On aurait pu penser qu'après le kale, le matcha et le régime paléo, il était impossible d'imaginer une nouvelle hype alimentaire? Erreur! Sur les menus, en plus de 'vegan' ou 'sans gluten', on pourra bientôt lire 'gut friendly'. Ou comment l'industrie du bien-être s'infiltre jusque dans nos intestins.
Petite prédiction: quels seront les hashtags 2019? #lactobacillus, #bifidobacterium et #christensenella. C'est vrai, ça n'a pas l'air très sexy, pourtant, c'est le nom des bactéries intestinales qui colonisent Instagram. Sur les réseaux sociaux et aux États-Unis, 'gut health' est déjà le nouveau terme à la mode, avec des posts sur les avantages des thés fermentés et du kimchi, une spécialité coréenne à base de légumes lacto-fermentés. Et des titres dans les journaux et magazines expliquant pourquoi les fraises et les grillons permettent une meilleure digestion. Le journal britannique The Guardian a même essayé de convaincre ses lecteurs de tester un 'gut friendly barbecue'. Bref, l'intestin est omniprésent.
La promesse: des intestins sains = une personne heureuse. L'idée est qu'un microbiome intestinal (l'ensemble des micro-organismes vivant dans nos intestins) équilibré et varié nous rendra plus heureux et en meilleure santé. Ce qui n'est pas sans fondement: des études récentes montrent que la flore intestinale influence aussi bien notre santé physique que mentale. "Nous savions déjà que ces micro-organismes protègent les intestins contre les intrus dangereux, jouent un rôle dans la production de vitamines et qu'ils dévorent les fibres que notre corps ne peut pas digérer", écrit Michael Mosley, journaliste scientifique, dans son livre "The clever guts diet".
"Nous savons maintenant qu'ils font beaucoup plus: ils régulent notre poids corporel, influencent notre système immunitaire et transforment les aliments que notre corps ne peut pas digérer en toutes sortes d'hormones et de substances chimiques qui semblent influencer notre humeur, notre appétit et notre santé de manière générale."
Les conséquences ne se sont pas faites attendre. L'an dernier, le spa autrichien Viva Mayr, célèbre pour ses régimes détox extrêmes et coûteux, conçus pour rétablir l'équilibre digestif, a ouvert une annexe dans la capitale britannique. Le nombre de livres de cuisine proclamant que les intestins sont la clé d'une peau saine et d'un ventre plat ne se comptent plus, surtout dans le monde anglophone. Et de nombreux restaurants new-yorkais font appel à un conseiller en santé intestinale.
Pauvres et centenaires
Les probiotiques vous font penser aux Yakult et autres Actimel? Vous n'êtes pas le seul. Pourtant, l'histoire des probiotiques est beaucoup plus ancienne et remonterait aux boissons fermentées des Égyptiens. Ce qui est certain, c'est que le microbiologiste russe Elie Metchnikoff a "découvert" les probiotiques au début du XXème siècle. Cherchant à savoir pourquoi tant de pauvres Européens de l'Est devenaient centenaires, il a établi le lien avec les bactéries qu'ils utilisaient pour faire fermenter leurs yaourts.
Pourtant, des décennies durant, le "père des probiotiques" n'a pas été pris au sérieux. Il a fallu attendre les années 90 pour que l'idée de bonnes bactéries germe, avant de devenir une hype aux États-Unis. Très vite, les Européens se sont aussi mis aux boissons au bifidus actif. Jusqu'à ce que ces dernières soient reléguées à l'arrière-plan pour cause d'allégations non fondées et d'un manque criant de "branchitude".
Même Peter Thiel, légende de la Silicon Valley, investit dans nos intestins.
Depuis, les probiotiques ont fait du chemin. Au revoir les yaourts à boire ultra-sucrés, bonjour les flocons d'avoine, glaces et limonades probiotiques. Sans oublier les poudres protéinées et autres suppléments vendus dans d'élégants emballages aux noms aussi alléchants que 'Inner Beauty Powder' ou 'Glowing Skin Food'.
Ce sont justement ces suppléments dans lesquels des noms célèbres voient un avenir. Les actrices Cameron Diaz et Jessica Biel ont investi dans Seed, une nouvelle société qui commercialise des suppléments probiotiques aux emballages chics. Founders Fund, le fonds de capital-risque dont fait partie la star de la Silicon Valley, Peter Thiel, fondateur de PayPal et investisseur historique de Facebook - un homme qui a du flair donc -, a également financé le lancement de Seed.
Un marché à 50 milliards
Après le succès de son livre de cuisine 'The Beauty Chef: Delicious Food For Radiant Skin, Gut Health and Wellbeing', Carla Oates, une ex-journaliste beauté australienne, a fondé sa propre entreprise: The Beauty Chef fonctionne désormais à la perfection. Elle propose des suppléments alimentaires pleins de 'bonnes bactéries' (les probiotiques), censés conduire à une meilleure flore intestinale, sur le site de l'e-tailer de luxe Net-a-Porter. Vous y trouverez d'ailleurs une douzaine d'autres 'suppléments beauté probiotiques', une des catégories qui se développe le plus rapidement sur le site. Dans cinq ans, ce marché pourrait peser plus de 50 milliards d'euros.
La légendaire make-up artist Bobbi Brown a également sauté dans le train des probiotiques, peu après avoir quitté la marque de cosmétiques à son nom, l'an dernier. Avant l'été, elle a lancé Evolution_18, une marque lifestyle qui vise la 'santé intérieure', une formulation marketing désignant une série de suppléments, comme des sachets de poudre de citron aux probiotiques à prendre le matin. Le concept est le suivant: ce que vous mangez est aussi important que ce que vous vous étalez sur la peau. Aujourd'hui, la beauté est enfin intérieure, au sens propre du terme.
Probiotiques 2.0
Ce que vous mangez est aussi important que ce que vous vous étalez sur la peau. Aujourd'hui, la beauté est enfin intérieure, au sens propre du terme.
Reste à savoir si nous devons tous recourir aux probiotiques pour nous sentir bien dans notre peau, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Malheureusement, il n'y a pas de réponse simple. Par exemple, il n'a pas encore été prouvé que des intestins en bonne santé conduisent aussi à une plus belle peau, ni que les suppléments probiotiques augmentent la résistance. Selon deux études récentes, nos intestins protestent même contre cette colonisation par les 'nouveaux microbes' issus des probiotiques, qui peuvent avoir un effet contre-productif après un traitement antibiotique.
"De nombreuses recherches scientifiques sont en cours", déclare Jeroen Raes, professeur de microbiologie à la KU Leuven et autorité mondiale dans le domaine de la flore intestinale. "Nous notons des liens entre la flore intestinale et le comportement, le développement cérébral, les maladies et les paramètres de bien-être. C'est encourageant, mais ce domaine de recherche est récent. Certaines associations ne sont pour l'instant que des associations. Je suis intimement convaincu que la flore intestinale est d'une grande importance pour notre santé physique et mentale, mais de plus amples recherches sont nécessaires."
Cependant, le professeur fait confiance aux probiotiques 2.0, des cocktails personnalisés adaptés à l'individu et à ses propres maladies ou besoins. Les premiers produits sont actuellement en phase d'essai clinique. Si tout va bien, ils seront sur le marché dans quelques années. En attendant, les scientifiques conseillent d'avoir une alimentation variée, saine et riche en fibres. En si vous aimez le petit goût aigre du kéfir et du kombucha, c'est parfait. Le cas échéant, faites semblant sur Instagram pour afficher votre niveau de "branchitude" et, en secret, buvez un verre de vin. C'est moins 'Goop proof', mais suffisant pour booster vos bactéries intestinales.