À Londres, une exposition au Victoria & Albert Museum analyse la manière dont la voiture a façonné le monde d’aujourd’hui. Elle se penche sur son passé, mais aussi sur son avenir.
Non, elle ne peut imaginer aucun autre objet qui susciterait autant de passion. "La combinaison des caractéristiques réunies dans la voiture est juste unique!", déclare Lizzie Bisley, co-commissaire de l’exposition automobile qui se tient actuellement au Victoria & Albert Museum à Londres.
"Par contre, il n’est pas certain que la voiture survive: au cours des vingt prochaines années, nous passerons probablement de véhicules bruyants et contrôlés individuellement à des véhicules silencieux et autonomes." Et le frisson de la conduite? "Aucune idée.
La façon dont les gens perçoivent la voiture a changé. La plupart des jeunes ne veulent plus en avoir une. Il est possible que nous évoluions vers les transports publics en semaine et, le week-end, une utilisation purement récréative de la voiture?"
Et dire qu’il y a 133 ans, tout s’annonçait si bien! L’un des véhicules exposés à Londres est la Patent Motorwagen 3, la première voiture que Karl Benz proposa à la vente, en 1886, et à bord de laquelle son épouse Bertha fut la première à entreprendre un ‘road trip’ d’une centaine de kilomètres, deux ans plus tard et en secret.
La vitesse de pointe de ce modèle à trois roues était de 16 km à l’heure, mais la technologie allait évoluer à la vitesse de l’éclair -oui, même à cette époque-là! Bon, il est quand même exagéré de dire que, dès qu’il y a eu deux voitures, il y a eu la première course automobile.
Les temps modernes
"En 130 ans, la voiture est passée de technologie expérimentale à objet omniprésent et essentiel dans la vie d’innombrables personnes -aujourd’hui, on compte plus d’un milliard de voitures dans le monde", ajoute la Britannique. "Le train et le télégraphe ont également accéléré les choses, mais les voitures se distinguent par le fait qu’on est au volant et qu’on les contrôle, ce qui offre une expérience très directe de la vitesse. Et c’est vous qui définissez la direction à prendre. Une liberté qui a aussi été un argument de vente des premières voitures: découvrir de nouveaux endroits, même s’ils sont éloignés."
L’exposition s’articule autour de trois axes. ‘Going Fast’ passe en revue la manière dont la voiture a changé notre rapport à la vitesse, ‘Making More’ étudie comment elle a changé nos modes de production et de vente et ‘Shaping Space’ se penche sur la façon dont elle a altéré l’espace qui nous entoure, de la campagne à la ville.
Le fait qu’en 1900, Michelin ait publié son guide de voyage à 35.000 exemplaires alors qu’à peine 3.000 voitures circulaient sur le sol français en dit long sur l’optimisme de l’époque.
Il n’y a que quinze modèles de voiture au V&A Museum. Un nombre à première vue limité, mais tous ces modèles sont des vedettes de l’histoire. En plus de la Patent Motorwagen 3 de Karl Benz (la première voiture construite en série), on trouve la Tatra T77 (1934), un modèle tchèque tout en courbes élégantes. La preuve que, s’il y a un objet qui a montré à quel point le design peut changer le monde, c’est bien la voiture!
L’Hispano-Suiza Type H6B ‘Skiff Torpedo’ (1922) avec une carrosserie d’Henri Labourdette, spécialement conçue pour la pilote française Suzanne Deutsch de la Meurthe, est aussi une voiture de luxe, entièrement construite à la main sur mesure.
Un contraste avec la Ford Model T, fabriquée à partir de 1908. En effet, peu après son invention, l’automobile a radicalement changé les méthodes de production: Henry Ford a introduit une révolution: la ligne de production à la chaine. On allait la retrouver dans d’autres domaines industriels, ce qui allait permettre de produire à la chaine des centaines de milliers d’objets complexes rapidement et à moindre coût.
La chaîne de montage était spectaculaire, mais elle a surtout démocratisé l’automobile et développé le consumérisme. Ford est devenu l’acteur mondial par excellence: produire moins cher ou davantage que ses usines était difficile.
Son concurrent direct, General Motors, s’est, lui, tourné vers la mode plutôt que le prix. Dans les années 1920, il devient le premier constructeur automobile à disposer d’un département design, le Art and Colour Studio. C’est ce dernier qui a introduit les actualisation stylistiques annuelles, rendant les voitures de l’année précédente obsolètes et les nouvelles, désirables.
L’exposition ‘Cars’ illustre parfaitement à quel point la voiture a été le moteur du changement au XXe siècle.
Le style devint ainsi un élément compétitif, comme c’est le cas des voitures de luxe, mais accessible au grand public. La voiture passe de machine utilitaire à objet de désir, un concept qui allait également faire son chemin dans d’autres secteurs industriels. Peu à peu, les gens se sont mis à collectionner les voitures, à se réunir autour de leurs bolides et à créer des rituels.
Des sous-cultures se mirent aussi à les utiliser pour exprimer leur identité, comme la ‘low-rider’ (voiture au ras du sol) typique de Californie. Le V&A Museum présente aussi un film qui explore le rôle de la voiture dans la formation des sous-cultures: les ‘spinners’ d’Afrique du Sud, les ‘dune racers’ des Émirats et les ‘truck drivers’ du Japon (routiers qui transforment leur véhicule en objets d’art).
La voiture permet aussi les voyages et l’aventure. Depuis 1900, Michelin publie un guide pour inciter ses clients à prendre la route. Le fait que le producteur de pneus a publié ce guide à 35.000 exemplaires au moment où seulement 3.000 voitures circulaient sur le sol français en dit long sur l’optimisme de l’époque. Dès les années 1920, le modèle tout-terrain de Citroën, Auto-Chenille, invitait les aventuriers à se lancer dans un périple à travers l’Asie et l’Afrique.
Créatures
Le V&A Museum n’oublie pas le revers de la médaille et analyse la géographie du pétrole. D’abord célébré comme une ressource miracle et inépuisable, l’or noir traverse une crise dans les années 70. Pour répondre à la pénurie de ce carburant
fossile, on invente la Messerschmitt KR200 et la Ford Nucleon (concept-car alimenté par un mini-réacteur nucléaire). Et les mines de lithium du Chili sont porteuses de promesses.
"Les conséquences de la voiture sont apparues dès les années 1960", explique Lizzie Bisley. "Il y a 130 ans, personne n’avait prévu les ravages qu’elle ferait. La voiture est l’exemple ultime des conséquences totalement inattendues que peut avoir une nouvelle invention."
Pourtant, elle estime qu’il y a lieu d’être optimiste. "Nous sommes de plus en plus conscients de la nécessité d’apporter des changements dans la façon de concevoir, produire et utiliser les voitures. L’histoire montre que les choses peuvent changer radicalement rapidement."
La Pop.Up Next, une voiture volante autonome et électrique, développée par Italdesign, Airbus et Audi, est exposée à Londres. "Cet objet et un film soulèvent la question de savoir si, au XXIe siècle, l’innovation permettra de relancer les promesses de la voiture (liberté, vitesse, efficacité) sans ses effets indésirables (pollution, victimes d’accidents de la route, embouteillages). Nous sommes à nouveau à un point de bascule technologique, comme à la fin du XIXe siècle", conclu-t-elle. "Nous devons saisir cette opportunité."
‘Cars: Accelerating the Modern World’, jusqu’au 19 avril 2020.