Roadtrip en Italie avec une Alfa Romeo de 1981 | Partie 2: dans l'ancien quartier général italien

Bert Voet, journaliste pour Sabato, s'est rendu cet été en Italie avec l'un de ses meilleurs amis. Un roadtrip en quête des racines de leur compagne de voyage: l'Alfa Romeo Spider.

"Toi aussi, tu as l'impression qu'elle peut s'effondrer à tout moment?" Ces 34 dernières années, Ward Bogaert n'a que très rarement occupé le siège passager de sa propre voiture. Je viens à peine de prendre place derrière le grand volant en bois à trois branches, l'imposant compteur kilométrique et un compte-tours sans zone rouge. Les jauges d'essence, de la pression de l'huile et de la température de l'eau sont orientées vers moi sur la console du milieu. Un imposant cendrier était indispensable, en 1981. En cette année 2024, l'allume-cigare a laissé la place à un chargeur pour nos GSM et le haut-parleur.

Nous suivons la A43, direction Grenoble, Turin et Milan. Avec une consommation moyenne de 13 litres, nous devons faire le plein plus souvent que nécessaire pour recharger une voiture électrique récente. Sur la route de Grasse, le long de la fameuse Route Napoléon, nous parcourons près de 300 kilomètres à une moyenne de 50 kilomètres à l'heure. Les routes sinueuses replongent Ward en août 1990, il venait à peine d'acquérir sa voiture. "À l'époque, j'ai emprunté la même route, accompagné de ma copine du moment", raconte-t-il. "Avec un épais panache de fumée derrière nous et un moteur hoquetant sur trois cylindres. Montant et dévalant les montagnes."

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Road trip en Italie dans une Alfa Romeo Spider de 1981 | Partie 1 : Ward et sa voiture

La Route Napoléon a été ouverte à la circulation en 1932. Elle suit le même itinéraire de Cannes vers Grenoble que Napoléon avait emprunté après s'être évadé de l'île d'Elbe où il avait été exilé. Nous la parcourons en sens inverse. Mais tandis que nous traversons des villages idylliques dans les Alpes françaises, la beauté du parcours se refuse en grande partie à nous en raison de fortes pluies incessantes et des vitres embuées en permanence.

Le troisième jour de notre voyage nous conduit vers La Turbie, où nous passerons la nuit chez des amis de Ward. La chaleur est étouffante, nous nous trompons trois ou quatre fois de sortie, le réservoir à essence est presque vide et après s'être un instant rangé sur le bas-côté, Ward heurte un poteau en reculant pour repartir. À mon grand étonnement, il ne s'en retourne pas. Il faut dire que les dégâts sont limités. "Une Mercedes 190 m'a embouti lorsque je suis venu à Antibes pour la première fois", explique Ward. "À première vue, les dégâts semblaient minimes, mais lors de l'arrêt suivant pour faire le plein, je me suis rendu compte que 20 litres d'essence avaient coulé dans le coffre. J'ai pu résoudre le problème, mais ma petite amie s'est plainte de maux de tête causés par les émanations pendant tout le reste du voyage."

©Bert Voet
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Circuit sur un bateau

Arrivés à Milan, nous remarquons des dizaines de Spiders et autres modèles Alfa sur le parking du Museo Storico Alfa Romeo. La conférence sur la Spider qui doit se dérouler aujourd'hui est précédée d'une parade. Le fait que les inscriptions soient déjà clôturées ne semble pas poser problème lorsque Ward souligne qu'il possède une Spider depuis déjà 34 ans et que nous avons fait le voyage depuis la Belgique à son bord. Dans la chaleur caniculaire, nous faisons en roulant au pas quelques tours d'un petit circuit situé juste devant le musée en compagnie d'une quarantaine d'autres Spiders.

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Au cours de la conférence qui suit, des historiens de la marque et des ingénieurs racontent en détail l'histoire du Spider devant un public de presque 200 personnes. Sur le podium trônent trois exemplaires en Rosso Alfa: la 2000 (1958), la 2600 (1962) et la Spider Duetto (1966). Cette dernière, le modèle de Ward, trouve son origine dans le prototype Super Flow qu'Aldo Brovarone avait déjà dessiné chez Pininfarina en 1956. Après la présentation officielle lors du salon de Genève en 1966, la voiture a fait le voyage vers New York en bateau, en faisant une escale à Cannes à l'occasion du festival de cinéma.

Un petit circuit avait été aménagé sur le bateau, sur lequel l'ancien coureur de formule 1 Consalvo Sanesi fit des démonstrations pour des VIP et des journalistes. Un concours avait été lancé pour choisir le nom du modèle. Parmi les 140 000 participants, sept avaient opté pour Duetto. Un gagnant avait été tiré au sort parmi eux et avait reçu un exemplaire en blanc. Finalement, le modèle a fini par être tout simplement baptisé Spider, comme les premières deux places décapotables de la marque. Le placement de produit de la voiture dans le film "Le lauréat" avec Dustin Hoffman est légendaire. La Duetto, le surnom lui est toujours resté, a été construite en quatre séries à succès jusqu'en 1994.

©Bert Voet

Collection visionnaire

L'idée d'une conférence mensuelle, le "Backstage review series" est née en 2018. "L'objectif était d'à chaque fois organiser un week-end de réunion autour d'un sujet en réserve", explique Lorenzo Ardizio, le directeur du musée. "Après soixante éditions, c'est devenu la moelle épinière de nos activités, qui s'accompagne parfois d'une parade ou d'un flashmob." Le musée organise des dimanches familiaux et des open bonnets, où toutes les voitures s'ouvrent littéralement pour le public, même des voitures de course et des concept cars. "Deux fois par an, nous éteignons les lumières le soir et le musée reste ouvert jusque minuit. Les visiteurs font le tour, équipés de lampes de poches, ce qui crée une ambiance incomparable."

Le musée a une histoire à part entière. "Lorsqu'en 1956, Alfa Romeo a décidé de déménager ici son usine de Portello, l'Italie était encore loin d'imaginer des collections", déclare Ardizio. "Des voitures qui valent aujourd'hui des fortunes étaient à l'époque simplement vendues d'occasion. Alfa Romeo a fait figure de visionnaire: l'entreprise a compris que d'un point de vue historique, il pouvait s'avérer intéressant de conserver des voitures et autres artefacts."

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Lors de la construction de la nouvelle usine, rendue opérationnelle en 1963, il a été décidé d'y intégrer un musée. La conception en revient aux frères Vito et Gustavo Latis, deux architectes qui ont joué un rôle important dans la reconstruction de l'Italie d'après-guerre, célèbres pour leurs designs particulièrement épurés et fonctionnels." Peu après la fermeture en 2011, le gouvernement italien a décidé de protéger le bâtiment, la collection et les archives en tant que patrimoine. "C'était une grande première pour une collection de voitures."

©Bert Voet

Lien avec la police

La première section du musée est une ligne du temps relatant l'histoire des voitures, des usines et des personnes à leur origine. On peut entre autres y voir une 8C 2300 Corto Mille Miglia (1932) qui vaut des millions, une Guilietta (1935), la chouchoute des Italiens - ainsi qu'une Montreal (1970), une Alfasud (1971) et une Alfetta (1972) remontant à la jeunesse de Ward. La 75 (1985) et la 164 (1987), entre autres, datent plutôt de mes jeunes années à moi. La magistrale 8C Competizione (2007) conçue en interne fait partie de notre propre collection personnelle imaginaire. Elle a été produite à seulement 500 exemplaires, ce qui en a fait une voiture de collection dès sa première apparition. "Lors de sa présentation exclusive pendant le Salon de l'auto de Bruxelles, un ami et moi avons réussi à nous y introduire en rusant", raconte Ward. "Nous avons à l'époque pu assister au speech du CEO d'Alfa Romeo tout en savourant un verre de champagne et un toast au saumon (rires)."

Un second département du musée s'appelle le belezza. "C'est intraduisible, cela va bien au-delà de la beauté", explique Ardizio. C'est une ode éclatante aux concepteurs. Nous admirons la 1900 C52 Disco Volante (1952) de Gioacchino Colombo de chez Carrozzeria Touring Supperleggera, la 2000 Sportiva (1954) de Scaglione, la Giulietta SZ Coda Tronca de Zagato et bien d'autres innombrables splendeurs.

La troisième section appelée velocità met la vitesse à l'honneur avec, entre autres, une ancienne 46/60 HP Corsa (1913), la 1923 RL, qui a remporté une victoire légendaire lors de la Targa Florio, et la GP Tipo 158 Alfetta, qui a dominé le premier Championnat du monde de formule 1 en 1950. La Bimotore (1935), avec un cheval cabré sur le flanc, est une pièce inestimable. La Scuderia Ferrari a concouru avec cette voiture au moteur à huit cylindres. Cette écurie était dirigée par Enzo Ferrari pour Alfa Romeo avant qu'il ne fonde sa propre marque. On peut aussi y voir un hommage à des pilotes de course, comme Guiseppe 'Nino' Farina, Juan Manuel Fangio et Tazio Nuvolari, ainsi que les voitures destinées à la gendarmerie italienne. "Alfa Romeo et les carabinieri ont toujours entretenu une relation forte", explique Ardizio. "Difficile de trouver un film ou une scène de poursuite sans des gendarmes en Alfa Romeo. Et il suffit de voir qu'une voiture de police est une Alfa Romeo pour savoir que l'on est en Italie. Ce lien est profondément ancré dans notre culture."

Nous découvrons une 2600 SZ extrêmement rare ayant appartenu au sultan de Brunei ainsi que d'autres raretés, comme un taxi new-yorkais. Il y a aussi des moteurs exposés, dont un qui a servi pendant les 24 Heures de Spa en 1930, ainsi que des dizaines de maquettes alignées. Nous avons de temps à autre le privilège de pouvoir soulever le voile recouvrant une voiture. Nous voyons ainsi apparaître un concept pour la 8C Competizione Spider en bois et résine.

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Les archives du musée ne peuvent pas être visitées, excepté lors de journées archives ouvertes réservées à un public limité. Elles sont par contre utilisées. "Chaque année, nous répondons à environ 10 000 questions de journalistes, collectionneurs, historiens et étudiants. C'est la base de tout", affirme Ardizio. Apparemment, il suffirait à Ward de fournir son numéro de châssis pour connaître la couleur d'origine de sa voiture.

La voiture qui valait 1 million

Ardizio nous entraîne au cinquième étage de l'ancien quartier général, où la direction tenait ses réunions entre 1963 et 1986, année de son rachat par Fiat. Nous pénétrons dans la Sala del Consiglio. La salle de conférence est inviolable. "Comme un casino", raconte Ardizio. La pièce où trône une table monumentale conçue par les frères Latis ne comporte aucune fenêtre. Cette table a été fabriquée à partir d'un unique bloc de béton et ne bouge pas d'un millimètre. "C'était symbolique", explique Ardizio. "Les résolutions prises ici étaient décisives. Les décisions étaient bétonnées et immuables."

Une maquette de soufflerie de l'Alfa Romeo 33 Stradale trône sur la table. Certaines décisions importantes ont été prises ici concernant la conception et la production de cette super voiture de sport, tout comme cela avait été le cas pour l'ancêtre qui l'a inspirée: la Tipo 33 Stradale, dont seuls 18 exemplaires ont été produits entre 1967 et 1969. Le concept de Franco Scaglione de l'époque est considéré comme l'un des plus beaux de l'histoire de l'automobile. Si l'une d'entre elles devait se retrouver sur le marché, les collectionneurs devraient aujourd'hui débourser plus de 10 millions d'euros pour l'acquérir.

Le premier exemplaire construit de la classique Tipo 33 Stradale est depuis déjà 25 ans aux mains d'un collectionneur flamand.

Le projet 33 a vu le jour au sein de l'équipe Alfa Romeo Bottega, qui n'a fait construire que 33 exemplaires uniques en concertation avec les clients. L'équipe Bottega s'inspire des ateliers de la Renaissance, où les carrossiers d'antan étaient des artisans qui créaient de pures merveilles selon les vœux de leurs clients. Les premières rencontres de l'équipe Bottega ont eu lieu pendant le Grand Prix de Monza en 2022. La première voiture ne sera livrée qu'à partir de fin de cette année. Le prix s'élève sans aucun doute à plus d'un million d'euros. Le chirurgien suisse Axel Marx en a commandé une, avec près de cent voitures, il est sans doute le plus grand collectionneur d'Alfa Romeo au monde. Nous n'avons pas réussi à identifier un futur propriétaire belge. Le premier exemplaire construit de la classique Tipo 33 Stradale est par contre depuis déjà 25 ans aux mains d'un collectionneur flamand.

©Bert Voet
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Fraternité entre les anciens et les jeunes

"Qu'Alfa Romeo survive depuis maintenant 1910 est particulier", déclare Ardizio. "Si la technologie, le marché et la société ont depuis radicalement changé, Alfa Romeo a toujours su s'adapter. Pendant la période d'avant-guerre, la marque produisait en moyenne 220 voitures par an. Elles étaient bien plus chères comparées à une Ferrari d'aujourd'hui. Après la Seconde Guerre mondiale, Alfa Romeo est passée en cinq ans à une production de 600 voitures par jour. Le fait qu'elle ait su conserver son identité à ce jour est le résultat d'une approche visionnaire. Le design d'une Alfa Romeo se reconnaît au premier coup d'œil et il existe une relation directe entre la forme et la fonction. Elle est donc devenue une icône du design italien. C'est comme les arches d'un pont romain: il est inutile d'en ajouter, mais retirez-en une et tout l'édifice s'écroule. Aucune décoration inutile n'est non plus ajoutée aux voitures. C'est d'ailleurs toute la différence entre une pizza italienne et une pizza américaine."

Alfa Romeo est comme les arches d'un pont romain: il est inutile d'en ajouter, mais retirez-en une et tout l'édifice s'écroule. Aucune décoration inutile n'est non plus ajoutée aux voitures.
Lorenzo Ardizio
Directeur de musée

"Un aspect important réside dans l'inclusivité d'Alfa Romeo en tant que marque", raconte-t-il. "Les fanclubs Alfa Romeo sont des owner clubs où tout le monde est le bienvenu. Le musée est un lieu où les collectionneurs propriétaires de voitures valant parfois des dizaines de millions fraternisent avec de jeunes gens qui possèdent un modeste modèle. Il y a une Alfa pour toutes les bourses. Nous sommes l'une des rares marques proposant un tel éventail."

Il n'en reste pas moins qu'Alfa Romeo traverse une période difficile. Certains se demandent si la marque réussira à survivre. "Nous traversons une importante transformation, avec de nouvelles technologies et un changement de mentalité concernant la motorisation", explique Ardizio. "Il ne s'agit toutefois que d'une des nombreuses et profondes transformations qui ont jalonné notre histoire. Si l'électrification a désormais été initiée avec la Junior Elettrica, la direction empruntée par le marché automobile n'apparaît pas encore très clairement. C'est pourquoi il est essentiel que nous fassions partie d'un grand groupe tel que Stellantis. Il n'est plus possible de survivre en tant que petit constructeur de voitures indépendant. Alfa Romeo a obtenu de bons résultats ces deux dernières années et je suis persuadé que nous pourrons rester fidèles à notre ADN. Passez donc pour une évaluation dans une vingtaine d'années. En 1950, les critiques prétendaient aussi qu'une quatre cylindres n'était pas une véritable Alfa. Aujourd'hui, la 1900, la Guilietta et la Giulia sont devenues des voitures légendaires."

Des mains graisseuses pleines de crevasses

Ward interpelle un mécanicien à l'extérieur du musée. Il compte se rendre avec la Spider à Goodwood, le légendaire festival automobile qui se déroule en Angleterre en septembre. Il recherche activement une vieille salopette Alfa Romeo pour s'habiller d'époque. Apparemment, ce petit mécanicien tout sec avec la tête de l'emploi va prendre sa pension le 1er août. D'ici là, il a malheureusement encore besoin de sa salopette.

J'aime beaucoup mon métier de kinésiste. Il s'accorde aussi avec mon caractère sociable et j'en tire énormément de satisfaction. Pourtant, l'essence continue de couler dans mes veines.
Ward Bogaert
Propriétaire d'une Alfa Romeo Spider

"Au fond, j'aurais aussi aimé me lancer dans l'automobile", déclare Ward le soir devant un verre de prosecco. "J'estime avoir du feeling pour la course. Personne n'a jamais dû m'expliquer comme faire des drifts dans la neige. J'aurais bien voulu pouvoir me tester sur un circuit, histoire de savoir si je suis vraiment prédisposé. J'aurais aussi bien aimé travailler comme carrossier. Mais dès que l'on a un diplôme et des enfants, on étouffe le rêve dans l'œuf. Pourtant, ça me titille encore lorsque je visite de grandes entreprises comme Gallery Aaldering ou Marreyt Classic Cars. Il m'est arrivé de soigner un carrossier dont l'entreprise était florissante dans mon cabinet de kinésithérapie. Je lui ai dit que je l'enviais. Il m'a répondu que je pouvais m'estimer heureux. "Regardez ça", m'a-t-il dit en me montrant ses mains graisseuses pleines de crevasses. "Regardez maintenant les vôtres." C'est ainsi. J'aime beaucoup mon métier. Il s'accorde aussi avec mon caractère sociable et j'en tire énormément de satisfaction. Pourtant, l'essence continue de couler dans mes veines."

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