Julie Kraulis a inventé un nouveau genre artistique: la reproduction de montres de collection. Et son style fait mouche jusque dans les galeries d'art.
La dessinatrice Julie Kraulis ne porte une montre que depuis très peu de temps. "Je viens d’acheter ma première montre", avoue la jeune femme blonde de 36 ans depuis son studio à Toronto, au Canada. Pour ses clients collectionneurs, les montres, c’est le luxe ultime et ils apprécient particulièrement ses dessins. "Je suis extrêmement reconnaissante d’avoir pu continuer à travailler durant ces six derniers mois: mon job a toujours été ‘corona proof’, mais, maintenant, je suis plus occupée que jamais!", explique la Canadienne.
"Le dessin d’une montre demande facilement 400 heures de travail."Julie Kraulis
Julie Kraulis ne correspond pas vraiment à l’image stéréotypée, sérieuse et surtout masculine de l’amateur de montres de collection. "C’est un univers encore majoritairement masculin, mais c’est précisément pour cela que je sors du lot", sourit l’artiste, qui passe ses journées à dessiner des montres iconiques en grand format. "Il s’agit surtout de commandes privées, mais il arrive aussi que des marques et des entreprises me demandent d’en réaliser."
Omega l’a ainsi invitée à célébrer le soixantième anniversaire de l’alunissage. Elle a dessiné la Speedmaster, la montre que portait l’astronaute Buzz Aldrin quand il a marché sur la lune, le 21 juillet 1969. Lors de l’événement "Lost in Space" organisé par Omega à la Tate Modern, Julie Kraulis était la "special guest", avec l’acteur George Clooney et Buzz Aldrin. "Une soirée inoubliable!"
Montres iconiques
Il y a cinq ans, c’étaient surtout des éditeurs qui s’adressaient à elle. En effet, Julie Kraulis a commencé sa carrière comme illustratrice de livres d’art et de livres pour enfants (comme "An Armadillo in Paris", une publication de 2014).
"L’horlogerie est un monde majoritairement masculin, et c’est précisément pour cela que je sors du lot."Julie Kraulis
"Je ressentais depuis un certain temps déjà le besoin d’approfondir un sujet. Avant, j’étais plus touche-à-tout, je passais d’un domaine à l’autre et puis, un beau jour, je suis tombée par hasard sur un article concernant les montres les plus iconiques de l’histoire. Ironie du sort, l’intemporalité m’intrigue énormément."
Julie Kraulis a dessiné sa première montre en 2015. Pas parfaitement à l’échelle, mais considérablement agrandie. "Je trouve qu’ainsi, les montres acquièrent une personnalité. Non seulement le format est surdimensionné, mais les différents styles et caractères des montres le sont également", explique-t-elle. "De plus, ce zoom me donne la possibilité d’entrer encore plus dans les détails."
Modèles vintage
Dans son travail, les petites erreurs ne sont pas permises, et même les inexactitudes les plus minimes se remarquent. "Les collectionneurs connaissent leurs montres jusque dans les moindres détails. Ce sont souvent des modèles vintage. J’aime la patine et les petits défauts de ces pièces."
Des défauts qui, bien sûr, se retrouvent sur les dessins. "Je ne travaille pas avec les montres sous la main, elles sont bien trop précieuses! J’effectue mes propres recherches et les propriétaires m’envoient des tas de photos."
Entre Rembrandt et Basquiat
Dès les premiers dessins postés sur son compte Instagram, l’artiste a été repérée par les collectionneurs de montres du monde entier. Ces derniers n’hésitent pas à débourser 4.000 euros pour un de ses dessins au crayon. Sa première commande est venue de Peter Goodwin, un collectionneur passionné de montres et de voitures, qui lui a demandé trois dessins de ses montres Rolex préférées pour les accrocher dans son garage. Ainsi, il pouvait admirer tous ses trésors d’un coup d’œil.
Dans les années qui ont suivi, les dessins de Kraulis se sont retrouvés sur les murs du monde entier. En Californie, une de ses réalisations est accrochée à côté d’une gravure de Rembrandt et d’œuvres de Jean-Michel Basquiat et Keith Haring. Il y a pire comme compagnie. "Je ne savais vraiment pas qu’autant de gens étaient passionnés par l’horlogerie. Et, pendant des années, je ne comprenais vraiment pas cette passion pour un si petit objet que l’on porte au poignet."
Jusqu’à ce que, début 2019, la Canadienne soit invitée par le prestigieux label A. Lange & Söhne au siège de Glashütte, en Allemagne. "Là-bas, j’ai été littéralement époustouflée par le savoir-faire que demandent les montres. J’ai passé des heures dans les différents ateliers. Dans des circonstances normales, j’aurais suivi un cours d’horlogerie cet été, mais il a été reporté jusqu’à nouvel ordre."
Sous le marteau
La livraison de sa toute première montre, une A. Lange & Söhne Lange 1 en or rose avec cadran argenté de l’année 2002 a, hélas, aussi été reportée. Un achat qu’elle a payé rubis sur l’ongle. "Je ne suis pas du tout une influenceuse en matière de montres!" (rires) "Je tiens à mon indépendance et je considère que, ce qui est enrichissant, c’est de pouvoir travailler pour différentes marques et personnalités."
Kraulis a réalisé des dessins pour Tag Heuer et une œuvre de sa main trône dans la boutique de A. Lange et Söhne dans l’Upper East Side, à Manhattan. Les maisons de vente aux enchères l’ont aussi repérée: en 2017, la maison Phillips lui a demandé de venir en résidence en vue de la vente aux enchères de la montre Rolex Daytona de l’acteur Paul Newman.
Ceux qui n’avaient pas pu s’offrir cette montre de légende (dont le prix a atteint 17.752.500 dollars lors de cette vente) pouvaient se consoler en s’offrant la version papier de cette pièce unique. Et ils étaient nombreux: les tirages, d’une valeur d’environ 1.000 euros pièce, se sont envolés en moins d’une heure.