruxellois Vince Okerman compte plusieurs millions de fans dans le monde.
©Diego Franssens
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Une douzaine de visages riants vous accueillent à votre arrivée: Elmo de "Rue Sésame", Bob l’éponge, le smiley tournesol de Takashi Murakami. Au mur, la preuve qu’ici, outre "play hard", le mantra est surtout "work hard": la feuille intitulée Objectifs 2021/2022 affiche son plan d’action. Exposer une grande œuvre d’art sur Times Square - check. Une œuvre dans un musée - check. Autre entrée sur sa liste:
collaborer avec une maison de mode de luxe. "Je n’ose pas la cocher avant que ce soit définitivement lancé", avoue le Bruxellois.

Mais c’est en bonne voie: la maison italienne Gucci a demandé à Vexx de réaliser deux œuvres d’art numériques pour son centième anniversaire, qui seront vendues en tant que NFT sur Gucci x Vault, le site de vente en ligne du label italien. Une proposition que Vexx a reçue via un petit message sur Instagram. "Je me suis demandé si c’était vrai. Je ne sais pas du tout comment Gucci a eu l’idée de s’adresser à moi. Ils aiment mon travail, c’est tout ce que je sais. La scène artistique NFT est un petit monde. Quand j’ai vu la liste des autres artistes qui vont collaborer au projet, j’ai été étonné: Gucci n’a pas choisi les plus grands noms, mais des artistes qui, chacun, apportent quelque chose d’unique. C’est intéressant de voir que les grandes maisons de mode sont des pionnières du métavers et adhèrent aux innovations."

Une des deux œuvres que vexx a créées pour Gucci.
Une des deux œuvres que vexx a créées pour Gucci.
©Diego Franssens

A-t-il négocié quand il a reçu cette proposition de Gucci? "Non, c’est une opportunité fantastique. La seule chose que j’ai fait supprimer dans le contrat, c’est l’obligation de poster au moins dix publications concernant le projet sur les réseaux sociaux. Bien sûr, je suis emballé par cette collaboration et je vais donc utiliser mes plateformes pour montrer cette œuvre, mais en mode authentique et pas comme une obligation contractuelle. Je dois mettre davantage l’accent sur mon art!"

Les deux créations "Gucci x Vexx" sont prêtes et se trouvent dans un coin du studio, ce qui, en soi, est étonnant étant donné qu’elles n’existent que virtuellement. L’artiste a fait imprimer ses dessins, créés sur son iPad, sur une grande toile, même si, pour lui, l’œuvre "physique" passe souvent au second plan. "Cela ne fait qu’un an que j’ai sorti mon premier NFT, mais cela m’a ouvert un monde entièrement nouveau. Tout à coup, j’ai pu donner vie à mes dessins dans des animations 3D. Je fais parfois des œuvres purement virtuelles, mais j’aime aussi combiner le physique et le numérique, cela crée une infinité de possibilités."

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Ethereum et bitcoin

Par exemple, "Moon", vendue sur SuperRare, un site de vente d’art en ligne, pour 35.000 euros, qui orne son mur dans l’attente de sa nouvelle destination. L’acheteur anonyme, dont le pseudo est "33", est l’un des plus grands collectionneurs de NFT et il compte la prêter au Moco d’Amsterdam. D’où le check au mur pour une œuvre dans un musée, autre concrétisation d’un objectif. Cette œuvre, peinte à l’acrylique sur un panneau en bois, semble ordinaire, sauf que les yeux de la tête de mort colorée sont constitués d’écrans sur lesquels tournent une animation: des marionnettes dansantes qui affichent le cours de la cryptomonnaie ethereum dans l’œil gauche et du bitcoin dans l’œil droit. Outre la "sculpture" physique, l’acheteur de "Moon" reçoit également une version NFT animée, qui réagit aux événements en temps réel.

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"Moon" a été vendue pour 35.000 euros à l’un des plus grands collectionneurs de NFT. Dans Les yeux de la tête de mort, se trouvent des écrans numériques qui reflètent la valeur de l’ethereum et du bitcoin. Cette œuvre sera exposée au Musée Moco d’Amsterdam.
"Moon" a été vendue pour 35.000 euros à l’un des plus grands collectionneurs de NFT. Dans Les yeux de la tête de mort, se trouvent des écrans numériques qui reflètent la valeur de l’ethereum et du bitcoin. Cette œuvre sera exposée au Musée Moco d’Amsterdam.
©Diego Franssens

"Quand vous lisez quelque chose à propos des NFT, cela concerne souvent les Bored Apes ou les crypto collectibles", précise Vexx. "Mais ce que l’art dynamique permet est absolument indescriptible et n’est pas assez mis en évidence. Un "smart contract" permet de définir ce que vos œuvres d’art vont devenir et d’offrir à l’acheteur certaines surprises et récompenses, que l’on appelle des "airdrops". Par exemple, le propriétaire de "Moon" va recevoir un nouveau NFT en cadeau de ma part dès que l’ethereum ou le bitcoin aura atteint un certain cours. Vous donnez ainsi un avantage à ceux qui gardent votre œuvre plus longtemps. Je mets un point d’honneur à offrir un package complet avec mes œuvres d’art uniques: un NFT avec une belle déclinaison physique à exposer chez soi et une série d’expériences en bonus. C’est passionnant: une œuvre d’art NFT n’est jamais achevée. En tant qu’artiste, vous pouvez constamment la faire évoluer. En principe, je peux définir par contrat ce que mon œuvre va devenir au cours des 200 prochaines années, alors que je ne serai plus là depuis longtemps. La seule condition est que l’internet et la technologie blockchain existent encore, ce que nous escomptons!" (rires)

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Douce revanche

Vexx est un exemple éclatant de la "creators economy" moderne, caractérisée par des artistes qui savent se vendre en exploitant les possibilités des réseaux sociaux, sans avoir besoin de passer par des institutions puissantes telles que les galeries, les maisons d’édition ou les maisons de disques. "J’ai pu atteindre un public mondial par moi-même, c’est fantastique. Pour moi, les médias sociaux ont été un parfait tremplin, et les NFT m’offrent à présent un raccourci vers le 'vrai' travail d’artiste."

Il y a quelques années, son ambition ultime consistait à dépasser la barre du million de followers sur YouTube. Aujourd’hui, il vise plutôt une exposition dans un musée d’art moderne. "Le MoMA a-t-il déjà des NFT dans sa collection?", demande-t-il.

Depuis, la liste de ses objectifs pour cette année s’est allongée. Il s’est lancé à la poursuite d’un autre rêve de jeunesse: "J’ai toujours aimé dessiner des voitures et j’ai même présenté mes croquis à BMW au Salon de l’Auto. Ils m’ont répondu que mes dessins étaient drôlement bien et qu’ils pourraient certainement en faire quelque chose. Il a fallu des années avant qu’ils ne prennent au sérieux le garçon de douze ans que j’étais. (rires). D’ailleurs, je pense qu’ils ont jeté les dessins sur lesquels j’avais passé tellement de temps."

Une paire de Nike Air Mags, le modèle que Michael J. Fox portait dans le film "Back to the Future II", avec des lumières LED et des lacets autolaçants. C’est sans doute la pièce de collection Nike la plus convoitée, d’une valeur de 30.000 euros.
Une paire de Nike Air Mags, le modèle que Michael J. Fox portait dans le film "Back to the Future II", avec des lumières LED et des lacets autolaçants. C’est sans doute la pièce de collection Nike la plus convoitée, d’une valeur de 30.000 euros.
©Diego Franssens

Douce revanche, nous précise-t-il sans avoir l’air d’y toucher, mais, aujourd’hui, il a conclu un contrat avec Porsche: une édition limitée de la Porsche Vision Gran Turismo signée Vexx apparaîtra très bientôt dans le jeu vidéo éponyme.

Ses parents ont été extrêmement soulagés quand leur fils a opté pour des études prometteuses en sciences économiques appliquées, renonçant ainsi à cette idée folle de formation artistique. Dessiner n’est rien de plus qu’un hobby sympa, n’est-ce pas? "Je savais que je ne finirais pas à l’unif", nous avoue Vexx. "Avoir un diplôme me semblait une bonne idée pour pouvoir retomber sur mes pattes. J’avais réussi les deux premières années, mais, dès que j’ai commencé à suffisamment bien gagner ma vie grâce à mon art, j’ai franchi le pas."

"Faire du doodle-art n’est pas une profession, m’a-t-on dit. Eh bien, j’ai pensé, comment puis-je en faire une profession?"
Vince "Vexx" Okerman
Star de Youtube

À l’âge de 16 ans, alors qu’il avait un job d’été barbant, Vexx envisage une échappatoire. "Pendant tout un été, j’ai passé mon temps à ranger des dossiers et à faire ce genre de choses dans un bureau. Pour moi, c’était l’enfer. Je dessinais bien et il n’y a rien que je préfère à cela, mais je savais que personne ne me proposerait un emploi. Dessiner des doodles n’est pas un métier, me disait-on. OK, me suis-je dit. Comment en faire un métier alors?"

En décollant la feuille "objectifs 2021/2022" du mur, on peut suivre la voie qu’il a tracée pour sa carrière. Il s’est fixé un plan ambitieux depuis des années, requérant énormément de créativité, mais aussi de discipline. Et il a ainsi pu cocher la réalisation de ses rêves et de ses objectifs. "J’ai lu beaucoup de livres sur la gestion du temps et sur ce genre de choses." Vexx a commencé par publier un nouveau dessin chaque jour sur Instagram, pour s’exercer et parce que "les algorithmes des médias sociaux aiment la cohérence". Sa popularité s’est accrue, mais il restait sur sa faim. Travailler chaque jour des heures à un dessin pour que quelqu’un se contente de poster un petit cœur et passe à autre chose deux secondes plus tard?

Le personnage de Bob l’éponge est l'une des sources d’inspiration du Bruxellois.
Le personnage de Bob l’éponge est l'une des sources d’inspiration du Bruxellois.
©Diego Franssens

"Il m’a semblé plus intéressant d’expliquer le processus de création. J’ai donc commencé à faire des vidéos sur YouTube, où, pendant 5 à 10 minutes, j’explique en détail l’ensemble du processus, de l’idée à l’exécution. Au début, j’ai cherché et tâtonné. J’avais fixé mon smartphone à une lampe sur pied, comme un support improvisé. Petit à petit, le résultat est devenu plus professionnel et j’ai fini par réaliser des clips vidéos divertissants, que je montais rapidement." Vexx a cartonné avec des prouesses comme la réalisation d’une œuvre d’art avec un million de blocs Lego ou la peinture d’une mini-Tesla et d’une mini-Lamborghini (qu’il a ensuite données). Ses vidéos lui ont rapidement permis d’en tirer des revenus, par le biais des contrats de sponsoring, de la publicité et de la vente de merchandising, comme ses dollars peints ou ses skateboards customisés. Oui, Vexx a du talent à revendre en tant que dessinateur, mais il semble aussi être doué en marketing.

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Limites

Il est arrivé à un tournant quand il a atteint le million de followers sur sa chaîne YouTube et qu’il a décidé d’arrêter ses études d’économie. Aujourd’hui, son compteur affiche 2,99 millions de followers. "Cela va si vite sur les réseaux sociaux! Si vous voulez bâtir quelque chose, vous devez vous y consacrer en permanence ou vous disparaîtrez. Chaque seconde passée à faire autre chose que mon travail me semblait du temps perdu. Ce que je fais peut donner l’impression que je joue, et c’est en partie vrai, mais, en réalité, je travaille hyper dur. La réalisation et le montage demandent un temps incroyable et j’ai dû tout apprendre par moi-même. Pour une petite vidéo, je m’enfermais parfois pendant une semaine complète, durant laquelle je passais mon temps entre mon lit et mon ordinateur, cinq ou six longues journées d’affilée. Pendant le confinement, j’ai voulu faire des trucs encore plus fous et ambitieux. Et j’ai atteint mes limites."

©Diego Franssens

"Je travaillais constamment, j’étais vraiment sous pression et je n’avais pas de temps de voir mes amis ni de me détendre. Comme devenir artiste était mon rêve, je voulais tout faire pour y arriver, d’autant plus que j’avais arrêté mes études. Peut-être que je m’étais fixé des exigences trop élevées." Il a donc eu besoin de se ressourcer. "Au début, pour avoir des clics, vous devez sortir du lot sur les réseaux sociaux, avec des titres un peu putaclics comme 'Painting a Tesla' ou 'Painting on the world’s most expensive sneakers'. Oui, ça marche. Je suis toujours content et fier de ce que j’ai pu réaliser grâce à YouTube. Mais, parfois, j’avais l’impression de jouer un rôle. Est-ce qu’à trente ans, je voulais encore proposer des prouesses ludiques et des petits trucs sur YouTube? Le moment était venu de faire un reset et les NFT sont entrés dans ma vie au bon moment."

"C’était fin 2020, avant qu’un NFT de Beeple soit vendu chez Christie’s pour le montant record de 69 millions de dollars. C’est alors que le monde entier a compris que cela allait devenir énorme. À cette époque, j’ai pris un peu de recul par rapport à ma chaîne YouTube pour me plonger dans les NFT. Mon cerveau bouillonnait de nouvelles idées et d’inspirations que j’ai concrétisées."

"The most important artwork I've ever made."

Dilemme

Vexx réalise de plus en plus souvent des œuvres d’art NFT purement virtuelles. Pour beaucoup, cela reste un pas difficile à franchir: pourquoi dépenser de l’argent pour quelque chose qui n’existe qu’en pixels? "Dans mon esprit, c’est très logique, peut-être parce que, par le passé, j’ai toujours beaucoup joué aux jeux vidéos. Quand j’avais dix ans, je jouais à "RuneScape": quand je voyais quelqu’un avec une armure en diamant, je pensais: waouh, moi aussi j’en veux une!, de la même manière que d’autres veulent de nouvelles sneackers", raconte Vexx. "Je trouve cela étrange de voir à quel point les gens sont encore attachés à des biens matériels, alors que notre vie se joue de plus en plus en ligne. Le coronavirus a encore accéléré cette évolution. Personne ne voit quels vêtements de designer vous portez quand vous êtes seul chez vous face à votre ordinateur. Par contre, vous pouvez montrer à tout le monde vos tenues numériques. Tout est possible dans le métavers, vous pouvez porter un pull avec des ailes ou changer de couleur toutes les semaines, il n’y a plus de limites."

"J’ai pu rassembler un public mondial depuis ma chambre, tout seul: c’est fantastique."
Vince "Vexx" Okerman

"On me demande souvent pourquoi je n’ouvre pas une boutique à Bruxelles ou quand je ferai une expo. Mais je vois de plus en plus les limites de l’œuvre d’art physique: l’emballage, l’expédition, le stockage... Pourquoi est-ce que je me donnerais tout ce mal alors que je peux toucher un très large public et dans le monde entier en ligne grâce à des NFT? Comme tout le monde, j’ai mon smartphone en poche à toute heure de la journée et donc, j’ai toujours ma collection de NFT sur moi, ce qui me rend  très heureux. Vous savez, souvent les œuvres d’art finissent dans un entrepôt."

Scotchée au mur, la liste des objectifs de Vexx, dont la coopération avec une maison de mode de luxe - un souhait concrétisé grâce à Gucci.
Scotchée au mur, la liste des objectifs de Vexx, dont la coopération avec une maison de mode de luxe - un souhait concrétisé grâce à Gucci.
©Diego Franssens

Plaçons à présent Vexx face à un dilemme: l’artiste Damien Hirst a réalisé une série d’œuvres d’art avec une version "réelle"et une version NFT. Après un an, l’acheteur doit choisir: conserver l’œuvre au mur, ce qui va entraîner la destruction du NFT, ou opter pour le NFT et voir l’œuvre d’art physique mise au feu. Qu’est-ce que Vexx choisirait? "J’achèterais les deux", rit-il. "J’ai hésité un peu, mais c’était trop cher. J’ai misé sur le fait que les prix allaient baisser, mais je le regrette. Je pense que je choisirais le NFT, car des bonus y sont parfois associés. C’est là que réside l’avenir de l’art NFT: la base de données à laquelle vous avez accès via la blockchain le rend très intéressant. En effet, en tant qu’artiste, vous pouvez développer une communauté et entrer en interaction avec vos acheteurs. Par exemple, je peux donner accès à toutes les personnes qui possèdent un de mes NFT à certains événements ou à une vente pour qu’ils puissent acheter de nouvelles œuvres."

Oui, il le sait, nombreux sont ceux qui disent que les NFT ne sont qu’une mode, purement commerciale. "Pourquoi? Le monde de l’art traditionnel n’est-il pas, lui aussi, une question d’argent?", réagit Vexx. "Je trouve toute cette opposition fascinante: tous les nouveaux mouvements qui ont vu le jour dans le domaine de l’art ont suscité, dans un premier temps, de l’aversion et de l’opposition. C’est bon signe. Plus les gens disent que ce n’est pas de l’art, plus j’y crois!"(rires)

Les NFT de Vexx x Gucci sont à découvrir sur le site www.vault.gucci.com

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