Sobre, simple et léger. Bien qu’à première vue, son style de dessin n’ait pas grand-chose en commun avec le luxe, de grandes maisons telles que Louis Vuitton ou Tiffany & Co. et, récemment, Acqua di Parma, se bousculent au portillon de l’illustrateur britannique Clym Evernden.
"Oh really? I'm so delighted to hear that!" s'exclame-t-il, comme si c'était la première fois qu'il recevait un tel compliment. Mais son travail fait effectivement sourire. Maintenant que je suis face à lui, je comprends d'où viennent la légèreté, l'humour et l'élégance de ses illustrations. Nous nous sommes donné rendez-vous dans la cour du Salumaio di Montenapoleone, une cantine authentique au coeur du quartier de la mode de Milan. Clym Evernden (39 ans) est ouvert, drôle, généreux et gentleman: "Would you like some more water?" et "Is that answer fulfilling for your article?"
Une modestie qui l'honore. En effet, l'illustrateur, qui travaille pour des magazines réputés -citons, entre autres, Vogue, Harper's Bazaar et Vanity Fair- a franchi la porte de plusieurs maisons de luxe: invitations, animations, installations, vitrines et même de véritables campagnes marketing pour Burberry, Samsung, Louis Vuitton, Audi, V&A Museum, Moët Hennessy, Net-a-Porter, Michael Kors, Tiffany & Co. et The New York City Ballet. On l'a aussi repéré dans l'assistance des plus grands défilés et il a même été mannequin -à ses heures perdues- pour Giorgio Armani, GQ, Matches Fashion et Margaret Howell. So, who's that boy?
Oiseaux et mannequins
Fils de deux esprits créatifs témoignant d'une carrière réussie en tant que graphistes, illustrateurs et peintres, Evernden grandit dans le Sussex (sud-est de l'Angleterre). "Aussi loin que je m'en souvienne, je dessine. À la maison, c'était notre langage: nous l'utilisions naturellement pour nous exprimer."
Enfant, il est fasciné par l'ornithologie et la nature. Adolescent, c'est la mode qui le passionne: il dessine des tenues imaginaires pour les mannequins en vue de l'époque, invente des défilés de mode, et même sa propre bande son.
Ces deux centres d'intérêt caractérisent aujourd'hui encore son travail: les formes, les couleurs et le côté ludique sont un clin d'oeil à la nature et à l'univers de la mode.
Nous en avons assez de l'overload d'images parfaites. Belles mais fausses. Un monde axé sur les swipes, les filtres et les likes.
Après avoir étudié la littérature et les arts visuels, il suit une formation en Fashion Design Womenswear au Central Saint Martin College of Art and Design à Londres, en 2003. "Je n'ai jamais eu l'ambition de créer un label de mode, mais cet univers me fascine", explique-t-il. À cette époque, le jeune homme avait déjà signé ses premières publications dans Harpers & Queen, futur Harper's Bazaar. À la demande du magazine, il illustre de grands défilés, ce qui lui permet de réunir ses deux passions. "Pendant ma formation, un grand nombre d'heures de cours étaient consacrées au dessin de mode, avec un modèle qui changeait constamment de pose et de tenue. J'ai donc beaucoup appris sur le mouvement, la posture, les proportions et l'anatomie, ce qui nourrit encore mon travail aujourd'hui."
Pet Shop Boys
L'illustrateur vit à Londres, près de Spitalfields, un quartier arty qui l'inspire. "J'aime sortir, voir des gens. Cet apport visuel est essentiel: en regardant une feuille blanche, je n'active qu'une partie de mon cerveau." Une feuille blanche ne s'illustre pas sans musique, son autre passion. "La musique m'encourage et, en même temps, délimite le moment. En fait, je baigne dans la musique du matin au soir: je suis DJ à mes heures et je suis l'actualité musicale avec passion. Ce que je préfère, c'est la dance music. Dans l'avion pour venir ici, j'ai écouté Chvrches, un groupe de synthpop britannique. J'aime aussi beaucoup le grime, un genre musical influencé par le UK garage et, si je suis d'humeur nostalgique, les joyeuses mélodies des Pet Shop Boys.
Quand je fais une 'folded story' (un post sur son compte Instagram, pour lequel il plie en une minute une feuille A4 de différentes manières en créant chaque fois une mini-histoire différente, NDLR), je mets un mix de dance. Le processus s'en trouve accéléré, mais, en réalité, je dessine sans arrêt pendant 50 minutes environ. Alors, je passe de l'uptempo. Il n'y a qu'un seul moment où je n'écoute pas de musique: quand je dois me concentrer sur un long mail. Alors, mes voisins se disent: "ah, il a encore reçu un mail!""
Assez de swipes et de likes
Comment décrire les illustrations de Clym Evernden? "A fast, loose inky style". Bien que, depuis quelques années, il se risque également à la couleur, la base de ses dessins reste la ligne d'encre noire franche et élégante. "Je n'ai pas sciemment cherché à atteindre l'élégance, mais, quand j'ai commencé à utiliser de l'encre et un pinceau, mes traits ont naturellement acquis de la fluidité et de l'élégance grâce à ces médias."
Pendant les défilés de mode (dont ceux de Dries Van Noten et de Raf Simons, créateurs qu'il adore), il est mandaté par les grands magazines de mode britanniques pour en communiquer son interprétation. Par contre, quand il met en valeur l'image des plus grandes marques de luxe, il joue avec des personnages et des lignes narratives, sans oublier d'ajouter un petit clin d'oeil à leur image traditionnelle. "J'aime le luxe, mais j'aime aussi la modestie. J'apprécie les marques authentiques, qui ont une histoire et qui, sans que l'on ne s'en rende vraiment compte, introduisent davantage de qualité dans notre vie."
"Dans toutes mes illustrations, je tiens à obtenir une sorte de légèreté et de simplicité que tout le monde peut apprécier. Je ne ressens pas le besoin de faire une déclaration politique ni de défier le spectateur. Un sourire, c'est la seule chose que je souhaite susciter. Cet optimisme est en moi. J'essaie toujours de voir l'humour, quelle que soit la situation dans laquelle je me trouve."
Il est frappant de constater qu'aujourd'hui, la demande d'illustrateurs est en nette augmentation. D'où vient ce regain d'intérêt pour le dessin? "Je pense que c'est en réaction au monde numérique", soutient l'illustrateur. "On peut imaginer qu'on est saturés d'images parfaites, aussi belles que fausses. D'un monde axé sur les swipes, les filtres et les likes. Il n'est pas surprenant que beaucoup de gens se tournent à nouveau vers l'artisanat."
Pourtant, il n'est pas inactif sur les réseaux sociaux. Sur Instagram, il comptabilise 85.000 followers. Ses 'folded stories' et ses 'cutouts' sont très appréciés. Ainsi, il photographie une de ses illustrations, qu'il a généralement découpée, et la met en scène; on peut apercevoir une femme élégante faisant du shopping à la boutique Prada à Milan ou la Statue de la Liberté appelant un taxi sur le bord d'un trottoir à New York. "C'est une façon amusante de détacher mes illustrations du papier et de leur donner vie."
Soudain, le calme
Cette année, Clym Evernden peut ajouter un parfumeur à la liste de ses clients, Acqua di Parma. La maison italienne l'a contacté pour lui demander de réinterpréter la célèbre 'Colonia', le tout premier parfum qu'elle a créé, en 1916. Laura Burdese voulait apporter un supplément d'âme et d'émotion à la marque. "Clym était l'homme qu'il nous fallait. Acqua di Parma et lui ont en commun l'amour de l'artisanat et de la simplicité. Clym n'est pas homme à cacher ni à embellir quelque chose", déclare la nouvelle CEO d'Acqua di Parma.
Quand elle décrit leur collaboration, elle ne tarit pas d'éloges. "Nous nous sommes rencontrés au début de l'année, à Milan", témoigne-t-elle. "Nous avons discuté à n'en plus finir, à l'italienne. Clym était tranquillement assis et il dessinait tandis que nous parlions. Et, soudain, nous avons vu apparaître sur le papier l'équivalent de tous ces mots. Quel moment émouvant! C'était magnifique et sophistiqué."
Le Britannique a proposé que le classique flacon de parfum et l'emballage qui l'accompagne soient recouverts par son style graphique typique. Le personnage principal? Un joyeux petit oiseau virevoltant sous différentes formes.
Une chose aussi simple qu'un parfum peut-elle être une source d'inspiration? "Absolument", répond-il. "Colonia est un parfum frais et naturel, qui nous entraîne en rêve dans le style de vie à l'italienne: des persiennes mi-closes, la lumière éblouissante, un costume sur mesure. Le look très graphique d'Acqua di Parma est également en ligne avec mon style. J'ai utilisé la superbe couleur jaune de la marque comme toile de fond et un petit oiseau pour raconter l'histoire: il va faire du shopping et du ski, vole à travers une fenêtre ouverte ou se perche sur un nuage. Je voulais suggérer le mouvement et créer quelque chose de frais, léger, joyeux. Et, en même temps, donner l'impression que tous les flacons sont recouverts par mes dessins."
Propre ligne de T-shirts
Ce que l'avenir réserve à Clym Evernden semble une question superflue, mais il reste un free-lance rationnel. "Je commence chaque année par une feuille blanche, au sens propre comme au figuré. Le suspense subsiste, et chaque coup de fil garde son effet libérateur. Néanmoins, j'ai le sentiment que l'on m'écoute et que mon apport créatif est pris en compte. Avant, je recevais des briefings clairs ("ça doit ressembler à ça"), ce qui rendait le travail ennuyeux. Aujourd'hui, j'ai carte blanche, en général."
En plus des collaborations, Evernden a l'intention d'également faire progresser ses projets personnels. "Aujourd'hui, je travaille sur une ligne de T-shirts à moi. C'est quelque chose que je voulais concrétiser depuis longtemps, ne
serait-ce qu'à titre expérimental, juste pour répondre à la question "est-ce que ça va marcher"?"
Récemment, il a dessiné sur des sneakers et un tote bag. "J'ai eu beaucoup de commentaires à ce sujet. Pour un T-shirt, on est prêt à dépenser une somme accessible, c'est ça qui me donne envie d'essayer. J'ai aussi un projet de livre, mais sa forme n'est pas encore définie: journal intime, aperçu de mon travail ou, plus simplement, zoom sur un thème? C'est la même chose pour les expositions: jusqu'à présent, je n'ai participé qu'à des expositions collectives, mais une expo solo, ça me plairait bien. Mes 'folded stories' pourraient être un point de départ intéressant."
Pourtant, il n'a pas de plan de carrière. "Avoir fait ceci ou être arrivé à ce point-là dans cinq ans, ça ne me parle pas beaucoup. Dans ma vie, par contre, je tiens à avoir un contrôle total. Je suis très organisé sur le plan financier, ce qui est nécessaire dans le secteur de la création. Je ne veux pas incarner le cliché de l'artiste vivant au seuil de la pauvreté dans ses vieux jours."