Début décembre, le Musée royal de l'Afrique centrale rouvrira enfin ses portes. À Kinshasa, on met la dernière main au rêve de Mobutu: avoir son Musée de l'Afrique. Une histoire d'espoir, de cuivre et d'art disparu.
Le président Mobutu Sese Seko rêvait d'un grand 'Musée de l'Afrique' pour la capitale du Zaïre, Kinshasa, mais c'est finalement le Président Joseph Kabila qui en récoltera les fruits, en 2019. Ce nouveau Musée, situé à côté du Parlement de Kinshasa, sera prestigieux.
Les motifs en forme de losange ornant l'extérieur font référence aux palais royaux traditionnels des Kuba, une confédération qui regroupait douze groupes ethniques et qui a prospéré entre les XVIIème et XIXème siècles. On pourra y admirer des dizaines de milliers de masques, sculptures, objets usuels tribaux, objets archéologiques, enregistrements ethnographiques de musique et oeuvres d'art modernes. Un joli boost pour la fierté nationale du peuple Congolais.
Le musée deviendra bientôt l'un des plus importants musées d'Afrique. Mais soulève tout de même quelques questions. "Un projet de musée national est bon pour le patriotisme, mais la population est aujourd'hui tellement appauvrie qu'un musée est sans doute le cadet de ses soucis. Disons-le crûment: quelle est l'utilité d'un musée quand on n'a rien à manger?", s'interroge Sarah Van Beurden, professeur belge d'études africaines à l'Ohio State University, aux États-Unis.
Spécialiste de l'histoire coloniale belge, elle a étudié la genèse des musées (post)coloniaux au Congo et à Tervuren. "Bien que le pays soit toujours en crise, un tel musée a aussi une valeur économique: il génère des revenus et attire les touristes."
Mont Ngaliema
Flashback à la fin des années 60, quand Mobutu (1930-1997) rêvait de son 'Tervuren'. Des projets qui ont surtout pris de l'ampleur après la visite officielle de Léopold Senghor, président du Sénégal, en 1968. Celui-ci lui aurait demandé de voir 'le musée et l'art congolais de réputation mondiale'. Mobutu dut reconnaître à contrecoeur qu'il n'en avait pas (encore).
Deux ans plus tard, il signe un accord de collaboration avec le Musée royal de l'Afrique centrale pour ce qui deviendra l'Institut des Musées Nationaux du Congo (IMNC). Il met à profit le savoir-faire belge: les Belges avaient de l'expérience dans la recherche, la constitution de collections et la politique muséale à Tervuren et, ce, depuis 1910.
Ainsi, en 1970, dans l'attente d'un bâtiment bien à lui, le musée de Kinshasa est provisoirement hébergé dans des infrastructures sur le Mont Ngaliema, une colline qui longe le fleuve Congo et où Mobutu avait fait installer son parc présidentiel avec un zoo. Jusque-là, le service technique du président se trouvait dans les bâtiments temporaires du musée, entre le théâtre en plein air et les cages d'animaux sur la colline.
Ce Mont Ngaliema est un lieu symbolique qui, à l'époque coloniale, s'appelait Mont Stanley: il y avait là une statue de l'explorateur qui avait descendu le fleuve Congo pour le compte du roi Léopold II.
Mobutu voulait que son projet muséal n'ait rien à envier en termes de prestige à celui que Léopold II avait fait ériger à Tervuren. Il fit donc appel à l'architecte belge Henri Puyts, qui acheva les plans en 1971. Ce dernier s'est inspiré de Tervuren et du château de Versailles. La rue menant au domaine du musée faisait écho à la grandeur de l'avenue de Tervuren à Bruxelles.
Le parc devait compter des jardins, des monuments, des fontaines, des avenues, un musée d'histoire naturelle, un zoo ainsi qu'un Musée de l'Afrique avec tout ce qui va de pair: 800 mètres carrés d'espace d'exposition, 500 mètres carrés pour les dioramas, une cafétéria, des laboratoires de recherche et un dépôt pour la grandissante collection.
Mais, l'architecte voit ses projets grandioses réduits à néant: Mobutu ne libère pas assez de fonds pour la construction du nouveau bâtiment. Et les projets furent abandonnés à partir de 1975, quand le Zaïre connaît des problèmes financiers encore plus graves, suite aux nationalisations, à la crise pétrolière et à la corruption.
Land Rover immergée
Si les bâtiments du Mont Ngaliema avaient beau être provisoires, le musée ne pouvait pas se plaindre de son budget de fonctionnement: au début des années 1970, l'industrie du cuivre tourne encore à plein rendement. De plus, Mobutu injectait beaucoup d'argent dans le fonctionnement du musée (pas dans le bâtiment), parce qu'avec sa politique d'authenticité, il voulait rendre son identité au pays. C'est à cette époque qu'il fonda également le Ballet national et la Bibliothèque nationale.
Les fonds étaient plus que nécessaires, car, lors de la fondation de l'IMNC, il a fallu repartir de zéro en termes de patrimoine. Les collections des anciens petits musées coloniaux étaient, certes, devenues propriété de l'État après l'indépendance, mais la plupart des objets d'art avaient disparu lors des événement des années 1960.
Au début des années 1970, le président sponsorisa des expéditions sur le terrain pour compléter la collection. Entre 1970 et 1990, elle s'enrichit de 35.000 à 50.000 pièces, dont la plupart furent trouvées lors de 119 expéditions. À titre de comparaison, Tervuren en possède 125.000. Sous la supervision de l'équipe belge, des explorateurs parcoururent le Congo en quête d'objets d'art. Comme le prouvent les rares rapports d'expédition, ces voyages furent tout sauf simples.
En 1970, Mobutu Sese-Seko rêvait d'un grand 'Musée de l'Afrique', inspiré du 'musée royal de l'Afrique centrale' à Tervuren et du château de Versailles.
À la recherche d'art ethnique, les équipes sillonnaient le pays à bord des deux Land Rover dont disposait le musée. Mais, vu l'état des routes, elles tombaient tout le temps en panne, parfois pendant des semaines. Les routes s'avéraient parfois même totalement impraticables et les chercheurs devaient faire demi-tour.
Lors d'une mission en 1972, une Land Rover fut immergée et quand elle sortit de l'eau, les centaines de statues et de masques collectés avaient subi des dommages irréparables. Les enregistrements ethnologiques sonores destinés à la recherche musicologique furent également détruits.
Musicien de jazz en service
La politique muséale stipulait que tout ce qui avait été recueilli au cours de ces expéditions devait d'abord être présenté au musée. Ce qui, pour l'IMNZ, ne valait "scientifiquement pas la peine d'être collectionné" pouvait être mis sur le marché de l'art. La qualité de cette collection en devenir était aussi étroitement surveillée depuis Bruxelles. À cette fin, Albert Maesen, responsable du département ethnologique de Tervuren, se rendait régulièrement à Kinshasa.
Lors de sa première visite, en 1971, le musée avait déjà récolté 12.000 objets d'art, dont il pointa "l'exceptionnelle qualité" d'une trentaine de pièces.
De 1970 à 1976, le Belge Lucien Cahen fut à la fois le directeur de Tervuren et de l'IMNC. Pour cela, il dirigeait une équipe de quatre Belges complétée par des jeunes chercheurs Zaïrois. Trois des Belges étaient payés par la Belgique et le quatrième, par le Zaïre, Charlie Hénault, un musicien de jazz qui se trouvait déjà sur place parce qu'il jouait dans le groupe African Jazz.
L'objectif initial était de constituer et de gérer une collection. Même si, dès 1975, il y avait également un conservateur d'art moderne, la collection était principalement composée d'objets d'art archéologiques et ethniques. L'idée de base était bonne: former le personnel du musée et confier, à terme, l'administration aux Zaïrois. Cependant, dans le nouveau musée, des tensions apparurent rapidement car Mobutu voulait que les Zaïrois reprennent la direction plus vite que prévu: il refusait que l'IMNZ (le Congo s'appelle le Zaïre depuis 1971) soit géré comme une succursale de Tervuren.
Les tensions naissent, même si les deux parties avaient besoin l'une de l'autre. Finalement, l'institut conserva un directeur belge jusqu'en 1987 et les Belges firent partie de l'équipe jusqu'au début des années 1990.
La chute
Heures d'ouverture irrégulières, coupures d'électricité, budget riquiqui: chaque année, les rares curieux qui visitent le musée du Mont Ngaliema sont des expatriés, des étudiants, des chercheurs et des dignitaires. Même quand, en 1977, le musée s'installe temporairement à l'académie des Beaux-Arts de Kinshasa, sorte de version réduite de ce que sera le futur musée, sa situation ne s'améliore pas.
Dans les années 80 et 90, la situation politique et économique du Zaïre continue à se détériorer. Le projet de musée de Mobutu était au point mort, les collections, à l'arrêt et le robinet budgétaire, fermé. Au cours du chaos des années 1990, de nombreuses pièces disparaissent des dépôts du musée, dont certains des 114 objets envoyés par Tervuren. Certains d'entre eux furent par la suite signalés sur le marché de l'art, à Paris et à Bruxelles.
Après la chute du régime, le projet de musée est relancé. Les clichés réalisés avant 2009 par le photographe belge Carl De Keyzer montrent ce chaos, mais, en 2010, les choses se remettent à bouger. Un modeste espace d'exposition baptisé Joseph Cornet (en hommage à l'ancien directeur du musée) présente une petite sélection d'objets d'art sur des thèmes comme 'Communication avec les ancêtres', 'De l'enfance à l'âge adulte' et 'L'art du pouvoir'.
Cadeau
Détail piquant: ce n'est pas la RDC, mais la Corée du Sud qui construira le Musée national du Congo. Offert de surcroît. En effet, l'organisation gouvernementale KOICA (Korea International Cooperation Agency) investit 20 millions d'euros dans ce projet pour amadouer le Congo et ainsi se garantir un accès à ses richesses minières dont le précieux cobalt nécessaire à son secteur des télécoms, dont Samsung est l'étendard. En outre, les Coréens ont déjà formé le personnel du musée et de l'équipe de recherche. Par contre, la gestion quotidienne sera assurée par l'État congolais.
Le Musée des civilisations noires, qui a ouvert ses portes l'été dernier à Dakar, la capitale du Sénégal, a été construit par... les Chinois, et Tervuren a prêté des pièces pour l'exposition inaugurale. Il y a donc encore de l'espoir pour que le rêve de Mobutu soit réalisé.
"Authentically African, Arts and Transnational Politics of Congolese Culture", par Sarah Van Beurden aux éditions Ohio University Press, 96,99 euros.