Existe-t-il un parfum de luxe parfaitement naturel? La réponse est non... Voilà pourquoi Frances Shoemack a décidé de le créer. Avec succès. À la fin du mois, la Néo-Zélandaise basée à Amsterdam lancera le septième jus de la gamme Abel.
Que faire quand nos idées suscitent l’incompréhension la plus totale? Soit on s’en fiche, soit on trace sa route. C’est cette deuxième attitude qu’a adoptée la Néo-Zélandaise Frances Shoemack: son idée, selon laquelle un parfum 100% naturel pouvait se mesurer à la concurrence des parfums de luxe, était bel et bien viable.
"Pendant des années, je n’ai entendu que des raisons de ne pas le faire", se souvent-elle. "Selon les uns, les parfums naturels auraient tous la même odeur, et ne seraient donc pas intéressants. D’autres arguaient qu’ils ne seraient jamais assez sophistiqués, qu’il serait impossible d’obtenir différentes nuances, que les parfums naturels seraient beaucoup trop chers... Mais aucun de ces arguments ne m’a empêchée de me lancer."
Frances Shoemack n’est pas une beauté classique, plutôt une beauté naturelle et élégante qui fait du yoga pendant la pause-déjeuner, va chercher son fils à l’école et déniche les meilleures boutiques de son quartier d’Amsterdam, ville où elle a posé ses valises il y a huit ans.
Dans un de ses restaurants ‘health food’ favoris, à côté de son atelier, elle nous raconte comment elle a atterri en Europe. "J’ai grandi dans une ferme à Oakland, en pleine nature. Maman était professeur de yoga. Vivre dans cet environnement était tout ce qu’il y avait de plus normal, je voulais donc le reproduire dans le cadre de ma vie professionnelle.
J’ai donc opté pour la viticulture et l’œnologie, entre autres car ces études étaient proches de la botanique et de la viticulture, ce qui m’intéressait. Après avoir décroché mon diplôme, j’ai commencé comme brand & communication manager pour la New Zealand Winegrowers Association."
Nature de luxe
Tout va bien, sauf que Frances et son mari meurent d’envie de découvrir l’Europe. Ils s’installent à Amsterdam, où les attend un boulot dans une entreprise de logiciels. Hélas, elle s’ennuie, et c’est ainsi que lui vient l’idée de créer une marque de parfums 100% naturels.
"Je cherchais un parfum de qualité, mais qui soit naturel. Pour moi, le parfum est synonyme de luxe mais je n’en trouvais pas qui soit également naturel." C’est ainsi que sa quête personnelle devient un projet de business. Mais par où commencer, sans expérience ni contacts? En effet, pour qu’un parfum naturel soit luxueux, il faut qu’il soit composé par un maître-parfumeur.
"Cette recherche était la première étape. Sans un expert à mes côtés, il était hors de question de me lancer dans cette entreprise. Je n’ai eu pas eu de coup de foudre avec les maîtres-parfumeurs que j’ai rencontrés via Google, des Italiens et des Français plutôt âgés et classiques. Et puis, j’ai entendu parler d’Isaac Sinclair, un jeune, Néo-Zélandais comme moi." Elle le contacte et, trois mois plus tard, il lui répond, enthousiaste.
Une vocation
Isaac Sinclair, un accro aux parfums autodéclaré et jusqu’à présent seul maître-parfumeur classique diplômé d’Océanie, a grandi dans la forêt tropicale de Waitakere Ranges. "J’étais entouré de tant de senteurs: de la forêt et du jardin de ma mère", explique-t-il.
À 15 ans, Isaac rêve de créer des parfums, mais en Nouvelle-Zélande, il n’y a que les grands magasins qui pouvaient le mette en contact de ce monde fascinant. Il se présente donc pour un job d’étudiant au département parfumerie d’une grande enseigne. C’est une découverte, la confirmation de sa vocation. Et il apprend.
Un peu plus tard, Michael Evens, un expert en parfums, organise un atelier à Oakland destiné aux professionnels de la parfumerie. Le patron d’Isaac en fait partie et promet au jeune homme de lui transmettre un petit mot qui dit, tout simplement “Salut, je suis Isaac, je voudrais être parfumeur et je ne sais pas par où commencer.” Evens lui propose d’assister à une conférence, à Grasse. C’est de l’autre côté du monde mais tant pis, ça ne se refuse pas: à 17 ans, il économise pour s’acheter son billet d’avion et payer son séjour et le voilà parti!
J’étais entouré de tant de senteurs naturelles, dans la forêt ou dans le jardin de ma mère.
Sur place, tout le monde ne parle que de cet adolescent passionné. En voilà un à qui il faudrait donner sa chance! Aussitôt dit, aussitôt fait: le lendemain, Isaac appelle sa mère pour lui dire qu’il ne revient plus car on lui propose un stage à Paris, chez Symrise, une prestigieuses maisons de parfums qui compte 5.000 collaborateurs dans le monde. Grâce à une bourse, il s’inscrit à l’Università dell’Immagine de Milan. Diplôme en poche, il retourne chez Symrise, où il travaille toujours.
L’atelier de Frances Shoemack est petit, lumineux et sobrement décoré avec un sofa, une table en bois à laquelle sont attablés deux collègues et un mur couvert de flacons de parfum et de testeurs.
Pas de laboratoire, ici: Isaac vit à São Paulo, et le tandem se voit trois à quatre fois par an, à Paris, chez Symrise pour plancher sur de nouvelles senteurs. Au départ, Abel était une marque indépendante, mais il s’avéra assez vite que le potentiel de Symrise en matière de recherche scientifique et de développement était indispensable.
Ingrédients naturels
Un parfum naturel et sans composants d’origine animale est dans l’air du temps. Abel n’utilise que des ingrédients végétaux et naturels. Et refuse tous les produits pétrochimiques, animaux et parabènes.
Aujourd’hui, ce label n’est pas seul dans cette niche du 100% nature. "Les choses changent et tant mieux", commente Frances. "Pour nous, l’éthique compte plus que tout et le monde du parfum de luxe est compatible avec le respect de l’environnement. Nous voulions aussi créer un parfum que l’on aime porter; le côté nature est un plus."
Un parfum Abel se compose d’un mélange concentré d’huiles naturelles et d’isolats. Le procédé est naturel, lui aussi, raison pour laquelle Isaac Sinclair fut emballé par cette collaboration: "Bien des parfums cherchent à avoir un maximum d’ingrédients naturels, mais aucune marque n’avait le courage ni l’esprit d’anticipation suffisants pour choisir une forme aussi pure.
Ce que voulait Frances était un défi innovant: avec des ingrédients conventionnels, vous avez accès à 3.000 aromatisants, contre 300 seulement avec des ingrédients naturels onéreux, complexes, luxueux et hiérarchisés, ce qui les rend intéressants."
Au départ, Frances a donné carte blanche à Isaac, mais, maintenant, chacun contribue à parts égales, ce qui est unique car cela permet d’aller droit au but et d’éviter les intermédiaires. "Abel est une des rares marques de parfums au monde où, en tant que nez, je participe au processus de A à Z", souligne Isaac Sinclair. "C’est unique pour un maître-parfumeur."
Huit ans après le début de l’aventure et six ans après le lancement du premier parfum, la marque est dans 250 points de vente, principalement des boutiques de niche et des concept stores avec une sélection de produits uniques et audacieux, dans le monde entier.
En Belgique, sept enseignes ont sauté le pas depuis le lancement, au début de l’année. Frances Shoemack souligne que les choses s’accélèrent pour Abel depuis un an.
"D’une part, nous avons opéré un rebranding depuis deux ans, et d’autre part, nous notons un intérêt grandissant pour les produits naturels." Et ce nom, d’où vient-il? "Abel fait référence à Abel Tasman, l’explorateur néerlandais qui a découvert la Nouvelle-Zélande, la Tasmanie et des parties d’Australie entre autres", explique Frances Shoemack. "En Nouvelle-Zélande, il y a un parc national d’une beauté exceptionnelle qui porte son nom." Nature et originalité.
La collection de parfums Abel compte sept parfums. Le dernier, Pink Iris, revient à 98 euros les 50 ml. DIsponible chez Orlanda à Bruxelles entre autres.