Muse et compagne du créateur américain Rick Owens, Michèle Lamy lancera une série de six skateboards avec The Skateroom, la société de Charles-Antoine Bodson, lors d'Art Brussels.
Et si... il y avait un skatepark artistique juste devant la foire Art Brussels, sur lequel la scène skate locale ferait des figures acrobatiques sur des skateboards créés par des artistes contemporains? Et si, à côté de ce skatepark, se trouvait un pop-up store où la société The Skateroom vendrait ses skateboards sur lesquels sont imprimées les œuvres d’artistes internationaux tels que Jeff Koons, Andy Warhol, Cindy Sherman, Jenny Holzer, Jean-Michel Basquiat, Ai Weiwei, Raymond Pettibon? Hélas, Extensa, propriétaire de Tour & Taxis, a torpillé cette belle idée, obligeant The Skateroom à relocaliser l’événement "What are we skating for?" dans son quartier général de Saint-Gilles.
C’est là que se rendra, le 29 avril, Michèle Lamy, muse et compagne du créateur américain Rick Owens. Mains tatouées de noir, couronnes en or et trait d’eye-liner sur le front: la Française est une gothique d’une élégance exquise doublée d’un volcan créatif. Elle dirige la ligne de mobilier d’Owens et le collectif d’artistes Lamyland.
Ce dernier, composé de six artistes, a créé pour The Skateroom une série de six skateboards à collectionner, qui seront présentés en avant-première à Bruxelles le 29 avril. Michèle Lamy a inspiré chacune des œuvres représentées sur les skateboards: Lamy qui vomit du béton, Lamy en Jeanne d’Arc enflammée, les bras noirs de Lamy en forme de branches... "Nous produisons six skateboards, signés par tous les artistes du collectif et moi-même", explique Lamy. "Scarlett Rouge, ma fille, fait partie des artistes de Lamyland. Quand nous habitions à Los Angeles, nous vivions dans une maison sur une colline que Scarlett, enfant, voulait dévaler sur son skate. Après s’être cassé successivement les dents et un bras, elle a rangé son skate."
Boxing lady
Michèle Lamy est aussi extraordinaire que son CV. Elle a étudié le droit à Paris, suivi les cours du philosophe Gilles Deleuze et participé à Mai 68. Elle a été avocate, danseuse de cabaret et a ouvert des nightclubs à Los Angeles. En 1990, elle a lancé une collection de mode, pour laquelle elle a engagé un certain Rick Owens. De fil en aiguille, ils deviendront un couple à la ville comme à la scène. À 78 ans, Lamy continue à s’entourer de jeunes gens talentueux. Elle a récemment collaboré avec des influenceurs tels que Virgil Abloh, A$AP Rocky ou FKA Twigs. Et, avec sa fille, elle compose de la musique gothique électronique sous le nom de Lavascar.
Et elle se dépense aussi. Ainsi, la boxe est son sport de prédilection depuis 40 ans. Son association avec The Skateroom peut donc sembler étrange de la part de quelqu’un qui affirme être trop âgée pour commencer à faire du skate. "La boxe et le skate partagent les mêmes valeurs: ce sont des sports qui permettent d’acquérir des compétences qui seront utiles dans la vie: la concentration, la capacité à encaisser les coups, à apprendre à tomber et à se relever, à respecter l’autre, à ne pas renoncer. Il y a quelque chose de très positif dans le skate", explique-t-elle. "Ces dernières années, je me suis de plus en plus souvent entourée de skaters. Pendant la période du covid et des confinements, ils se sont réapproprié l’espace public. Quand je suis à Paris, je traîne souvent du côté de l’esplanade du Palais de Tokyo, où se réunissent les skaters."
"Quand j’ai quitté Paris pour m’installer à Los Angeles, dans les années 1970, j’ai assisté à la naissance de la culture skate. Depuis les Jeux de Tokyo, en 2021, le skateboarding est devenu une discipline olympique, ce qui a provoqué une révolution dans ce sport et donné envie de le pratiquer à plein de jeunes, tant des garçons que des filles, avec l’émancipation par le sport que cela induit. Cela fait des années que je me bats pour l’égalité des sexes, ce qui est aussi le fer de lance de The Skateroom. C’est pour cela que je trouve ce projet si intéressant."
Energie, créativité, générosité
Michèle Lamy et son collectif Lamyland n’ont pas seulement collaboré à la série de skateboards qui sera lancée à l’occasion d’Art Brussels: ils soutiennent aussi l’initiative à l’origine du skatepark de Tamesloht, au Maroc, qui sera inauguré ce même week-end. Ce projet est financé par une partie des recettes tirées des éditions limitées de skateboards vendus par The Skateroom dans le monde entier, tant sur son webshop que dans des concept stores et des boutiques de musées.
"Tamesloht est une banlieue pauvre de Marrakech. Depuis 2004, des centaines d’enfants démunis y sont accueils au Centre Fiers et Forts", témoigne Charles-Antoine Bodson, CEO de The Skateroom. "La directrice du centre nous a permis d’avoir accès à un terrain à proximité pour y aménager un skatepark. Nous y sommes allés l’an dernier avec Michèle Lamy et nous avons compris à quel point le skatepark pourrait aider la jeunesse locale à s’émanciper et à mieux se connaître. La nouvelle de la création du skatepark a rapidement fait le tour du village d’à côté: les jeunes étaient enchantés."
Michèle Lamy confirme: "Il n’y a pratiquement pas d’infrastructures pour les jeunes à Tamesloht. Avec ce skatepark et un projet éducatif, nous pouvons transformer leur vie, tant pour les garçons que pour les filles. The Skateroom, les artistes et les ONG qui collaborent s’engagent à changer le monde. C’est incroyablement porteur d’espoir, d’autant plus aujourd’hui, à l’heure où la Russie mène une guerre barbare qui nous renvoie au XIIIe siècle. Malgré tout, j’essaie de garder de l’espoir et le skate m’y aide!"
"La force de Michèle réside dans son incroyable énergie et sa créativité sans limites. Elle est aussi extrêmement généreuse. Elle nous a donné accès à son réseau, ce qui nous a ainsi permis de rencontrer des gens comme Kanye West", déclare Bodson. "C’est à Paris que je l’ai rencontrée pour la première fois, par l’intermédiaire d’une artiste et entrepreneuse du monde de la mode, Pascaline Smets. Depuis que je lui ai exposé notre philosophie, nous coopérons étroitement."
Selon ses dires, Lamy entretient un lien très personnel avec le Maroc. Lamy avait 17 ans quand elle est allée pour la première fois au Maroc, où elle a découvert les parures traditionnelles berbères. C’est dans leurs bijoux et leurs mains tatouées au henné qu’elle a puisé l’inspiration pour créer son look signature.
Skateboards d’artistes
Le look de Charles-Antoine est plus sobre, mais son énergie et son esprit d’entreprise sont tout aussi communicatifs que ceux de Lamy. Le fils de feu Philippe Bodson (Glaverbel et Tractebel) a cofondé l’entreprise de chèques-cadeaux Bongo /Weekendesk. En 2010, il a vendu ses parts et a investi le produit de la vente dans une galerie et une collection d’art. Lors d’une foire d’art, il fait la connaissance d’Oliver Percovich, l’Australien à l’origine de Skateistan, une ASBL fondée en 2007 qui construit des skateparks et lance des programmes d’éducation partout dans le monde pour permettre aux jeunes d’apprendre à faire du skate. Percovich cherchait des fonds pour un projet au Cambodge. Et, même si Bodson n’avait pratiquement jamais mis les pieds sur un skate de sa vie, il a été séduit par l’engagement d’Olivier. Il a donc décidé de vendre une partie de sa collection d’art et a fait don de 50.000 euros à Skateistan.
En 2014, il a fermé sa galerie d’art et fondé The Skateroom avec deux associés. Cette société, qui produit des skateboards illustrés par de grands artistes, a le vent en poupe: aujourd’hui, elle en est à près de 200 éditions, en collaboration avec 37 artistes. Chaque année, The Skateroom vend environ 40.000 skates. "Au moins 10% des recettes sont consacrées à l’aménagement de skateparks dans le monde et aux programmes éducatifs qui y sont liés", précise Bodson. "Depuis sa création, en 2014, l’entreprise a déjà fait pour plus de 1,5 million de dons. Nous travaillons toujours en collaboration avec des ONG locales, qui connaissent bien les besoins."
Yale et UCLA
"Même lorsque nous enregistrons des pertes, je verse un pourcentage des recettes pour la bonne cause avec laquelle nous collaborons", précise Bodson. "Depuis le covid, nous connaissons une accélération. Quelques grosses collaborations sont au programme, avec de grandes marques internationales. Cela nous permettra de multiplier nos dons, car ils sont proportionnels aux montants que nous générons. 2028 devrait être une année charnière. D’ici aux Jeux olympiques de Los Angeles, nous avons l’objectif de contribuer à l’aménagement de 1.000 skateparks pour changer la vie de 2,5 millions de jeunes. Et si vous pouvez y arriver avec le skate, pourquoi pas avec le basket ou le foot? Mon but est d’investir aussi dans d’autres sports."
"Les grandes marques, les artistes et les célébrités sont actuellement demandeurs de collaborations. Je ne suis pas impressionné par ces grands noms: j’ai même déjà dit non à de très grosses pointures lorsque je sentais que leur motivation n’était pas en harmonie avec la nôtre. Ou lorsqu’elles visaient uniquement le greenwashing, ce à quoi je suis allergique", déclare l’entrepreneur.
"Ce matin, on m’a demandé de faire une conférence à l’Université de Yale et à l’UCLA sur l’entrepreneuriat social, ce qui revient à faire un exposé à des étudiants qui sont 150 fois plus intelligents que moi: incroyable! Je n’ai pas de diplôme universitaire, mais je n’ai rien contre l’idée de parler à des jeunes entrepreneurs en devenir. Je suis convaincu que l’entrepreneuriat social va devenir de plus en plus important. Et les grands labels commencent à le comprendre. Les jeunes d’aujourd’hui se détourneront à très court terme de ceux qui ne s’engagent pas pour la planète."
"Je suis issu d’une génération qui a été biberonnée aux valeurs représentées par des films comme 'Le loup de Wall Street', comme le succès égoïste. Quelle différence par rapport aux jeunes d’aujourd’hui, qui se préoccupent des questions environnementales et sociales! Je le constate chez ma fille de dix ans: ils veulent changer le monde. Et ils veulent placer les labels face à leurs responsabilités à l’égard de l’humain et de la planète. Les jeunes en ont marre de vivre dans une société qui détruit la planète. Des géants tels que Nike, Vans ou Converse devront complètement revoir leur mode de production au cours des cinq prochaines années. Et, dans dix ans, ils devront être parfaitement clean pour répondre aux demandes de la rue. Les grandes marques de fast fashion, qui accumulent les vêtements mis au rebut qui s’étendent sur des kilomètres carrés dans le désert bolivien, devront leur expliquer pourquoi elles provoquent cette catastrophe écologique. Je suis convaincu que nous pouvons montrer notre engagement via notre mode de consommation, et qu’elle doit avoir un impact sur les enfants qui n’ont pas la chance de pouvoir le faire."
Bonne cause
Charles-Antoine Bodson a, lui aussi, complètement modifié son mode de consommation, affirme-t-il. "Il y a dix ans, j’étais un gosse de riche Ucclois avec sa Rolex et sa Porsche. Des objets qui flattaient mon égo et qui me permettaient de me pavaner. Après huit ans à la tête de The Skateroom, j’ai vu la vie de très nombreux enfants changer, ce qui m’a rendu très critique de ma façon de consommer. Vous ne me verrez plus jamais porter une montre hors de prix. Et je ne montrerai plus jamais que je suis aisé. Je suis beaucoup plus heureux qu’avant, quand je devais me démarquer en achetant toutes ces choses dont je n’avais finalement que faire. Je n’ai plus besoin d’exhiber mon égo ni l’épaisseur de mon portefeuille: je tiens plus à montrer mon cœur et ma conviction. C’est de cette manière que je parviens à convaincre des artistes comme Jeff Koons à collaborer avec nous. Je leur expose ma vision personnelle de la société de demain. Je leur explique que je veux contribuer à mettre en place 1.000 skateparks. Et qu’il est temps de s’engager. Croyez-moi, Koons ne collabore vraiment pas pour l’argent. Et pas non plus pour sa carrière. Il n’a pas besoin de nous. Il veut tout simplement avoir un impact, parce qu’il croit qu’il faut miser sur la jeunesse et l’inclusivité."
Grâce à ses skateboards d’artistes, The Skateroom occupe une place à part dans le monde de l’art. Surtout en Belgique, où cette initiative n’est pas toujours prise au sérieux. "Quand j’ai lancé The Skateroom, j’ai demandé un soutien financier à plusieurs familles belges aisées. Aucune ne m’a aidé, parce que je versais au moins 10% des bénéfices à une bonne cause. Si le lancement avait lieu cette année, je pourrais convaincre nettement plus d’investisseurs. Les entreprises dépensent aujourd’hui des sommes astronomiques pour rester crédibles dans un monde qui change rapidement."
Il se souvient parfaitement des moqueries des marchands d’art quand, il y a dix ans, il a dit qu’il voulait devenir entrepreneur dans le social. "Tous, sauf Xavier Hufkens, qui, lui, m’a toujours soutenu et je lui en suis reconnaissant", témoigne le Bruxellois. "Vu que je ne pouvais rien attendre de la Belgique, j’ai amené mes premiers skates au MoMA de New York, qui m’a accueilli avec enthousiasme. Une petite dizaine d’années plus tard, nous collaborons avec les plus grands musées au monde. Nous sommes respectés aussi bien par les institutions que par les artistes. Quand Cindy Sherman, Paul McCarthy, Raymond Pettibon, Jenny Holzer et Jeff Koons collaborent avec vous, cela vous donne de la crédibilité artistique, non? L’une des raisons pour lesquelles j’ai créé The Skateroom tient au fait que je déteste le snobisme et l’élitisme du monde de l’art. Mon projet donne un coup de pied dans la fourmilière et de nombreux acteurs du milieu n’ont pas apprécié. Mais, croyez-moi, quand j’aurai donné ma conférence à Yale, quand j’aurai gagné des prix pour notre entreprise sociale, quand j’aurai rempli ma mission consistant à parrainer 1.000 skateparks, ils tiendront un autre discours."
"What are we skating for", du 29 avril au 1er mai, The Skateroom, 84 rue Garibaldi à Saint-Gilles.
Série limitée de six skates créés par des artistes de Lamyland, 2.500 euros,