© Francois Halard / Trunk Archive

Arpa, la ligne de parfum de Barnabé Fillion | Terriblement cher, terriblement original

Actuellement, le créateur de parfums Barnabé Fillion travaille sur Arpa, sa ligne de parfums radicale alimentée par des synthétiseurs analogiques, de l’art contemporain et la synesthésie.

Chaque année, à la mi-avril, des milliers de personnes s’émerveillent de la beauté du tapis de jacinthes sauvages dans le bois de Halle. L’année dernière, le parfumeur parisien Barnabé Fillion (41 ans) comptait parmi les nombreux curieux qui s’y sont rendus. “C’est mon ami Thierry Boutemy, un poète des fleurs et des plantes, qui m’y a emmené. La nature éphémère, le parfum des jacinthes et l’odeur de la forêt relèvent d’une expérience sublime.”

Cette visite lui a inspiré un parfum, “Recedere”: ce mélange de réglisse, cèdre, patchouli et néroli a été l’un des premiers parfums diffusés sous son label Arpa, avec “Arco Spettro”, inspiré d’un paysage volcanique en Éthiopie, et “Phosphoro”, basé sur “les poudres qui parfument les kimonos japonais”. Des associations poétiques, à mille lieues des émotions qu’évoquent les parfums plus commerciaux.

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“Parfum et synesthésie, le lien n’est pas aussi farfelu qu’il n’y paraît.”
Barnabé Fillion
Créateur de parfums

“Matter”, “Hade”, “Manta” et “Ferragus” sont les quatre autres parfums de la première séquence Arpa. Le fait qu’il qualifie ce septuor de “séquence” n’est pas un hasard. Fillion a emprunté ce terme à la musique. Notes, harmonies, accords et nuances: le vocabulaire du parfumeur et celui du compositeur sont très proches. Arpa va plus loin. “Je dédie les sept premiers parfums aux pionniers de la musique électronique, comme Eliane Radigue et Pauline Oliveros, un genre musical né il y a presque cent ans.”

Quiconque s’est rendu dans son quartier général rétro-futuriste de Pantin sait qu’on y trouve des synthétiseurs analogiques et qu’une enceinte Western Electric de 1929 est accrochée au plafond. “Quand je me suis plongé dans l’univers des parfums, j’ai eu l’impression de jouer des synthés: j’ai découvert une explosion de possibilités avec toutes sortes de senteurs.”

Le laboratoire de Pantin, près de Paris.
Le laboratoire de Pantin, près de Paris.
© Courtesy of Barnabé Fillion

Arp, harpe et synthé

Le nom, Arpa, qui fait référence à l’Arp 2500, un des synthétiseurs analogiques les plus avant-gardistes, est un dérivé du mot espagnol “arpa” qui signifie “harpe”. Il fait aussi référence à Jean Arp, sculpteur franco-allemand qui voulait faire des sculptures “comme un fruit pousse sur une plante”. “Dans un poème, Jean Arp déclarait que l’espace a un parfum vertical”, explique Fillion. “Je retourne cette idée: pour moi, le parfum est une sculpture olfactive.”

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“Arpa est un projet multidisciplinaire, dans le cadre duquel les parfums suscitent des croisements avec d’autres formes d’art. Dans mon laboratoire de Pantin, j’aime inviter des esprits créatifs qui ne sont pas issus de l’industrie de la parfumerie ou du marketing. Collaborer avec des artistes stimule ma curiosité.”

Barnabé Fillion fait appel à des artistes, des designers, des vidéastes ou des compositeurs de réaliser des créations sensorielles inspirées de ses parfums. Nathalie du Pasquier, la designer française du groupe Memphis, a créé le tableau “A 3D Perfume” pour Arpa. L’artiste Anicka Yi a composé le trio de parfums féministes “Biography”. Des musiciens – Pilooski, Erwan Sene, Buvette et Cyrus Bayandor (le bassiste de Florence & The Machine) – ont écrit des compositions conceptuelles que l’on peut écouter sur le site d’Arpa. Le souffleur de verre Jochen Holz a conçu des flacons aux couleurs changeantes, en référence aux notes de tête, de cœur et de fond de chaque fragrance. “Pour que la couleur et le parfum se renforcer mutuellement”, ajoute Fillion.

Le souffleur de verre Jochen Holz a conçu des flacons aux couleurs changeantes, en référence aux notes de tête, de cœur et de fond de chaque parfum.
Le souffleur de verre Jochen Holz a conçu des flacons aux couleurs changeantes, en référence aux notes de tête, de cœur et de fond de chaque parfum.
© Julien Thomas Hamon

En réunissant toutes ces créations, le parfumeur mène une expérience cross-média autour de chaque fragrance dont ­l’objectif est d’agir simultanément sur plusieurs sens. “Arpa est un institut de recherche sur la synesthésie, un talent rare qui associe plusieurs sens à un seul stimulus. Certaines personnes peuvent sentir les couleurs ou entendre les odeurs.” Fillion avoue une forme légère de synesthésie: “J’ai découvert ce don à la fin de mes études de photographie. En faisant des essais, j’ai obtenu des polaroïds picturaux aux textures particulières, que je pouvais presque palper. Dans chaque parfum, j’essaie de recréer la texture d’un souvenir, d’un lieu, d’une vision ou d’une expérience. Des parfums que l’on pourrait presque entendre, toucher ou voir.”

Parfum et synesthésie, le lien n’est pas aussi farfelu qu’il n’y paraît. Quand nous sentons une odeur, notre cerveau y associe automatiquement des expériences sensorielles: des souvenirs, des sentiments, des couleurs ou des atmosphères. Les parfums évoquent des associations subliminales. Et c’est sur cela que joue Fillion, de manière plus artistique.

Les parfums créent des associations d’idées avec lesquelles Fillion en joue de manière artistique.
Les parfums créent des associations d’idées avec lesquelles Fillion en joue de manière artistique.
© Timothee Chambovet

Ni pouvoir ni séduction

Cette approche artistique a son prix. Une eau de parfum (50 ml) de la première séquence revient à 266 euros. Dans le magazine en ligne Business of Fashion, Fillion a cependant laissé entendre qu’il travaillait sur des jus plus abordables. En termes de prix, de concept, de marketing et de storytelling, Fillion prend des risques. “Au lieu de me limiter à des créations composées d’ingrédients issus des familles olfactives connues, je pars de zéro pour chaque parfum”, précise-t-il. “Arpa est un laboratoire de stimulation des sens. Je veux réinventer ce que peut signifier un parfum en réunissant différentes formes d’art. Loin des parfums de niche. Mais surtout, loin du marketing décadent des parfums commerciaux et banals qui oublie que le parfum est quelque chose d’individuel. Chaque personne a une odeur différente, c’est pourquoi je crée des parfums qui n’ont pas la même odeur sur toutes les peaux. Mes parfums ne sont pas cent pour cent stables, comme dans la nature.”

“Arpa est un laboratoire de stimulation des sens. Je veux réinventer ce que peut signifier un parfum en réunissant différentes formes d’art. Loin du marketing décadent des parfums commerciaux et banals, qui oublie que le parfum est quelque chose d’individuel.”
Barnabé Fillion
Créateur de parfums

Helmut Newton

Si Barnabé Fillion peut se permettre une position aussi extrême, c’est parce qu’il n’est pas lié à une grande marque de luxe où le marketing et la communication doivent être rationalisés. Mais aussi parce qu’il est un autodidacte indépendant, issu de la photographie. “J’ai été l’assistant du photographe Helmut Newton”, témoigne-t-il. “Et je me suis formé à l’herboristerie, la naturopathie, l’aromathérapie, les huiles essentielles et les méthodes de distillation. Dans mon studio à Paris, je faisais des essais avec des extraits de plantes et de la photographie botanique.”

Le parfumeur ne s’est pas contenté de photographier des plantes: il s’est mis à en mixer les fragrances. C’est alors qu’il est entré en contact avec Victoire Gobin-Daudé, ancienne danseuse et nez indépendant. Elle l’a introduit dans le monde du parfum, est devenue sa mentore et a façonné son talent. Fillion a pu décrocher un job dans la maison de parfums Mane, où officiait Christine Nagel (aujourd’hui le nez d’Hermès), qui l’a pris sous son aile.

Suite à une après-midi au bois de Halle en pleine floraison de jacinthes, il a créé le parfum “Recedere”.
Suite à une après-midi au bois de Halle en pleine floraison de jacinthes, il a créé le parfum “Recedere”.
© Shutterstock

Ses débuts de parfumeur indépendant, il les a faits chez Paul Smith, pour qui il a créé le parfum pour homme “Portrait” en 2013. Il a percé quand Aesop l’a recruté comme créateur indépendant de ses parfums. “Mon travail pour Dennis Paphitis, le fondateur d’Aesop, est allé crescendo. Il m’a donné beaucoup de liberté”, confie Fillion. Le Parisien a alors créé le célèbre parfum “Marrakech Intense”, des bougies parfumées et des parfums d’intérieur aux noms aussi intrigants que “Hwyl” et “Rozu”, inspirés par la vie de Charlotte Perriand au Japon. Pour son dernier projet, le trio “Othetopias”, il s’est inspiré de la notion d’hétérotopie formulée par le philosophe français Michel Foucault. “Trois ans de recherche en collaboration avec un philosophe ont précédé ce projet”, précise-t-il. Il a également fait venir Rick Owens chez Aesop pour collaborer sur le parfum “Stoic”, diffusé lors du dernier défilé Hiver 2023 du créateur américain à Paris.

“Tout le monde a une odeur différente. Je crée des parfums qui n’ont pas la même odeur sur toutes les peaux: ils ne sont pas stables à cent pour cent, comme dans la nature.”
Barnabé Fillion
Créateur de parfums

Une approche qui l’a plongé dans le monde de l’art. Il a réalisé des projets avec l’artiste contemporaine Dominique Gonzalez-Foerster à la Galerie Chantal Crousel à Paris et à la Serpentine Gallery à Londres. Avec l’artiste Marcin Rusak, il a créé les fragrances pour son exposition solo sur les déchets végétaux et la métamorphose. “Mais je ne considère pas mes parfums comme des œuvres d’art contemporain”, affirme-t-il. “J’ai trop de respect pour le processus créatif de l’artiste avec lequel je travaille.” Des collaborations qu’il poursuivra à Vienne, où, l’an prochain, il ouvrira son premier espace de projet et sa première boutique.

© Fernando Etulain

Disponibilité

| En ligne, sur le site web d’Arpa Studios
| Dans des concept stores, tels que Dover Street Perfume Market à Paris, Andros Murkoudis à Berlin et Maryam Nasir Zadeh à New York.

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