Rhymezlikedimez travaille pour quasiment tous les grands noms de la scène hip-hop, d’un hommage à Travis Scott à une collaboration avec Anderson .Paak et Tyler The Creator.
Le 9 avril 2019, un numéro inconnu s’affiche sur le portable de Robin Velghe, nom officiel de l’artiste Rhymezlikedimez. - "Hey, on peut se voir samedi à Anvers?" - "Samedi?" - "Oui, au concert de Drake au Sportpaleis. J’ai deux billets ‘front row’. Après le concert, quelqu’un de l’entourage de Drake souhaite te rencontrer."
Robin Velghe (29 ans) n’avait pas l’intention d’aller au concert, car il voulait travailler sur un clip d’animation pour Bruno Mars et Cardi B. Mais c’était une offre qui ne se refuse pas. Ce "nerd du hip-hop" autoproclamé sait qu’il est pratiquement impossible de rencontrer Drake, car "même l’artiste qui assure sa première partie ne le croise jamais". En coulisses, après le concert, comme il suit la scène hip-hop de près, il a immédiatement reconnu les membres de la DreamCrew de Drake, dont Future The Prince, son manager. "Je pensais qu’ils allaient me demander de réaliser un clip vidéo", raconte le Belge. "J’avais donc fait quelques portraits rapides de Drake la veille du concert. J’avais emporté mon iPad pour pouvoir montrer quelque chose: on ne sait jamais!"
"Je veux faire de l’art sous le nom de Rhymezlikedimez en collaboration avec des artistes, et pas juste être leur illustrateur attitré."Robin Velghe
Indépendance
Il s’est avéré que ce n’était pas nécessaire. DreamCrew connaissait déjà très bien le travail de l’artiste Rhymezlikedimez. "Mieux encore: ils m’ont demandé si je voulais travailler en exclusivité pour Drake en tant qu’illustrateur et animateur pour une série à venir", s’étonne-t-il. "Incroyable, je n’en revenais pas: ils m’offraient même un logement et un visa. J’ai tout de même demandé si je pouvais continuer à travailler pour d’autres artistes, comme le rappeur Anderson .Paak avec lequel je collaborais depuis un certain temps, ce que je voulais continuer à faire. Comme ça posait un problème, j’ai poliment décliné l’offre. Je tiens à mon indépendance."
DreamCrew ne s’attendait manifestement pas à un refus "Est-ce que la légende du basketball LeBron James passe parfois dans ton atelier à Gand?" lui a demandé le manager de Drake dans une dernière tentative, mais cela n’a guère impressionné l’artiste. Il est resté ferme, sans aucun regret d’ailleurs. "Je veux faire de l’art sous le nom de Rhymezlikedimez en collaboration avec des artistes, et pas juste être leur illustrateur attitré", déclare-t-il.
Ce qui est étonnant, c’est que cette attitude arrogante n’a pas compromis la qualité de sa relation avec Drake. "Je continue d’appeler régulièrement des membres de son équipe lorsque je veux leur soumettre une idée ou que j’ai besoin d’un conseil. Le respect est mutuel."
Naissance de Puff
C’est un fait avéré: l’artiste bénéficie du respect de la scène hip-hop internationale. Dans sa maison-atelier de Gand, il a affiché des images de ses animations vidéos les plus célèbres réalisées pour les grands: Dua Lipa, Bruno Mars, Tyler The Creator, Nipsey Hussle, Mac Miller, Travis Scott et Anderson .Paak. "Certaines vidéos ont été réalisées sur commande, d’autres sont des hommages. Les collabs et les témoignages de respect sont le moteur du hip-hop", explique-t-il.
Sur le sol, un prototype de son premier tapis, inspiré par le rappeur Frank Ocean. Un autre hommage, à Travis Scott cette fois, est son projet d’animation et de tirages en édition limitée.
Sur la table de sa terrasse trône une figurine de Puff, le personnage qu’il a créé et autour duquel il construit son propre univers composé d’histoires, d’animations et d’œuvres physiques depuis 2021.
Puff a déjà été exposé grandeur nature à New York, Milan, Bruxelles, Paris et Los Angeles. En tant que "fine art collectible", les figurines de Puff ont été vendues en édition limitée lors du Scope Art Show à Miami, la foire d’art où Velghe a également vendu une peinture au joueur de foot néerlandais Memphis Depay. "Quand j’ai entendu son nom, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un grand magasin de Houston; je ne savais pas qui c’était!", s’exclame-t-il en riant. "Le fait que mes créations existent numériquement et physiquement fait une grande différence pour moi, car on vous prend plus au sérieux en tant qu’artiste. Une œuvre d’art ‘real life’ ne procure pas la même sensation que 350.000 followers qui likent vos vidéos sur Instagram."
"Une œuvre d’art ‘real life’ ne procure pas la même sensation que 350.000 followers qui likent vos vidéos sur Instagram."Robin Velghe
Erykah Badu
Son projet Puff le plus connu à ce jour, réalisé en étroite collaboration avec la chanteuse Erykah Badu, est sorti cet été. "If you know, you know": l’Américaine est la déesse de la néosoul. Diva incontestée, elle jouit d’un grand respect depuis son premier album, "Baduizm", sorti en 1997, alors que Velghe n’avait que trois ans. Mais cette différence d’âge et de génération n’a pas été un problème pour la collaboration.
"Il y a cinq ans, j’étais allé danser avec mes potes à une soirée à Courtrai quand, tout à coup, je reçois un message direct sur Instagram d’Erykah Badu en personne: ‘Do me’. Il était tard, j’avais déjà bu quelques bières, mais une sorte de conversation s’est engagée. Enfin, ‘conversation’…! Pendant des années, nous nous sommes envoyé des messages de temps en temps, mais nous n’avons jamais réussi à nous mettre d’accord sur quelque chose de concret pour une collaboration. Parfois, elle répondait rapidement, parfois elle me faisait attendre pendant des semaines."
"Un jour, je reçois le message suivant: ‘I’m ready for you’. Du coup, je lui envoie une idée pour un film d’animation autour de Puff et d’un pommier, dans lequel elle jouerait un rôle. Encore une journée sans réponse. Jusqu’à ce que j’aille dîner avec ma copine à la Superette à Gand. Juste avant de payer, la chanson ‘Appletree’ de Badu retentit dans les haut-parleurs. Quelle coïncidence, me suis-je dit. Dès que je suis sorti, j’ai vérifié mes messages Instagram et Badu venait de me répondre. Elle était d’accord pour le clip. Il n’y a qu’avec elle que j’ai ce genre de télépathie."
"Les gens réclament une série Puff sur Cartoon Network ou Nickelodeon."Robin Velghe
La vidéo pour "Appletree" signée Rhymezlikedimez est sortie fin juin. Elle met en scène Puff et le fruit défendu, une pomme rouge vif. "C’est dingue de voir le nombre de réactions que j’ai eues sur TikTok et Instagram. Les gens réclament une série Puff sur Cartoon Network ou Nickelodeon." Cela tombe bien, car il travaille actuellement sur une série d’animation avec sa copine Lisa, scénariste. "De très grands acteurs sont intéressés. Je ne peux encore rien dire, mais ça va être énorme!"
La collab avec Badu et la série d’animation sont du Rhymezlikedimez 2.0, soit des créations avec Puff en collaboration ou pas avec des artistes qu’il admire. L’idée de Puff a germé en 2015, alors qu’il était encore sur les bancs de l’école. À cette époque, sous le nom de Rhymezlikedimez, il publiait sur Tumblr des images numériques inspirées de ses artistes préférés, dont Drake et Post Malone. Ces dernières ont attiré l’attention, ce qui s’est traduit en commandes pour Lil Uzi Vert, Dua Lipa, Anderson .Paak et même Pharrell Williams. Et pour des marques comme Nike, KidSuper, Tidal, Apple et Beats by Dre.
Inventeur des visualizers
En 2017, l’artiste belge a marqué encore plus profondément le monde de la musique en inventant le "visualizer", un clip d’une trentaine de secondes, publié pour illustrer une chanson et diffusé en boucle. "Quelque chose entre le clip vidéo et le mème", explique-t-il. "J’ai commencé à faire des boucles d’animation répétitives synchronisées sur la musique. Lorsque j’ai commencé à le faire pour des artistes, avec un pote d’Atlantic Records, j’ai inventé le terme ‘visualizer’. À part le projet cartoon de Damon Albarn (Blur),Gorillaz, pratiquement personne à l’époque ne faisait de l’animation dans l’industrie de la musique."
Il a réalisé son tout premier "visualizer" pour "Neon Guts", un titre de Lil Uzi Vert et Pharrell Williams; Bruno Mars et Dua Lipa ont suivi. Depuis, les "visualizers" font partie intégrante des campagnes de promotion des artistes. "Je trouvais sympa de capturer l’ambiance d’un titre dans un court clip d’animation. Mais, à la longue, je ne pouvais plus y mettre suffisamment de moi-même et je ressentais le besoin de raconter ma propre histoire, indépendamment des chansons ou des artistes. En tant qu’artiste, il est de mon devoir d’imaginer quelque chose d’unique."
Autant artiste qu'entrepreneur
Robin Velghe est un jeune homme aux multiples facettes. Il est à la fois animateur, artiste pluridisciplinaire, mais aussi entrepreneur, ce que l’on remarque directement quand on le rencontre. Il ne parle pas d’art de façon élitiste, mais en termes d’objectifs et de scénarios de croissance. Il élabore avec autant de plaisir des story-boards que des business plans. "Suis-je un artiste atypique parce que l’aspect commercial m’intéresse également? Depuis des siècles, les plus grands artistes sont aussi de bons entrepreneurs. Il suffit de penser à Rubens, mais aussi à Kaws, Takashi Murakami ou Damien Hirst. Grâce à leurs équipes, ils ont bâti des empires. Ils ont aussi abattu les frontières entre l’art et le commerce."
Avec plus ou moins de succès, car le marché de Kaws, Hirst et Murakami se s’est effondré pour cause de surproduction, de hype surfaite ou de baisse de qualité. Sans même parler de leurs (més)aventures avec les NFT. "Ce n’est pas que l’art de Kaws me touche énormément, je suis plus inspiré par Edward Hopper, James Jean ou Piet Parra. Par contre, en tant que modèle économique, Kaws est fascinant parce qu’il a rebrandé des jouets en œuvres d’art avec une histoire."
"Je me situe à la frontière entre les arts visuels, le street art et l’animation. Mais la musique est mon moteur le plus important."Robin Velghe
"Pharrell Williams est peut-être un meilleur exemple", poursuit-il. "Il est artiste pop à succès et directeur artistique pour Louis Vuitton, ce qui ne l’empêche pas de continuer à produire des albums pour des artistes pop émergents. Il combine mainstream et underground dans différentes disciplines. Tyler The Creator est une autre personnalité qui m’inspire. Sa musique est géniale, mais il a également inspiré Billie Eilish, il crée des bagages et a fondé son propre festival. Cette combinaison d’activités fait de lui l’un des artistes les plus influents de ma génération. Moi aussi, je veux devenir le directeur artistique de ma propre marque, Rhymezlikedimez."
Sous cette bannière, tout est possible. Des collabs dans le domaine de la mode, comme en 2021 avec KidSuper, qui collabore maintenant avec Louis Vuitton, mais aussi des applications de réalité virtuelle immersives, comme lors de la Fashion Week à Paris.
Utopie
Avant, le slogan de Rhymezlikedimez était "The soundtrack to my life is a drawing". "Je me situe à la frontière entre les arts visuels, le street art et l’animation. Mais la musique est mon moteur le plus important. J’ai une forme de synesthésie: quand j’entends de la musique, je vois des couleurs, ce qui est très utile quand je crée une animation. La musique me dicte tout. Lorsque j’écoute ‘Utopia’, le dernier album de Travis Scott, je vois des couleurs très sombres. Cela se reflète également dans mes vidéos et mes images", explique-t-il.
"Mon univers est une sorte d’utopie, un monde onirique escapiste dans lequel je décide comment sont les fleurs, la musique, les couleurs et les personnages. Je ne ressens pas le besoin de laisser les problèmes du monde réel s’infiltrer dans mon espace personnel."
Ce qui, par contre, transparaît dans l’éthique de travail de l’artiste, c’est son passé de skateur. "Aller jouer au foot tous les mercredis sur le même terrain, ça ne me tentait pas vraiment alors que le skate est une expression de la liberté, une discipline qui repose sur les compétences, la persévérance et le respect mutuel. On tombe mille fois et c’est comme ça qu’on apprend à gérer l’échec, le plus souvent en groupe", témoigne-t-il. "Avant, je faisais du skate chaque semaine. Maintenant, beaucoup moins, car j’ai peur de me casser le poignet et de ne plus pouvoir travailler."
Matérialiste
Le Belge est issu d’une famille d’entrepreneurs de Lendelede, près de Courtrai. Ses parents possèdent une entreprise de produits de nettoyage. "Je suis fils unique, mais mon père et ma mère ont vite compris que je ne reprendrais jamais leur entreprise. Je dessinais sur tout ce que je pouvais trouver. Et je faisais beaucoup de musique en tant que DJ et compositeur de mes propres beats. Malgré ce goût pour le son, je me projetais plutôt dans l’animation. Quand j’ai terminé mes études d’arts plastiques, avec une spécialisation en illustration, à Sint-Lucas à Gand, je me suis fixé un objectif: je vais travailler de 9 à 5 et si dans trois ans, je n’arrive toujours pas à vivre de mes animations, j’arrête."
"Je ne voulais pas devenir un artiste qui doit bidouiller pour joindre les deux bouts. Gagner de l’argent n’est pas tabou. Dans le milieu du hip-hop, se vanter de son argent, de son statut et de son luxe matériel est même un sport. Bon, je suis Flamand et je le reste: je suis trop modeste pour me vanter. Je ne vais pas crier sous tous les toits ce que j’ai déjà gagné grâce à mon art. Par contre, je suis matérialiste: j’aime les belles voitures et les belles montres."
"Beaucoup de gens pensent que l’argent et la créativité sont incompatibles, mais pour moi, ils se renforcent mutuellement. Un artiste qui ne pense pas à ses affaires a moins de chances de durer. C’est parce qu’ils ont bien gagné que beaucoup d’artistes créent leurs meilleures œuvres, car ça leur permet de prendre des risques."
"Je ne vais pas crier sur tous les toits ce que j’ai déjà gagné grâce à mon art. Par contre, je suis matérialiste: j’aime les belles voitures et les belles montres."Robin Velghe
Appel de Los Angeles
Le risque que Velghe prendra au cours des prochaines années, c’est étoffer son équipe. Avant, il réalisait lui-même ses animations, de A à Z. Aujourd’hui, il travaille avec des freelances. "L’animation demande énormément de temps. Il faut bien réfléchir avant de s’engager, parce qu’avant même de s’en rendre compte, une année s’est écoulée. Je m’occupe toujours des esquisses, des couleurs, de la création, du story-board et de la stratégie, mais je sous-traite le reste. C’est une étape difficile pour moi, mais il le faut si je veux croître et faire des tas de choses différentes", déclare-t-il.
Son objectif est de réaliser davantage de films d’animation et de s’entourer d’une équipe permanente. Pour l’instant, il opère depuis Gand, mais tout le monde lui demande, à juste titre, quand il s’installera enfin aux États-Unis, là où LeBron James pourrait effectivement passer dans son atelier. "J’aimerais vivre aux États-Unis pendant un an, mais je trouve que travailler depuis l’Europe reste une position confortable. Cette distance m’aide à me concentrer. Bien sûr, Los Angeles est un paradis, mais quand j’y suis, je remarque à quel point il est difficile de se concentrer: il y a constamment toutes sortes de choses à faire, sur la plage et aux alentours. Je m’amuserais énormément, mais si j’y étais, je ne travaillerais pas suffisamment."