Sabato a testé avec l'artiste pâtissier Philippe Stella et le fou de motos Jeroen-Vincent Nagels leur Trevor DTRe Stella, une moto tout-terrain électrique "made in Belgium".
Fin juin, la bécane a participé à la course Wheels & Waves à Biarritz, un festival où mélomanes, surfeurs, skaters et amateurs de motos peuvent s’en donner à cœur joie. Le prototype de la Trevor DTRe Stella que j’ai pu piloter offre de fortes accélérations, une grande maniabilité et une superbe conduite.
Elle ne donne pas une sensation de lourdeur, mais plutôt de sécurité, même dans les virages et sur gravier. Tous ceux qui ont déjà conduit un cyclomoteur peuvent l’enfourcher. Autre élément remarquable: malgré sa propulsion électrique, cette moto off-road homologuée pour la route émet un bourdonnement, qui provient de la chaîne en acier.
"À partir de 2023, le son deviendra obligatoire sur les motos électriques et nous préférons une chaîne à un haut-parleur", déclare Philippe Stella, le designer. Il circule en Harley-Davidson, Enduro X Varna ou vieille Vespa. "Ma Harley s’entend de loin. Cette époque sera probablement bientôt révolue: nous devrons mettre un terme aux nuisances et aux émissions. La Trevor DTRe Stella sera beaucoup plus silencieuse que ne l’est le prototype."
J’ai vraiment l’impression d’être sur une moto et non sur un scooter électrique, mais mon style de conduite se trouve légèrement modifié, car il s’agit d’une "single speed". Comme je ne change pas de vitesse, je suis plus libre. C’est comme si je me baladais dans les rues d’Anvers. "Mais elle peut aller beaucoup plus vite que ça", sourit Stella. C'est relatif toutefois: la vitesse de pointe est limitée à 90 km/h.
Pour voyager, la Trevor est donc trop lente. Et son autonomie de 100 kilomètres est également insuffisante. Mais ce n’est pas l’objectif: "L’idée était la suivante: une moto tout-terrain propre pour la route que l’on peut également prendre en randonnée."
"The Mighty Machines"
Avec plusieurs centaines de marques, notre pays peut se targuer d’une riche histoire en matière de motos: FN, Gillet, Flandria et Saroléa. C’est d’ailleurs avec Saroléa (détenue depuis 2008 par les frères Torsten et Bjorn Robbens) qu’a commencé l’histoire de la toute première moto cross électrique belge homologuée pour la route.
Printemps 2018. Dans une petite maison de Cadaqués, en Espagne, Philippe Stella et Jeroen-Vincent Nagels travaillent sur la N60 MM.01, une moto de course fabriquée par Saroléa. Sur les chemins de terre des alentours, ils s’amusent avec de vieilles "dirt bikes" (moto tout-terrain en langage hipster). Ce sont des amis de 25 ans: Stella a vécu pendant 17 ans à Los Angeles, où il a travaillé en tant qu’illustrateur et chef pâtissier dans une boulangerie réputée. Nagels s’intéresse aux cyclomoteurs depuis son plus jeune âge, avant de passer aux motos lourdes et il a travaillé pour Honda, Triumph, Ducati et Saroléa, entre autres.
Le projet N60 MM.01 avec Saroléa est une idée marketing de Nagels, Stella et deux autres amis qui se surnomment "The Mighty Machines". Toute personne qui achète la superbe moto électrique lourde (destinée uniquement à la course) reçoit également un costume sur mesure signé Café Costume, un casque fait à la main par la marque britannique Hedon ainsi qu’un couteau de poche en acier Damas de l’entreprise suisse Studio Blade.
"Il y a quelques années, j’ai commencé à travailler en tant que free-lance pour le département ventes et marketing de Saroléa", explique Nagels. "Ils voulaient lancer la version route de leur moto de course. Mais vu le prix élevé, ce projet a été annulé. Ensuite, j’ai eu l’idée de concevoir une 'dirt bike' homologuée pour la route, car nous avions remarqué qu’elles étaient très tendance. Lorsque nous avons soumis notre idée, Torsten Robbens, le propriétaire de Saroléa, n’en a pas voulu. Nous avons donc dû la réaliser nous-mêmes, dans le cadre d’un gentlemen’s agreement avec Saroléa: nous commercialiserions la moto, ils nous aideraient pour la R&D et la construction."
"Soixante pour cent des motos sont destinées à la Belgique et le reste va partir aux quatre coins du monde - États-Unis, Nouvelle-Zélande, Inde et Japon, le pays des motos."Philippe Stella
Sous le signe des motocross
Printemps 2020. Le business plan est prêt. Nagels et Stella ont de l’essence qui coule dans les veines: le nom qu’ils ont choisi pour leur marque, Trevor, est un hommage à Trevor Wilkinson, fondateur de la marque britannique de voitures de sport TVR. "À l’époque, il voulait appeler sa marque Trevor, mais le nom n’avait pas été retenu", explique Nagels. "C’est un nom catchy avec les lettres 'ev', l’abréviation d’electric vehicle: ça tombait pile. Si j’ai une TVR? Oui, sur ma wish-list!"
Cependant, développer une moto électrique en partant de rien ne se limite pas à trouver un nom catchy et à dessiner quelques croquis. "Pendant la pandémie, nous avons eu la chance de pouvoir faire appel au designer californien John McInnis pour les dessins", explique Stella. "Il a également travaillé pour Alta, LiveWire et Harley-Davidson."
Le résultat exprime l’amour de Stella pour les motos tout-terrain et enduros. "J’ai grandi en Espagne. À 12 ans, mon meilleur copain et moi avions une petite moto de cross et, à 14 ans, nous roulions dans le jardin sur une Montesa Cota: ce sont ces souvenirs d’enfance qui se reflètent dans notre moto. On y retrouve des éléments des modèles flat-track américains mélangés à des caractéristiques des vieilles motos de trial espagnoles, comme les Ossa, les Montesa et les Bultaco."
Le moteur et les autres pièces viennent principalement de Saroléa Technology, qui développe des motos électriques à haute performance depuis près de 15 ans. "Ils se consacrent principalement à la technologie et aux courses (ils vont souvent sur l’île de Man), mais il est interdit de circuler sur la voie publique avec ces motos électriques", explique Stella. "Attention: ce n’est pas comme si nous 'collions' notre marque sur leur moto: il s’agit d’une véritable collaboration. Tout est discuté entre nous dans les moindres détails."
Des virages spectaculaires
Au cours de ces deux dernières années, les prototypes pilotés par Gilles Leenknegt ont permis à Nagels et Stella de participer à des courses de flat track dans toute l’Europe. "Les flat tracks sont des petits circuits ovales en terre battue sur lesquels les motos dérapent de façon spectaculaire dans les virages. Nous avons participé également à des courses de motos embarquant un moteur à combustion classique et nous avons obtenu de bons résultats: notre version sport pèse environ 90 kilos, contre 100 pour la version route, beaucoup moins qu’une moto classique. Sur des circuits comme ceux-ci, on voit ce dont la moto est capable. Les nombreux jumps nous ont indiqué où nous devions la renforcer et, grâce au feed-back des pilotes, nous avons beaucoup appris sur le mapping, la communication entre la batterie et le moteur. Contrairement aux voitures électriques, elle ne libère pas tout son couple instantanément et en continu. Par conséquent, l’accélération jusqu’à 40 km/h ressemble à une accélération avec un moteur à combustion: on sent la réponse de l’accélérateur augmenter progressivement."
Il s’avère également que le sport moto n’est pas mort. "Oui, les parcs d’enduro classiques sont sous pression", explique Stella. "On les repousse de plus en plus loin à cause de la pollution et des nuisances sonores. De même, l’offre en matière de formation diminue, mais je vous assure qu’avec les motos électriques relativement silencieuses, l’action est intacte, comme la bagarre entre les pilotes. Et on les entend s’interpeler."
La durabilité est la clé
Préparer la moto pour mettre en production n’a pas été rapide. Outre la procédure d’homologation complexe à Idiada en Espagne (menée avec succès), la pandémie et la guerre en Ukraine ont aussi ralenti cette étape. "Finalement, grâce à ces crises et au retard qui en a résulté, la moto s’est améliorée. La Trevor est 'over-engineered'. L’installation d’un moteur plus lourd ne devrait pas poser de problèmes. L’actuel moteur électrique sans balais de 11 kilowatts est à peu près équivalent à un moteur à combustion de 125 cc, pour lequel un permis A1 suffit."
Le duo refuse de révéler le coût du développement. Stella s’en tire avec une anecdote: "Il y a deux ans, Jeroen a eu un accident de moto, juste avant notre premier tour des banques à la recherche d’argent frais. Il avait des béquilles et moi, je n’en menais pas large non plus: j’avais un plâtre suite à un accident de foot. Les banquiers ont été surpris d’apprendre que nous voulions créer une entreprise de construction de motos!"
"Nous avons fourni le capital de départ. Comme les dessins de McInnis ont fait le tour de la presse spécialisée, cela nous a permis de prévendre dix 'founders', principalement à des membres de la famille et des amis."
L’année dernière, le fonds d’investissement canadien Sol Global a investi 1,1 million d’euros dans l’entreprise. Cependant, Stella et Nagels restent les deux actionnaires de Trevor Motorcycles, qui compte désormais douze collaborateurs. "Ce mois-ci, nous allons livrer les cinquante premières motos sur un peu moins d’une centaine vendues!", se félicite Stella. "60% d’entre elles sont destinées à la Belgique et le reste va partir aux quatre coins du monde - États-Unis, Nouvelle-Zélande, Inde et Japon, le pays des motos."
"Notre objectif est de devenir une marque mondiale."Jeroen-Vincent Nagels
Il y a, bien entendu, des concurrents sur le marché: Zero Motorcycles et, dans une moindre mesure, Cake Motorcycles, qui pratiquent des prix d’entrée autour des 13.000 euros. Quand la légendaire marque indienne Royal Enfield lancera les équivalents électriques de ses motos plus lourdes, elle adoptera peut-être une politique de prix agressive. Si l’on considère que l’on peut commander l’actuelle Meteor 350 Royal Enfield pour environ 4.000 euros, la Trevor à 15.000 euros semble scandaleusement chère.
"Mais sa valeur résiduelle sera élevée. La durabilité est la clé. L’entretien se limite à la lubrification et au serrage de la chaîne. Et les batteries peuvent facilement être remplacées afin de doubler ou tripler l’autonomie. Tout le reste est incassable. Je pense qu’elle roulera toujours aussi bien dans 25 ans. Nous la qualifions fièrement de 'moto premium'. Les freins, la suspension et la batterie sont parmi les meilleurs d’Europe. Certains concurrents utilisent des pièces de vélo pour leurs motos électriques. Pour un motard, c’est nul."
Il est prévu de développer des Trevor moins coûteuses. "La première année, nous voulons conquérir notre place parmi les marques de qualité", déclare Nagels. "Nous voulons en livrer 300, qui seront construites chez Saroléa. Ensuite, nous visons un changement d’échelle. Notre objectif est de devenir une marque mondiale."
Quand est prévu ce changement d’échelle? "De préférence demain", déclarent-ils. "C’est principalement une question de budget. Nous en parlons à notre investisseur, mais je pense qu’il y a urgence. Honda passe également à la vitesse supérieure. Ensuite, ça ira vite. Nous devons garder une longueur d’avance."
"Si Saroléa n’est pas en mesure de suivre le rythme de la production, nous devrons chercher un autre partenaire. Même si j’espère, et je pense, que Saroléa sera toujours notre partenaire en termes de R&D. Nous n’avons pas la même relation qu’un fabricant classique a avec son sous-traitant: c’est une collaboration créative basée sur l’amitié. Ce n’est pas toujours facile, mais au final, on obtient un produit de grande qualité."
Trevor DTRe Stella | 14.495 euros | www.trevormotorcycles.com