McLaren, l’équipe de F1 légendaire, organise pour la première fois de son histoire des visites de son siège britannique de haute technologie: le McLaren Technology Centre.
Woking, une petite ville à une bonne trentaine de kilomètres au sud-ouest de Londres, n’a jamais figuré en tête de liste des destinations de rêve. Parente pauvre de la ville voisine de Guildford, elle se targue pourtant de posséder le plus grand cimetière du Royaume-Uni (et le premier crématorium du pays), une équipe de foot qui a atteint le quatrième tour de la FA Cup, ainsi qu’un PizzaExpress qui a servi d’alibi lors d’un scandale royal. Le centre-ville, déjà peu attrayant, a récemment été encore assombri par la construction de trois gratte-ciel aussi gigantesques qu’inappropriés (le gratte-ciel jaune au revêtement étrange a été surnommé «Fish Finger» par les locaux), résultat d’un projet délirant mené par les conseillers municipaux conservateurs, lequel a atteint près de 2 milliards de livres sterling de dettes. J’ai la dent dure? C’est mon droit: Woking est ma ville natale.
Sir Norman Foster
Cependant, il y a à Woking un endroit qui s’inscrit totalement à contre-courant de l’ambiance générale, en incarnant le glamour, l’excitation et la recherche de l’excellence. Niché au milieu des bois et des landes qui sont à sa périphérie, se trouve le siège de l’écurie de Formule 1 McLaren. Vu du ciel, le McLaren Technology Centre ressemble à un symbole du yin et du yang, avec d’un côté le bâtiment futuriste d’acier et de verre, et de l’autre, un lac artificiel dont l’eau contribue à refroidir l’ensemble des installations.
On pourrait s’attendre à des robots et des ordinateurs, mais ici, tout est fait à la main, ce qui est surprenant. C’est un peu comme si on regardait un grand chef en train de dresser une assiette.
Un sentier public passe à moins de 150 mètres du lac - je m’y suis souvent promené en m’émerveillant devant cet intrus futuriste dans ce qui était auparavant une ferme légèrement délabrée produisant des légumes et, à une certaine époque, élevant des autruches. Conçu par Norman Foster et inauguré par la reine en 2004, le bâtiment a une façade qui épouse la courbe du lac et s’y reflète. L’arrondi du bord du toit en surplomb évoque celui du bord d’attaque d’une aile d’avion.
Bien que non entravée par des clôtures ni des panneaux de sécurité, cette vue depuis le sentier était la plus proche dont pouvait bénéficier le grand public. Ron Dennis, qui a dirigé pendant 35 ans l’écurie McLaren et l’a menée au sommet avec 10 titres de pilotes et 7 de constructeurs, a toujours tenu à préserver l’exclusivité et le caractère mystique du bâtiment, qu’il utilisait pour éblouir ses partenaires commerciaux et invités de marque. Il y invitait aussi ceux qui avaient acheté une supercar McLaren, leur permettant de venir la chercher personnellement sur place. Le musée public qui, au départ, faisait partie du projet n’avait jamais vu le jour.
La chapelle Sixtine du sport automobile
Aujourd’hui, il y a du nouveau: à partir du mois prochain, McLaren proposera pour la première fois au public des visites régulières. Cette ouverture a été menée avec GetYourGuide, une plateforme en ligne basée en Allemagne qui propose 75.000 expériences à travers le monde, dont beaucoup offrent la possibilité d’accéder à des lieux normalement fermés au grand public.
L’une de ces expériences est la visite guidée du Vatican avec son clavigero en chef, le gardien des clés qui ouvre les galeries dès le matin, y compris la porte de la chapelle Sixtine, et allume toutes les lumières. La plateforme observe une demande croissante pour des expériences liées au sport, et le sanctuaire de McLaren "est pour ainsi dire la chapelle Sixtine du sport automobile", déclare Jean-Gabriel Duveau de GetYourGuide.
"90% Nasa, 10% Disneyland"
La semaine dernière, j’ai eu la joie de participer à une visite en avant-première. Un minibus est venu me chercher au poste de sécurité, avant d’emprunter lentement une route étroite longeant la courbe du lac, comme si tous les occupants du bâtiment devaient avoir l’occasion de scruter l’intrus qui avait le culot de vouloir pénétrer dans leur repaire high-tech. Oubliez les moteurs vrombissants et les fuites d’huile: à l’intérieur, tout est silencieux, impeccable, dans des couleurs argent, blanc et gris coordonnées. Ron Dennis se plaisait à le décrire comme "90% Nasa, 10% Disneyland", ce qui explique peut-être pourquoi il a servi de lieu de tournage pour figurer le Spaceport de Coruscant dans la série "Star Wars Andor".
Après une introduction en grande pompe ("J’ai vu des hommes et des femmes fondre en larmes en franchissant ces portes", déclare notre guide, Kris Lawton), nous descendons en empruntant un ascenseur circulaire en verre, manifestement conçu pour imiter le piston d’un moteur, puis entrons dans le "Boulevard", un espace fluide s’étendant sur toute la longueur du bâtiment et rempli des plus belles voitures McLaren.
Nous découvrons d’abord la seule voiture du bâtiment qui ne soit pas une McLaren: une minuscule Austin Seven de 1929 achetée en pièces détachées au début des années 50 par Les McLaren. Le Néo-Zélandais avait l’intention de reconstruire cette voiture pour la vendre en faisant un bénéfice, quand son fils Bruce le convainc de la garder afin de l’utiliser pour la course. Ensemble, ils la «tunent» pour porter sa vitesse de pointe à 140 km/h. Et c’est avec cette voiture que Bruce apprend à conduire, sur un circuit improvisé tracé dans le verger familial. Comme les problèmes de santé de Les McLaren l’empêchent de participer à une course, c’est son fils de 15 ans qui le remplace. Et remporte la victoire!
Lewis Hamilton
Devenu pilote professionnel et ingénieur, Bruce arrive en Europe à l’âge de 20 ans et fonde la société en 1963. Au-delà de l’Austin, de nombreuses voitures de F1 et quelques supercars destinées à la route jalonnent les 60 années suivantes - de la musclée M19C-1 de 1972 aux couleurs de Yardley aux voitures qui ont permis à Alain Prost, Mika Häkkinen et Lewis Hamilton de remporter des championnats. Il y en a même une qui a été réalisée à partir de 468.000 pièces de Lego!
Tandis que nous nous extasions devant les voitures, on nous signale qu’il est interdit de photographier ce qui se passe dans les salles vitrées qui se trouvent derrière nous. Dans l’une d’elles, les derniers modèles sont en cours de démontage en vue de leur expédition au Canada pour la course de ce week-end. Dans une autre, des ingénieurs moulent du carbone pour créer des pièces actualisées qui, espèrent-ils, conféreront aux voitures un avantage sur leurs concurrentes. Plutôt qu’un ballet de robots guidés par ordinateur, on assiste à une expérience étonnamment concrète, un peu comme si on observait des grands chefs à l’œuvre dans la cuisine ouverte d’un restaurant étoilé.
La fascination du danger
Bien sûr, si les performances et la technologie ont toujours fait partie de l’attrait du sport automobile, il en va de même pour les récits humains et, pour le dire clairement, la fascination du danger. Près de l’Austin Seven, nous découvrons une M8D de 1970, une voiture Can Am arborant une carrosserie aérodynamique en livrée "orange papaye", que McLaren espérait voir se démarquer sur les écrans de télévision en noir et blanc.
Il s’agit de la voiture sœur de celle que pilotait Bruce McLaren, alors âgé de 32 ans, lors des essais à Goodwood en juin 1970. C’est à cette occasion que sa voiture a perdu sa carrosserie arrière et, déséquilibrée, s’est écrasée contre un poste de commissaire en bord de piste, tuant son pilote.
Un peu plus loin se trouve la MP4/8 au volant de laquelle Ayrton Senna a remporté sa dernière victoire, lors du Grand Prix d’Adélaïde en 1993. Six mois plus tard, il se tuait dans un accident sur le circuit d’Imola.
Depuis 1992, McLaren fabrique des voitures pour la route ainsi que pour le circuit, et notre visite se poursuit en passant devant ce qui est présenté comme la plus grande collection de trophées de sport automobile au monde, remplissant des armoires entières à l’extérieur du restaurant du personnel. Ensuite, nous empruntons un tunnel souterrain menant au McLaren Production Centre, achevé en 2011.
Une porte coulissante blanche s’ouvre et nous nous retrouvons sur un balcon surplombant l’usine de 34.500 mètres carrés, où des ingénieurs travaillent sur des lignes de supercars dont les livrées arborent des couleurs vives. Une fois terminées, les voitures passent le "Monsoon test", où elles sont arrosées de 1.000 litres d’eau par minute.
Pour les fans de F1, les passionnés de supercars et les adeptes de l’émission Top Gear, tout cela est, pour reprendre une expression de Clarkson (le journaliste de la célèbre émission consacrée aux voitures, NDLR), "pant-wettingly exciting", soit en traduction littérale: "excitant à s’en mouiller le pantalon".
Une expérience inclusive
Cependant, pour McLaren, quel peut être l’avantage de permettre à des groupes de 20 personnes de déambuler dans son temple 9 fois par an?
"Quand Zak Brown a été nommé CEO [en 2018], il s’est demandé comment rendre cette entreprise plus inclusive", répond Lindsey Eckhouse, directrice des licences chez McLaren. Le succès de la série Netflix "Drive to Survive" a suscité une explosion de l’intérêt pour le sport automobile - au point que McLaren revendique 470 millions de fans à travers le monde. "Nous essayons d’utiliser nos canaux numériques pour dévoiler ce qui se passe ici", poursuit-elle. "Ces visites ne sont qu’une étape supplémentaire."
Reste à savoir dans quelle mesure une visite peut être inclusive quand elle coûte plus de 500 euros pour 90 minutes (plus 90 minutes supplémentaires pour le lunch sur place). Ce qui est certain, c’est que, pour un grand nombre de personnes et pour la toute première fois, un après-midi à Woking sera une expérience à inscrire sur une bucket list.
McLaren Tour
- Environ 525 euros, transport depuis le centre de Londres compris.
- www.getyourguide.fr
Tom Robbins, 2023, “McLaren’s space-age temple of motorsport finally opens its doors”.
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