Les zones à faibles émissions deviennent l'ennemi numéro un des collectionneurs de voitures anciennes. C'est donc dans l'air du temps: de plus en plus de belles voitures de collection sont ainsi transformées en modèles 'electric vintage' d'un coup de baguette magique. Le marché des classiques 'future-proof' serait-il passé à la vitesse supérieure?
"Kill it with fire!" Voilà la réaction d'un fan de voitures anciennes lors de la présentation de Jaguar, en septembre dernier, de la version électrique de son ancêtre le plus important, la Type-E Zero: un Roadster de la Série 1.5 de 1968. L'entraînement électrique a été développé dans le Warwickshire, dans la nouvelle usine 'Classic Works' où Jaguar Land Rover restaure ses modèles iconiques.
"Les réactions négatives ont été l'exception", rétorque Mike Goodbun, global PR manager de Jaguar Land Rover Special Operations. "La plupart des gens trouvent notre Type-E Zero fantastique. Des centaines de personnes ont déjà annoncé qu'elles souhaitaient en commander une."
Le moteur à explosion d'une voiture classique n'est-il donc pas aussi indispensable que son phénoménal jeu de lignes? Peut-être pas. Jaguar parle d'une sensation de conduite époustouflante. "La Type-E Zero se conduit comme une Type-E", affirme Goodbun. "Le moteur électrique délivre 300 ch et le poids, les dimensions et l'emplacement de l'entraînement sont identiques à ceux de l'originale. Le châssis, la suspension et les freins sont également inchangés. La voiture est même devenue un peu plus légère et plus performante: il ne lui faut que 5,5 secondes pour passer de 0 à 100 km/h."
On ne sait pas encore si Jaguar Land Rover commercialisera réellement cette version électrique. "Beaucoup dépendra de la réaction du marché", explique Goodbun. "Nous voulons savoir exactement combien nous pouvons en vendre, ce que les gens sont prêts à payer, où se trouvent les clients potentiels et comment fonctionnent ce nouveau marché." Il ne peut pas non plus donner de prix précis. "Mais une Type-E Série 1 Zero restaurée devrait coûter plus de 300.000 livres (337.000 euros)."
Nouvelles aventures
Le constructeur automobile britannique n'est pas le premier à proposer une voiture classique électrique: en 2012, Toyota avait fait de même avec une 2000 GT de 1967, la voiture dans laquelle roulait James Bond dans 'On ne vit que deux fois'. À l'époque, ce projet avait été très mal accueilli.
Depuis, le monde a changé: aujourd'hui, les amateurs d'ancêtres se demandent s'ils pourront continuer à utiliser leur petite merveille dans les 'Zones à Basses Emissions'. Nous évoluerons donc vers deux types d'ancêtres: les voitures de collection, réservées aux événements, et les autres, plus largement utilisées.
Dès lors, il n'est pas étonnant que les grandes marques réfléchissent à des modèles électriques de voitures classiques. Et plus elles attendent pour entrer sur ce marché, plus la concurrence sera rude. Zelectric, à San Diego (Californie), y est entrée dès 2012 et, à ce jour, elle reste une des principales entreprises de conversion. En effet, après les Coccinelles, elle a transformé des vans VW, des Karmann Ghia et des Porsche. Le prix de la conversion? À partir de 54.500 dollars.
L'entreprise a fait des émules et non des moindres. Toujours en Californie, Electric GT a transformé une Ferrari 308 GTS de 1978 (le modèle de 'Magnum PI') et une Fiat 124 Spider (1980) en voitures de sport électriques. Plus près de chez nous, la startup française Ian Motion livre ses premières Mini Cooper classiques électriques. Autres joueurs: EV Classics et Electric Classic Cars, deux entreprises anglaises de premier plan. Electric Classic Cars convertit la Coccinelle et la Fiat 500, mais aussi des BMW et des Porsche. Les modules de batterie sont signés Tesla et leur autonomie peut atteindre 400 kilomètres. L'entreprise booste également la puissance de la plupart des voitures qu'elle transforme, et y adapte la suspension et les freins.
Amour des ancêtres
L'entreprise finlandaise e-Drive Retro a l'ambition d'être la meilleure. Elle a déjà converti une MGA (1959) et une Triumph GT6 (1972), et affirme pouvoir le faire avec n'importe quelle voiture classique. Cette conversion est entièrement sur mesure: de l'extérieur, rien n'a changé. Et, selon l'entreprise, les caractéristiques de conduite sont conservées car le poids, la suspension, les freins, les roues et les pneus sont inchangés. Si les performances dépassent celles de l'original, il faut (provisoirement) se satisfaire d'une autonomie de 100 à 150 kilomètres.
Le fondateur de cette entreprise qui compte cinq collaborateurs est l'ingénieur-entrepreneur franco-américain Michael Richardson. En quête d'investisseurs et de partenaires commerciaux au Benelux, il s'est rendu au salon de l'auto de Bruxelles. "Les nouvelles voitures électriques et hybrides sont présentes en nombre, c'est la flotte de demain", déclare-t-il. "Nous, c'est ce qui existe qui nous intéresse. Nous voulons convertir un maximum de voitures, et nous commençons par les classiques, des oeuvres d'art sur roues. Oui, c'est un geste un peu provocateur."
Un moteur électrique ne nécessite aucun entretien, ce qu'apprécieront ceux qui ont l'expérience des voitures anciennes.
Depuis la création de l'entreprise en 2015, l'accent a été mis sur la conception de son propre groupe motopropulseur, qui peut être adapté pour chaque modèle. "Quant au volet commercial, nous espérons être rentables au cours des 18 à 24 prochains mois. Nous nous focalisons sur la Norvège, où les voitures électriques sont déjà bien implantées, ainsi que sur les pays où l'amour des ancêtres est le plus marqué: Suède, Benelux, France, Allemagne et Royaume-Uni." E-Drive Retro travaille en collaboration avec le grand restaurateur Grips Garage, basé à Vantaa (Finlande) où quatre MGA et deux GT6 attendent d'être converties. "Nous sommes à la recherche de partenaires dans d'autres pays", ajoute Richardson. "Le but est que les conversions soit faites localement, ce qui pourrait compléter leur activité actuelle." Le prix n'est pas négligeable. Une MGA restaurée et transformée coûte environ 150.000 euros. "Sur commande, nous pouvons adapter notre architecture pour des Land Rover des années 50, des Mercedes Pagode ou des grands cruisers américains comme les Ford Thunderbird."
Richardson reconnaît qu'une conversion est difficile à réaliser si les voitures sont très rares et si le moteur est impossible à remplacer. "L'objectif n'est pas de transformer une Ferrari 250 GTO de 35 millions d'euros en voiture électrique. Beaucoup de voitures classiques rouillent parce que le groupe motopropulseur ne fonctionne plus. Nous faisons de l'upcycling: nous les ressuscitons, nous les rendons à nouveau utilisables. Notre public n'est pas le collectionneur hardcore qui remporte des concours d'élégance, mais les gens qui ont le sens du style et sont conscients de la façon dont évolue le monde."
Le plaisir de conduire des coupés sport n'a pas à en pâtir. "Tout dépend de votre définition du plaisir. Ce qui disparaît, c'est le charme d'utiliser un starter, de bricoler et de développer une sorte d'intimité avec le moteur. Mais le look classique, l'odeur du cuir et l'expérience restent intacts." En effet, toutes les belles voitures anciennes n'ont pas un moteur extraordinaire: certains sont lents et sans caractère. Un moteur électrique riche en couple peut leur apporter de la vitalité. "Les voitures deviennent plus puissantes, plus confortables et plus fiables. Quand vous utilisez votre voiture un week-end par mois, vous n'avez pas envie de tomber en panne." Autre avantage: un moteur électrique ne nécessite plus aucun entretien, ce que ceux qui ont un peu d'expérience des voitures classiques apprécieront. Je possède une Saab 900 de 1992. Pour la convertir, d'après Richardson, il faudrait compter 100.000 euros (sans la restauration). "Au cours des cinq à dix prochaines années, je pense que le marché passera du haut de gamme à des milliers, voire des millions de voitures. Ces coûts seront alors réduits de moitié, ou davantage."
DIY
Les Pays-Bas comptent également plusieurs acteur dans ce domaine. Après une visite chez Tesla, en 2008, Anne Kloppenborg s'est lancé dans la conversion d'un hors-bord, laquelle a mené à la création de son entreprise, New Electric. Depuis, elle a réalisé une centaine de conversions de bateaux, de véhicules utilitaires et de voitures classiques. L'entrepreneur promet des groupes motopropulseurs certifiés UE pour toutes les voitures, quels que soient leur marque et leur modèle. Avec, au choix, l'accent mis sur une vitesse de pointe élevée, un couple maximal, les longues distances ou le mix idéal. Il détaille: "C'est, en partie, du sur mesure. Pour le moment, nous avons un groupe motopropulseur prêt à l'emploi pour Fiat 500 facile à monter et à démonter. Et nous terminons une Jaguar XJS de 1983, équipée d'un double moteur qui offre des performances phénoménales."
Les bricoleurs peuvent également acheter un groupe motopropulseur à installer. Pour une Fiat 500, cela revient à environ 10.000 euros. Faire exécuter une conversion est possible à partir de 25.000 euros. Pour ma Saab, il l'estime autour des 40.000 euros. "Nous visons une autonomie d'au moins 200 kilomètres et elle peut être augmentée. Un système de charge rapide est aussi possible en option."
Point problématique
Pour les propriétaires belges de voitures anciennes, il reste un pierre d'achoppement: même si la conversion a été faite dans un garage agréé, les voitures classiques équipées d'un moteur électrique ne peuvent circuler qu'après avoir été immatriculées en Belgique. "Mais il existe des solutions: l'importation", signale Kloppenborg. "Si vous faites contrôler votre véhicule en tant que véhicule néerlandais, il sera autorisé dans toute l'UE." Mais il faut d'abord le vendre (du moins sur papier) à un Néerlandais, qui le fera homologuer dans son pays. Ensuite, il faudra racheter votre propre véhicule. Bref, beaucoup de tracasseries administratives!"
En 2012, les ingénieurs Klaas et Renaat De Craemer se sont lancés dans la conversion d'une Mazda MX5 (1994), terminée en 2016. "Nous avons probablement été les premiers à rouler légalement avec une voiture auto-convertie", explique Klaas. "Cela n'a pas été une mince affaire. Au service d'immatriculation, personne ne savait que faire dans cette situation. On nous a donc renvoyés d'un guichet à l'autre et, pour finir, nous avons 'vendu' la voiture à un Allemand, qui l'a faite homologuer, après quoi nous l'avons réimportée en Belgique. Ensuite, nous avons fait effectuer un contrôle de validation ici. Quelques semaines plus tard, nous avons reçu une liasse de documents ainsi qu'un nouveau certificat de conformité en tant que véhicule électrique. Et elle a enfin pu être immatriculée en Belgique. Depuis lors, nous la conduisons avec grand plaisir."