C'est à Porquerolles, grain de beauté méditerranéen, que la fondation créée en 2000 à l'initiative d'Edouard Carmignac donne rendez-vous au public depuis début juin. Dans un cadre exceptionnel, entre Toulon et Saint-Tropez, on découvre les oeuvres d'art contemporain de la collection Carmignac, des expositions temporaires, un jardin de sculptures et une programmation culturelle.
L'île de Porquerolles n'est pas un choix anodin. Elle doit son excellent état de conservation au fait qu'elle est propriété de l'État français depuis 1971 et qu'elle bénéficie du statut de parc national depuis 2012. Le cadre idyllique d'un parc naturel protégé sert aujourd'hui d'écrin à la collection d'oeuvres d'art réunies par le financier Edouard Carmignac. Inaugurée officiellement début juin en présence du gotha international de l'art, la Villa Carmignac, sur l'île de Porquerolles, au large des côtes de la Méditerranée, est un rêve devenu réalité.
Un double cadeau de mariage
Une fois débarqué, à quelques minutes de bateau de Hyères, le visiteur découvre d'abord un discret petit port, ancienne garnison composée d'une place d'armes, d'une église et de quelques rues, dominée par la silhouette massive du fort Sainte-Agathe. Car, pour lutter contre la présence anglaise en Méditerranée, Napoléon Ier avait fait fortifier cette île à l'histoire passablement mouvementée avant de devenir, en 1912, la propriété du Belge François-Joseph Fournier (1857-1935). Fils d'un pauvre batelier, originaire de Clabecq, il fait fortune dans la prospection aurifère au Mexique, après des années d'une vie d'aventurier extraordinaire entre le Canada, Panama et la Californie. Marié en 1911 à Sylvia Frances Antonia Johnston Lavis, Porquerolles sera son cadeau de mariage! Dès son installation, le couple s'attelle à l'épanouissement de l'île, dont la végétation avait été totalement ravagée par un incendie. Il y développe la culture viticole et fruitière au sein d'une exploitation agricole à vocation philanthropique sur plus de mille hectares.
Cette action marquera profondément le visage de l'île, tel que le découvre Edouard Carmignac en 1989, à l'occasion du mariage de l'architecte Françoise Vidal et de l'acteur Jean Rochefort. "En assistant au mariage de Françoise Vidal, la fille de mon ami Henri Vidal, avec Jean Rochefort, j'ai découvert ce site paradisiaque. Aussi, quand, à la mort de leur père, Aline et Françoise Vidal me proposent de racheter cette propriété de 16 hectares, j'ai saisi l'occasion." On accède à pied au mas provençal fondu dans le paysage, par les chemins de la garrigue depuis le port. La villa ne se voit ni de la mer, ni des alentours: c'est un tour de force réussi par ses architectes successifs.
Pieds nus
Premier propriétaire, l'architecte et ingénieur Henri Vidal (1924-2007) a surélevé le mas en y appliquant son brevet de 'terre armée', déposé en 1963, mais en respectant la ligne paysagère de l'île dont le sommet culmine à 142 mètres. Devenus propriété d'Edouard Carmignac, les lieux ne furent pas pour autant aisés à transformer en espace d'exposition. "Impossible d'ajouter un centimètre carré de surface bâtie", témoigne Charles Carmignac. "Tout a dû se faire sous terre. Ce sont 2.000 mètres carrés d'un musée invisible de l'extérieur."
Comment faire entrer la lumière naturelle dans ce sous-sol? Ce fut le défi majeur: sur un projet initial de l'architecte niçois Marc Barani, remercié depuis, le plan en croix des salles s'inscrit sous un puits de lumière -une dalle de verre de 80 mètres carrés de superficie et de 20 centimètres d'épaisseur que viennent souligner 20 centimètres d'une eau cristalline.
"Le sol a été creusé sur 7 mètres", souligne l'architecte Mouktar Ferroudj, de l'agence parisienne GMAA, qui a pris le relais du Niçois. "Le transport depuis Rome de la plaque de verre de synthèse, qui pèse 19 tonnes, a été une vraie saga en soi."
L'effet éclairant de ce plafond aquatique est saisissant, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, où l'on pénètre après un rituel un peu ridicule de déchaussement (la fondation se visite pieds nus) et d'absorption d'un breuvage de décoctions d'herbes, sensé mettre le visiteur dans les conditions optimales d'appréhension des oeuvres exposées.
Un copain de Basquiat
L'ensemble est impressionnant, quoiqu'un peu mainstream, qui propose sous le commissariat de l'Autrichien Dieter Buchhart, les signatures de Miguel Barceló, Jean-Michel Basquiat, Marc Bradford, Jacob Hashimoto, Roy Liechtenstein, Bruce Nauman, Shirin Neshat, Afshin Pirashemi, Miguel Rothschild (une découverte !), Ed Ruscha, Newsha Tavakolian ou Andy Warhol, mais aussi deux oeuvres de l'entourage de Sandro Botticelli, dont une achetée spécialement pour l'ouverture. Dans l'exposition, son idéal féminin renaissant se confronte à l'idéal Pop de Warhol et Liechtenstein...
À l'extérieur, un jardin de 15 hectares imaginé par le paysagiste star Louis Benech est également habité par une série d'oeuvres, discrètes et inspirées du lieu, signées Jeppe Hein, Nils-Udo, Jaume Plensa ou Ugo Rondinone. "La collection compte environ 300 oeuvres, acquises depuis les années 1990", témoigne Édouard Carmignac. "Nous en exposons le quart, dans le cadre d'une exposition temporaire, renouvelée chaque année. L'idée n'est pas de faire de ce lieu un musée figé!"
Cette collection compte quelques perles, dont ce portrait d'Edouard Carmignac par Basquiat. L'homme a, en effet, fréquenté la Factory de Warhol à New York à la fin des années 1970. "Basquiat m'avait croqué alors que je dansais le bras levé. Des années plus tard, j'ai eu la surprise d'en voir une version peinte aux enchères. Je l'ai immédiatement achetée." On croit effectivement y déchiffrer son nom, dans un nuage de tons marron...
Quand on aime on ne compte pas
La Fondation Carmignac est une fondation d'entreprise qui s'articule autour de deux axes, une collection et le Prix du Photojournalisme annuel. "Si la Fondation Carmignac avait un maître-mot, ce serait liberté. Ainsi, après avoir rassemblé avec passion, au cours de ces vingt dernières années, une collection au sein des bureaux de mon entreprise, la découverte de Porquerolles a suscité en moi le désir d'y créer un lieu ouvert à tous."
Edouard Carmignac est président et fondateur de la société Carmignac, spécialisée dans la gestion d'actifs et de fonds d'investissement dont le plus important serait doté, dit-on, de pas moins de 25 milliards d'euros! Son insolente réussite constitue d'ailleurs un modèle pour bon nombre de gestionnaires de fonds dans le monde.
La collection compte environs 300 Œuvres, acquises depuis les années 90.
La dimension financière du projet de Porquerolles (l'aménagement du site, le budget de fonctionnement et d'acquisition) est éludée par ses responsables. "Nous avons beaucoup de factures à payer", ajoute, sibyllin, Édouard Carmignac. "Quand on aime, on ne compte pas!", finira-t-il par concéder, tout en nous proposant un verre du Domaine de la Courtade dont les chais historiques sont toujours accolés à la fondation.
Plus réservé, son fils Charles, musicien de formation, membre pendant deux décennies du groupe de rock Moriarty, s'est provisoirement rangé aux aspirations esthétiques paternelles, même s'il privilégie plutôt les oeuvres plus réflexives et critiques de notre époque.
Tous les deux à la manoeuvre, ils viennent de commander sa plus grande oeuvre à Ed Ruscha (plus de 12 mètres de long), installée en lisière du bois. Et ils se sont mis d'accord sur un grand rideau d'or signé El Anatsui... Avec de telles ambitions artistiques, nul doute que leur projet commun se pérennise avec succès, son positionnement insulaire constituant un indéniable atout dans le paysage artistique actuel.
Exposition inaugurale 'Sea of Desire'. Fondation Carmignac, c/o Villa Carmignac, île de Porquerolles, Hyères, France. www.fondationcarmignac.com