Le 28 février, Sotheby’s vendra aux enchères le mobilier du Palazzo Volpi. Lors de ses légendaires bals, il accueillait des invités tels que Winston Churchill et Jack Nicholson.
Le miroir doré dans lequel Coco Chanel corrigeait son trait de rouge à lèvres, le fauteuil confortable où sommeillait Winston Churchill et la sculpture qui captivait Andy Warhol pendant des heures: le 28 février, ces pièces ainsi que 200 autres meubles et œuvres d’art seront mis en vente par Sotheby’s à Paris. Ces trésors proviennent du Palazzo Volpi à Venise, épicentre de l’élite lors des légendaires "bals Volpi" donnés à l’occasion de la Mostra de Venise.
Stars hollywoodiennes, têtes couronnées, artistes, intellectuels, aristocrates et hommes politiques — Joséphine Baker, les Windsor, Jean Cocteau, Maria Callas et Marlene Dietrich: toutes les personnalités marquantes de l’époque venaient faire la fête.
Mais voilà, il y a un temps pour tout, ont estimé le comte et la comtesse Giovanni et Dominique Volpi, les propriétaires actuels, qui vivent à Genève. "Nous possédons plusieurs résidences et ce palais ne correspondait plus à notre mode de vie. Nous avons donc décidé de confier ces intérieurs uniques, qui n’ont pas changé depuis le décès de mes parents, à de nouveaux propriétaires. Nous ne savons pas encore si, ensuite, nous vendrons également le palais."
Le palais appartient à la famille Volpi depuis 1917. En effet, c’est alors que Giuseppe Volpi (1877-1947), le père de Giovanni, acquit ce palais Renaissance surplombant le Grand Canal. Entrepreneur et homme politique marquant de l’histoire vénitienne, il était surnommé le "dernier doge de Venise". C’est son entreprise qui électrifia Venise en 1903. En 1932, c’est lui qui fonde la Mostra, le plus ancien Festival de cinéma du monde. Il construit le port de Marghera et préside la Biennale de Venise.
Bref, Volpi incarnait l’image du self-made-man: issu d’une famille de la classe moyenne, il gravit les échelons de l’échelle sociale et est anobli en 1925 par le roi d’Italie, Victor-Emmanuel III, pour ses mérites en tant que gouverneur de Libye. Depuis, il porte le titre de premier comte de Misurata, en référence à la ville côtière libyenne.
Cœur et âme
Cependant, c’est Lily, la mère de Giovanni, qui fait de ce palais un lieu légendaire. Elle y organise des réceptions auxquelles chacun souhaite être convié. Pendant la Mostra, mais aussi tout au long l’année, elle invite écrivains, personnalités mondaines et stars au "piano nobile", soit "l’étage noble" de son palazzo.
"Invités fascinants, mets délicieux et fleurs magnifiques étaient toujours au rendez-vous", se souvient la duchesse Cristiana Brandolini, socialite de la famille Agnelli et habituée des lieux.
"Elle appelait tous les grands hôtels, comme le Gritti et le Cipriani, pour demander qui y séjournait, puis invitait toutes les personnes qu’elle trouvait intéressantes et séduisantes", se souvient le décorateur français Jacques Grange. C’est ainsi que des personnalités telles que Maria Callas, Winston Churchill, Cecil Beaton, Kirk Douglas, Paul Newman et, plus tard, Jack Nicholson, Sean Penn et Diane von Furstenberg se sont retrouvés ici. "Ma mère ne parlait pas anglais, mais elle était fascinée par Andy Warhol. Sans pouvoir vraiment converser, ils passaient des heures ensemble", raconte Giovanni.
Œil averti
Lily ne se contente pas de composer la liste des invités; elle veille également sur chaque détail de la décoration. "En 1948, peu après le décès de mon père, ma mère a entièrement réaménagé le palazzo", se souvient Giovanni Volpi di Misurata. "Elle désirait insuffler un style propre dans chaque pièce du piano nobile. Dotée d’un œil averti, elle parvenait à se procurer les meilleures pièces.
Elle a notamment collaboré avec l’architecte d’intérieur français Stéphane Boudin, alors directeur de la Maison Jansen et décorateur pour les Kennedy à la Maison-Blanche. Son implication dans l’agencement des meubles était totale. Cela prenait des heures. Je me souviens encore d’elle dirigeant: ‘Déplacez ce canapé ici, à droite’. Une fois la disposition à son goût, elle ne changeait plus rien."
Lily était son surnom. Née Nathalie El Kanoni (1899-1989) en Algérie, elle fut longtemps la maîtresse de Giuseppe Volpi et ils ne se marièrent qu’en 1942, après la mort de la première épouse de Volpi. C’est également à cette époque que Giovanni se débarrassa de l’étiquette d’enfant illégitime. Plus tard, il se distingue avec son écurie de course, la Scuderia Serenissima, qui remporte de nombreux succès sur les circuits dans les années 60. Éternel célibataire, il ne se marie qu’en 2017, à l’âge de 80 ans, avec Dominique Rizzo, la veuve nettement plus jeune que lui du photographe et designer Willy Rizzo.
Épisode belge
Le nom exact du Palazzo Volpi est Palazzo D’Anna Viaro Martinengo Volpi di Misurata, parfois appelé Palazzo Talenti D’Anna Volpi. La longueur du nom révèle l’histoire de ses multiples propriétaires. Avec ses 3.845 m² et ses 86 pièces, c’est l’un des plus vastes de Venise. Alors que d’autres palais furent divisés en plusieurs appartements au fil du temps, celui-ci resta dans son état d’origine.
Ce lieu exceptionnel dès sa fondation aurait attiré l’artiste de la Renaissance Michel-Ange, qui se serait rendu à Venise en 1529 spécialement pour admirer les fresques de Giovanni Antonio da Pordenone, aujourd’hui disparues.
Ce qu’on sait peu, c’est que l’illustre histoire du palais comporte également un chapitre belge. Quelques années après sa construction, en 1535, la famille Talenti le vendit au marchand flamand Maerten van Haanen, alias Martino d’Anna. Son fils, Giovanni d’Anna (Jan van Haanen), y vécut également. Le palais passa ensuite entre les mains de plusieurs familles nobles avant d’être acquis par Volpi en 1913. Pourrait-il un jour revenir en mains belges suite à sa vente? Seul l’avenir nous le dira.
Mobilier du Palazzo Volpi
Les lots sont exposés au cours des journées consacrées à l’exposition publique de la vente, du 23 au 27 février.
Vente aux enchères le 28 février à 14h30
Rue du Faubourg Saint-Honoré 76 à Paris
www.sothebys.com