"Life’s too short to drive boring cars": les hommes le savaient, les femmes le découvrent. Voici le seul club de ‘female supercar owners around the globe’, les Arabian Gazelles.
Leur compte Instagram, où elles postent des photos d’elles et de leurs supercars, est suivi par plus de 30.000 followers. Le club féminin des Arabian Gazelles a été fondé en 2016 par Hanan Sobati (43 ans), une Algérienne établie depuis vingt ans à Dubaï (Émirats Arabes Unis), inspiré par le célèbre Rallye des Princesses auquel elle a participé, en France et en Espagne.
Son club s’adresse principalement aux femmes qui vivent dans les six pays exportateurs de pétrole du Conseil de Coopération du Golfe, soit Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis.
Il faut, évidemment, situer ce club dans le contexte de la culture automobile de cette région. Dans la rue principale de Dubaï, il est difficile de ne pas spotter quelques supercars, même en plein après-midi. La police circule en Ferrari, en Lamborghini et en Bugatti.
"En Algérie, le pays où j’ai grandi, les Grand Prix de Formule 1 étaient mes programmes de télé préférés", témoigne Sobati. "Ayrton Senna était mon super-héros. Notre famille était aisée, mais nous étions plutôt discrets car nous conduisions des voitures ordinaires. Pourtant, je savais qu’un jour, je réaliserai mon rêve: avoir une supercar."
Quelques années plus tard, sa famille emménage au Qatar, pour des raisons professionnelles du père, pilote de ligne. "Ensuite, il y a 20 ans, je suis venue vivre à Dubaï, où les restrictions en matière de conduite des femmes étaient levées et où je pouvais donc vivre cette passion comme je l’entendais. Ma première voiture a été une merveilleuse Jaguar XJ8."
Idée stupide
Certains hommes reprochent à notre club d’être sexiste. Ma réplique? Le monde entier est un club d’hommes!
Aujourd’hui, son garage abrite une Morgan Aero SuperSport, une Rolls-Royce Phantom Drophead Coupé, une McLaren 650S et une Mercedes classe G. Après avoir été marketing manager pour le diamantaire De Beers, l’Algérienne dirige avec son époux une entreprise de pneus pour poids lourds. "Mon mari n’est pas aussi dingue que moi de supercars", déclare-t-elle. "Pourtant c’est lui que l’on invitait aux ‘high octane events’. Alors, j’y allais à sa place."
"En général, j’étais la seule femme. Même si les femmes étaient les bienvenues, on partait toujours du principe qu’elles occuperaient pour l’éternité le siège du passager. Ou qu’elles auraient un chauffeur. Alors, quand j’arrivais au volant d’une supercar, on me regardait comme une bête curieuse. Une femme dans une “voiture d’homme”, ça dépasse leur imagination. Quelle idée stupide!", conclut-elle.
Cependant, sur les réseaux sociaux, elle avait remarqué que beaucoup de femmes en raffolaient. "J’en ai trouvé qui étaient encore plus fans que moi, mais beaucoup d’entre elles n’avaient pas la chance de pouvoir pratiquer leur passion. Certaines n’avaient même jamais vraiment été en contact direct avec ce style de voitures. Je les ai mises au volant, en ville et sur circuit. Après cette première expérience, certaines ont acheté une supercar alors que ce n’était pas leur intention au départ."
Women only
Quelles ont été les réactions lorsqu’elle a fondé son club? Elle soupire. "Au début, les hommes ne comprenaient pas pourquoi, ni d’où cela venait. Ils ne croyaient pas non plus que notre passion était réelle. C’était leurs jouets, leur hobby. Quand leur femme voulait devenir membre, ils venaient me voir pour me dire “Ce n’est vraiment pas possible, Hanan, cette voiture est beaucoup trop rapide, beaucoup trop dangereuse”.
Ce qui est absurde, bien sûr. Conduire, ce n’est pas sorcier. Ces femmes manquaient juste d’assurance et leurs maris ne leur faisaient pas confiance. Ils ne voulaient pas qu’elles touchent à leurs précieux engins. Deux ans plus tard, ces hommes sont conquis", sourit-elle. "Ils trouvent ça bien.
Quand j’arrivais au volant d’une supercar, on me regardait comme une bête curieuse. Une femme dans une “voiture d’homme”, ça dépasse leur imagination!
Du moins, certains; il ne faut pas généraliser, je reçois encore des plaintes. On déplore que ce soit sexiste d’avoir un club ‘women only’. Ma réplique? Le monde entier est un club d’hommes! Il n’y a donc aucun mal à ce qu’ils soient discriminés de temps en temps."
"Quoi qu’il en soit, ils commencent à se rendre compte que, les femmes aussi sont d’authentiques pilotes et, pour commencer, parce que certaines s’achètent une supercar. D’autres utilisent celle de leur époux, je ne vois pas le problème: elles ont peut-être mis leur carrière entre parenthèses pour lui, alors elles peuvent bien utiliser sa voiture. Beaucoup de femmes n’ont pas encore les moyens de se l’offrir, alors je les y encourage vivement."
"Lors du week-end de Formule 1 à Abu Dhabi, fin novembre, nous avons organisé notre premier événement réservé aux Gazelles et leurs époux, à la demande de ces derniers: ils étaient jaloux, je crois car, à la longue, nous étions plus souvent qu’eux sur les circuits.
Nous avons été accueillis dans un tout nouvel hôtel. Les hommes se sont rencontrés et l’ambiance était extraordinaire. Une fois de temps en temps, ça peut se faire. Tant que les hommes sont assis à la place du passager et restent sages… C’est la règle numéro un des Arabian Gazelles. Ça peut sembler idiot, mais c’est très important." On dirait une vengeance historique. "C’est un bien grand mot! Il s’agit plutôt de rééquilibrer l’ensemble de la société."
Passion et autonomie
Le club des Arabian Gazelles compte plus de soixante adhérantes. "La plus jeune avait dix-huit ans quand elle s’est inscrite. Quand elle a découvert le club, elle a directement passé son permis de conduire. Maintenant, elle conduit les supercars de la famille, comme ses frères. Je suis très fière d’elle."
L’adhésion est gratuite. Seule condition: avoir une supercar: Bugatti, Lamborghini, Ferrari, Rolls-Royce, Bentley, McLaren, Aston Martin et Maserati, sans oublier les SUV de luxe comme la Bentley Bentayga et la Mercedes-Benz Classe G. Parmi les membres, on trouve beaucoup d’entrepreneuses, mais aussi des pilotes, des créatrices de mode, des stylistes et des femmes au foyer.
"Je table sur une certaine convergence de vues", explique Sobati. "Elles viennent pour différentes raisons et ça ne doit pas se limiter au désir de paraître: je tiens à maintenir une certaine intégrité. Nous voulons une plateforme réservée aux femmes passionnées, prêtes à donner envie aux autres de devenir autonomes."
Oups! Vogue a écrit qu’elle déteste ce mot, “autonomie”. "Nous agissons sans autre forme de procès, sans nous étiqueter comme telles", précise-t-elle. "Dans notre petite communauté, tout le monde s’entraide."
Est-ce un mouvement féministe? "C’est ainsi que le club a été interprété, mais je ne le considère pas comme tel. Il est axé sur les voitures et c’est notre bulle, au sein de laquelle nous vivons notre passion et nouons des contacts. Il y avait déjà toutes sortes de choses pour les femmes d’affaires, mais lancer un club de supercars, c’était comme si nous venions menacer le hobby des hommes mais nous aussi, nous sommes des “petrolheads”!"
L’histoire en marche
Récemment, les Gazelles sont parties dans un pays où le fait d’être autonome est une notion particulièrement pertinente pour une femme. En Arabie Saoudite, l’interdiction de conduire pour les femmes n’a été levée que le 24 juin 2018. "Des Saoudiennes avaient déjà roulé avec nous aux Émirats", explique Sobati.
"En décembre, Michelin nous a invitées en Arabie Saoudite, où se déroulait la première course de la saison de Formule E. J’y étais déjà allée quand j’avais 15 ans, et ce fut la pire expérience de ma vie. Même si vous étiez couverte de la tête aux pieds, la façon dont les gens vous regardaient était horrible. Vous n’étiez rien, ni personne. Inexistante.
Par contre, cette fois-ci, j’ai été éblouie par l’accueil chaleureux et la façon dont les Saoudiens se sont ouverts au monde, après des décennies d’obscurantisme. Nous ne cachions pas nos cheveux et ne portions pas de voile, c’est dire..."
"La Formule E est étrangement peu bruyante, mais les éclats de rire des femmes remplaçaient le son des moteurs des voitures de course. Enrique Iglesias a donné un concert à Riyad. Avant, cela aurait été interdit. De plus, le public était mixte, ce qui aurait été impensable il y a quelques mois. L’histoire est en marche et nous en sommes témoins. Nous pouvions aller n’importe où, à l’exception du bar, c’est vrai... Mais l’ambiance était géniale. Je ne le croirais pas si je n’y étais pas allée. J’espère que c’est le signe d’un avenir meilleur pour ce pays."
Lentement mais sûrement, les Gazelles gagnent du terrain à l’international. "Nous comptons également des membres en Afrique du Sud, au Royaume-Uni, au Luxembourg et espérons pouvoir organiser des événements dans ces pays", détaille l’Algérienne. La collaboration avec le retailer de luxe américain Moda Operandi est également un signe de leurs ambitions internationales. "Nous venons de renouveler notre contrat et nous organisons des événements ensemble. L’autre jour, il y avait un track day. Nous sommes allées à l’Autodrome de Dubaï avec nos propres supercars pour participer à un événement de sensibilisation au cancer du sein."
La Formule E est étrangement peu bruyante, mais les éclats de rire des femmes remplaçaient le son des moteurs.
Les constructeurs automobiles commencent, eux aussi, à prendre les Gazelles de plus en plus au sérieux. "Ils comprennent enfin que nous voulons vivre l’expérience d’une supercar. Ils réalisent que les femmes peuvent, elles aussi, avoir un pouvoir d’achat élevé et qu’elles vont le consacrer à concrétiser leurs rêves de vitesse. Le CEO d’Aston Martin a déclaré qu’il souhaitait s’adresser aux femmes, avouant qu’ils nous avaient oubliées."
Ce qui est frappant, c’est que la culture automobile au Moyen-Orient est assez bling-bling. Les voitures classiques semblent susciter peu d’enthousiasme. "C’est vrai", reconnaît-elle. "Et je vais vous dire pourquoi. J’ai été invitée au premier rallye de classiques de la région, organisé par le joaillier Chopard. On m’avait assigné une vieille Mercedes, mais elle a pris feu avant même que j’arrive au gala d’ouverture; et ce n’était pas dû à mon style de conduite."
"Pendant ce rallye, dans le désert, la plupart de ces voitures anciennes ne sont pas allées très loin: le climat n’est pas fait pour elles. D’autre part, nous ne nous y connaissons pas suffisamment en mécanique pour les entretenir. Mais il y a quelques showrooms de voitures classiques et nous en voyons aussi à l’occasion des concours d’élégance. Alors, oui, nous commençons à les apprécier. Moi comprise."