Et si Ferrari avait construit un camping-car? Lamborghini un bus scolaire? Le publicitaire et photographe François Mercier, alias Mr. François, réinvente les modèles iconiques grâce à l'IA.
François Mercier (53 ans) adore les voitures, mais aussi dans leur version "ouf": une Jaguar Duplex, une Rolls-Royce Counter ou une Citroën DS Junior, par exemple, que l’on retrouve dans le bel ouvrage "Secret Cars", consacré aux voitures imaginaires. À première vue, on pourrait hausser les sourcils. Mais laissez-vous surprendre: cet ouvrage original et inspirant, qui compile 300 "promptographes" générés par l’IA, vous fera sourire et rêver. Une bouffée d’originalité réjouissante, empreinte d’humour et d’un délicieux second degré.
Sans surprise, François Mercier est un passionné d’automobile. Comme beaucoup, son amour pour les voitures a commencé par des modèles réduits. Très tôt, la créativité s’est invitée dans son univers: "Enfant, je transformais mes modèles réduits", explique-t-il en riant. Aujourd’hui, il roule en Mini, mais son garage abrite également une Peugeot 504 coupé de 1969 (une merveille signée Pininfarina) ainsi qu’un scooter vintage et un Honda Elite 250 de 1989. "Ce que j’aime, c’est avant tout l’esthétique des engins motorisés, leur univers et, bien sûr, les voyages qu’ils permettent. En revanche, les grosses cylindrées aux moteurs surpuissants, ce n’est pas mon truc."
"Secret Cars - 300 Promptographs"
Mr. François, éditions Luster, 25 euros
200 euros à 1.000 euros l’Impression sur métal
| www.mrfrancois.com |
Planète des Singes
Dès que François Mercier découvre l’IA, il se lance aussitôt dans des expérimentations automobiles. "Ce projet s’inscrit dans le concept de l’uchronie, qui consiste à imaginer des réalités alternatives", explique-t-il. "La question de départ est toujours: et si? Si l’on modifie légèrement les prémisses, à quoi pourrait ressembler le monde? Cela me fascine depuis longtemps, c’est pourquoi j’adore les films de science-fiction comme ‘La planète des singes’, où le monde imaginé reste proche de notre réalité tout en ouvrant la porte à un univers parallèle. Aujourd’hui, je peux créer quelque chose dans cet esprit. Par exemple: et si Fiat avait transformé sa mythique Cinquecento en limousine? En posant des questions absurdes à un programme d’intelligence artificielle, on obtient des images amusantes où familier et surréel coexistent."
Certains des modèles présentés dans "Secret Cars" ne s’inspirent pas de voitures existantes, mais Mercier reconnaît que "le plus amusant reste de transformer des voitures réelles, comme la Lamborghini Puntach CF: une Countach revisitée en corbillard".
En tant que promptographe, François Mercier utilise le programme d’IA générative MidJourney, qu’il intègre à Discord, une plateforme de messagerie et de distribution numérique très prisée par les gamers pour créer des communautés en ligne. "Je pars toujours d’une marque automobile réelle, jamais d’une image préexistante», précise-t-il. "Je rédige un prompt, une série de mots décrivant l’image souhaitée. Par exemple, je demande: ‘Crée un camping-car basé sur une Ferrari rouge des années 1980.’ Le système analyse alors sa base de données: qu’est-ce qu’une Ferrari? Qu’est-ce que le rouge? À quoi ressemble une Ferrari des années 1980? Qu’est-ce qu’un camping-car? Et, trente secondes plus tard, une image totalement inédite apparaît."
Accessibilité des images
Un prompt peut être très concis, par exemple deux phrases totalisant 25 mots, mais il peut aussi être beaucoup plus long, bien que cela ne garantisse nécessairement pas un meilleur résultat. "Parfois, il est préférable d’être court et direct", explique Mercier. "De toute façon, le premier résultat est rarement satisfaisant, ce qui m’oblige à affiner et à ajuster. Parfois, le résultat est complètement différent de ce que j’avais imaginé. L’intelligence artificielle est fondamentalement bête: c’est à moi de l’alimenter avec mes idées, de définir très clairement ce que je veux et de dialoguer avec la machine. Avec l’expérience, j’ai appris à mieux gérer ce processus et j’obtiens désormais des résultats acceptables beaucoup plus rapidement qu’au début. Je rédige souvent mes prompts dans différentes langues (français, néerlandais et anglais), ce qui influence considérablement les résultats."
Le résultat peut être parfait au bout d’une heure ou d’une semaine. "Bien sûr, ce n’est jamais exactement ce que j’avais à l’esprit", ajoute Mercier. "Peut-être que cela arrivera un jour, quand nous pourrons nous connecter directement à une machine qui pourra lire nos pensées. Bon, j’espère ne jamais vivre ça!" (rires)
Certaines tentatives échouent totalement, surtout lorsqu’il est question de modèles inspirés des voitures Saab. Certaines marques se prêtent-elles mieux que d’autres à l’exercice? "Tout dépend du nombre d’images disponibles dans la base de données du système", répond Mercier. "Pour Saab, il y en a beaucoup moins que pour une Porsche 911, par exemple. Le résultat est donc flou: la machine ne comprend pas vraiment ce qu’elle doit produire. Je travaille sur un autre projet autour de personnalités célèbres. Si je demande à l’IA de générer une image de Donald Trump, cela fonctionne parfaitement. Mais si je lui demande un portrait de notre roi, ce n’est pas du tout ressemblant. Il existe de nombreuses photos référencées de Philippe, mais pas suffisamment pour générer un portrait clair et convaincant."
"Peut-être que cela arrivera un jour, quand nous pourrons nous connecter directement à la machine, qui pourra lire nos pensées."François Mercier
Un camping-car Ferrari
Chaque "nouveau" modèle imaginé par François Mercier s’accompagne d’un nom évocateur. Que diriez-vous d’une Audi Sixtro ou d’une Ferrari Minima S2 ou d’une Mercedes 30000 SL ou d’une Porsche Combi 1 ou d’une Aston Martin DBXL ou d’une Maserati Carrio GT ou encore d’une Citroën 20 CV? Pure invention humaine ou fruit de l’IA? "Non", répond-il en riant. "Ces noms, je les ai imaginés moi-même - c’est de l’intelligence naturelle! Les inventer faisait partie intégrante du projet, et c’était extrêmement amusant."
En feuilletant le livre, on ne peut s’empêcher de sourire en imaginant que certains de ces modèles auraient pu devenir de véritables succès commerciaux. On se surprend même à se demander ce que ces marques ont pu laisser passer à l’époque. "Beaucoup de ces créations sont totalement impossibles à réaliser", nuance Mercier. "Par exemple, les versions camping-car de supercars, comme la Ferrari F4000L, ne pourraient pas exister, car dans la réalité, le moteur est placé à l’arrière et il n’y a pas d’espace pour lui sur ces images. En revanche, la minuscule Alfa Romeo O, une de mes voitures préférées, pourrait tout à fait être construite réellement, par exemple en utilisant le châssis de la Fiat 500 d’origine. Et devinez quoi? Trois jeunes designers automobiles d’Italie et de France sont tellement fans de mon travail qu’ils envisagent d’en faire une version miniature!"
"Le plus amusant, c’est de transformer des voitures existantes, comme la Lamborghini Puntach CF, une Countach, devenue un corbillard."François Mercier
En fait, l’industrie automobile intègre de plus en plus l’IA dans ses processus de création, notamment via des outils comme Photoshop. Cela permet de répondre à des questions du type "et si ?" concernant des modèles existants, une démarche qui découle directement du concept d’uchronie.
Le projet "Secret Cars" est également disponible sous forme d’impressions sur métal. Des expositions ont déjà eu lieu à Bruxelles, à Knokke et à Namur. "J’essaie de trouver des lieux à l’étranger. J’adorerais organiser une exposition à Turin, le paradis du design automobile", déclare Mercier. En attendant, il continue de générer de nouvelles voitures. "Quand je suis dans le métro, je peux tout simplement ‘prompter’ des images sur mon smartphone!", explique-t-il en riant. "Je travaille sur plusieurs concepts à la fois et je suis constamment en dialogue avec la machine sur des idées de modèles de voitures."