De la politique à la beauté, en passant par la vigne, tel est le résumé du parcours d’Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin. Aujourd’hui, Maison Éole, sa ligne de cosmétiques, conquiert la Belgique.
Maison Éole
Des produits de beauté 100% naturels, mais aussi 100% belges: ils sont élaborés grâce aux vignes du domaine.
Éole, le dieu grec des vents, a donné le mot français “éolienne”. Telles des déesses suprêmes, les éoliennes règnent aussi sur le domaine du Chant d’Éole, situé à Quévy, dans le Hainaut. Il est encore tôt dans la matinée lors de ma visite du jeune domaine viticole belge, à l’heure où les vignes sont nimbées de brume. Il y a un peu plus de dix ans, on cultivait des betteraves et du maïs sur ces terres appartenant à une famille d’agriculteurs – qui les détient toujours. Un beau jour, un viticulteur champenois se présente pour acheter les terres – elles sont moins chères dans le Hainaut qu’en Champagne, tout en étant riches en calcaire, ce qui est important pour la qualité des raisins. La famille refuse, mais propose une joint-venture: grâce au savoir-faire du Champenois, une reconversion dans la viticulture est envisagée. Un projet couronné de succès, car le Domaine du Chant d’Éole a depuis remporté plusieurs prix: en 2019, son Brut Blanc de Blancs a décroché une nouvelle médaille d’or au Concours Mondial de Bruxelles. “Best bubble in the world” claironne une brochure déposée au milieu des coffrets de Noël dans la boutique du domaine.
De la ville à la campagne
“Si nous avons pu faire un meilleur mousseux que le Champenois, et en si peu de temps, pourquoi ne pas essayer de faire encore mieux, à savoir des cosmétiques naturels issus des vignes?”, se demande Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin.
Aujourd’hui, dans la boutique, les cosmétiques que l’entrepreneuse a lancés il y a deux ans, sous le nom de Maison Éole, sont présentés dans de jolis coffrets cadeaux. Les crèmes, sérums et masques sont fabriqués à partir des produits résiduels issus des vignes exploitées par son époux, Hubert Ewbank de Wespin. “Le domaine appartient à la famille de mon mari, qui a toujours été liée à la nature”, explique-t-elle. “Je suis une fille de la ville (rires). Ma mère était pharmacienne et mon père, médecin: j’ai grandi avec les échantillons des produits cosmétiques de la pharmacie. J’ai toujours été fascinée par cet univers et c’est un rêve de longue date qui se réalise.”
Les bureaux de la Maison Éole sont situés dans une majestueuse pièce habillée de rideaux baroques et meublée d’antiquités. Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin m’y fait essayer des crèmes et sentir des parfums. La table qui se trouve devant nous est couverte de pots, de flacons et de tubes. Un sérum qui n’a pas survécu à la phase de test – “il ne s’étalait pas bien” – se trouve dans un flacon de pharmacie incolore, tandis que les produits ayant passé les rigoureuses épreuves de sélection sont emballés dans d’élégantes boîtes en bois.
Quel fan de produits de beauté ne rêve pas secrètement d’inventer une crème miracle dans son arrière-cuisine et de bâtir un empire cosmétique prospère, comme Helena Rubinstein? Pour Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin, la réalité était moins romantique, mais au moins aussi aventureuse: pour se lancer en tant qu’entrepreneuse en cosmétiques, elle quitte son emploi de directrice générale adjointe de la ville de Mons. “J’occupais ce poste depuis 2018”, explique-t-elle. “Le changement est intervenu pendant la pandémie. J’avais 43 ans, mon job m’offrait la sécurité pour les vingt prochaines années, mais je sentais qu’ici, un autre succès était possible. Nous avons un vignoble jeune et donc, un sol jeune. Mon intuition me disait que la concentration de principes actifs pour des cosmétiques naturels pourrait bien être beaucoup plus élevée ici que dans les vieux vignobles français. Un beau matin, pendant la pandémie, j’ai pris la décision d’essayer. J’avais trois conditions: je voulais pouvoir présenter un produit ‘made in Belgium’, il fallait que je trouve dans nos vignes un composant que personne n’avait encore utilisé en cosmétique et toute la ligne devait être la plus éco-responsable possible.”
Cinq fois plus puissant
Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin a fait appel à un chimiste qui a confirmé ses suppositions. “Dans les sarments de la vigne, nous avons trouvé un polyphénol à trois cycles, que nous avons baptisé ‘Wine Extracts3’. Il s’agit d’un polyphénol qui a une activité cinq fois supérieure aux antioxydants standards et qui fait vraiment des merveilles pour la peau.”
Afin d’étayer ses propos, elle ouvre deux pots de “Crème de jour Sublimé”, une sans parfum et l’autre légèrement parfumée. J’opte pour la version non parfumée et m’applique la crème légèrement rosée sur la main, où elle pénètre rapidement en laissant un subtil éclat. La couleur de la crème n’est pas du maquillage, m’assure Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin, elle est le résultat de la présence abondante du polyphénol “Wine Extracts3”.
Une fois son principe actif spécial identifié, l’entrepreneuse peut se concentrer sur le deuxième pilier de Maison Éole, à savoir l’approche écologique qu’elle exprime en recyclant divers résidus du processus de vinification. Les sarments, mais aussi les lies (le dépôt qui se forme au fond des fûts et des cuves) et même les cristaux qui se fixent sur les parois des fûts ont constitué la base de ses produits.
“Nous respectons nos quatre engagements: c’est ‘made in Belgium’, ‘natural certified’, ‘vegan’ et ‘planet friendly’.”Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin
“Cette circularité est très importante pour moi. N’est-il pas fantastique de pouvoir fabriquer notre gommage aussi bien avec des grains de sel tartrique, un cristal qui se forme sur les parois de nos fûts, que de l’huile de pépins de raisin, également un produit résiduel? Notre gommage a déjà décroché un prix et je le considère comme mon produit phare”, déclare-t-elle, aussi rayonnante que ce que promet le “Gommage Ressourçant”.
A-t-il été difficile de concrétiser le “made in Belgium”, le troisième pilier crucial de son plan directeur? “Pas du tout”, répond-elle. “Nous avons les compétences. J’ai travaillé avec les laboratoires Ceref (Mons) et Celabor (Herve) pour les analyses et les extraits, et j’ai également trouvé un producteur belge pour le développement des formules. Pour notre identité visuelle, j’ai fait appel au designer-artiste Charles Kaisin (qui a déjà collaboré avec Hermès, Cartier et Pierre Marcolini). Je voulais une identité visuelle élégante et des emballages réutilisables. Les boîtes en bois qui renferment nos produits peuvent être réutilisées, dans une salle de bains ou même ailleurs.”
De fil en aiguille, Maison Éole se lance tout d’abord en ligne, dans la boutique du domaine viticole avant d’être présente en pharmacies et dans certaines parfumeries de Bruxelles et de Wallonie. Aussi, pour son premier anniversaire, la marque vient de lancer un second parfum, Liberté.
Le Caudalie belge?
L’entrepreneuse revient ainsi sur les pas de sa mère pharmacienne. Elle surfe également sur la tendance des “pharmacy products” dont tout le monde fait l’éloge depuis quelques années, de l’actrice Gwyneth Paltrow aux influenceuses. Il s’agit de produits de beauté (de préférence français) de marques telles que Nuxe, Filorga ou Avène, qui sont distribués dans les pharmacies européennes. Et l’une de ces marques internationales “pharmacy favorites” n’est autre que Caudalie, qui travaille avec des extraits de raisin.
La marque française a-t-elle été un modèle pour Maison Éole? “Non, je me suis inspirée des plus de trente marques françaises qui travaillent avec des extraits de raisin, dont Vinésime qui est très prisée en France”, précise Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin. “C’est pourquoi Maison Éole n’est pas destinée au marché français. Je sais aussi que le marché des cosmétiques est saturé: chaque jour, de nouvelles marques viennent s’y ajouter, que ce soit dans les pharmacies ou les parfumeries, ainsi que sur les médias sociaux. La seule façon de se démarquer, c’est de proposer de la qualité dans un packaging magnifique. Nous avons réalisé d’excellents chiffres au cours de notre première année, car nous respectons les quatre priorités des clients en 2022: ‘made in Belgium’, ‘natural certified’, ‘vegan’ et ‘planet friendly’. Ce sont quatre caractéristiques que nous pouvons apposer sur nos produits sans trembler. Aucune marque de cosmétiques ne le fait pour le moment. Je suis convaincue que la qualité peut ouvrir un nouveau marché.”
“Je voulais trouver dans nos vignobles un composant que jamais personne n’avait utilisé en cosmétique.”Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin
Voir grand
Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin ne doit pas sa détermination et la clarté de son argumentation à une rapide formation en relations publiques: dans une vie antérieure, elle était active en politique. À 27 ans, elle travaillait pour quelqu’un qu’elle qualifie d’homme politique connu. En effet, elle était cheffe de cabinet de Di Rupo à l’époque où il était bourgmestre de la ville de Mons. Ensuite, elle a également été en charge de Mons Capitale européenne de la Culture en 2015.
Vit-elle cette aventure comme une nouvelle vie ou bien y a-t-il une certaine continuité? “Mes contacts dans la région m’ont bien évidemment aidée”, explique-t-elle. “La banque a directement adhéré à mon projet, car elle connaissait ma trajectoire. Je tiens aussi à créer des emplois dans le Hainaut, montrer que cette région représente quelque chose. Ce qui est nouveau, par contre, c’est la liberté dont je jouis maintenant en tant qu’entrepreneuse. Et je ne parle pas de temps libre, mais de la liberté de choisir avec qui je travaille. J’aime collaborer pour inventer et tester les produits, sélectionner des points de vente et, maintenant, planifier le passage en Flandre. Mon objectif est que d’ici 2025, Maison Éole soit présente dans un millier de pharmacies en Wallonie et autant en Flandre.”
Family time
Il est temps de prendre congé. Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin doit se rendre à Melle, près de Gand, où elle va chercher son fils à l’internat des Pères Joséphites, connu pour son programme d’immersion linguistique en néerlandais destiné aux jeunes Wallons.
Pour elle, le vendredi soir est sacré: c’est family time. “C’est aussi le temps passé en famille pendant la pandémie qui m’a encouragée à changer de carrière”, confie-t-elle. “Et de réaliser ce qui me tient vraiment à cœur. Le fait que mon époux m’ait soutenue à cent pour cent dans cette décision a été crucial, mais si j’ai pu franchir le pas, c’est aussi parce que mon fils est adolescent. Quand il a demandé d’aller en internat, je reconnais que j’ai eu du mal à l’accepter au début. Il n’avait que douze ans quand il est parti à Melle avec tous ses copains. Je pensais qu’il rentrerait à la maison au bout d’un an, mais il veut rester à Melle – il adore!” (rires)
Et voilà Anne-Sophie Charle-Ewbank de Wespin partie pour la Flandre, le territoire qu’il lui reste à conquérir dès le premier février prochain avec son label de cosmétiques issus de la vigne Maison Éole.
Site web: www.maisoneole.com