La hype des phéromones se propage à toute vitesse sur les réseaux sociaux. Une rédactrice de Sabato a testé le parfum "Pure Instinct" et s’est aventurée dans la jungle de la séduction.
Une des tendances les plus marquantes observées dans le vaste et fascinant univers des parfums est sur TikTok: les phéromones pures. Les vidéos marquées #pheromoneperfume cumulent plus de 43,7 millions de vues. De jeunes femmes s’empressent de partager avec le monde entier leurs expériences avec "Coupler", "Phiero Secret" et "Pure Instinct". Je plonge dans ce torrent de tests, de témoignages et d’analyses. Oui, je suis curieuse: est-ce que ça marche vraiment?
La plupart des flacons en vogue sont disponibles sur des sites spécialisés dans les objets coquins, mais aussi sur Amazon. Ultra pratique, et les flacons coûtent moins de 50 dollars en moyenne. Une somme dérisoire, à condition qu’elle permette de séduire son crush. Évidemment, cela pose question. Comment ces phéromones sont-elles récoltées? Y a-t-il des volontaires? Et comment se fait-il que certains de ces élixirs puissent être utilisés par des hommes et par des femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle? Quelle est l’intensité de la réaction? Risque-t-on de devoir repousser des prétendants indésirables? Et peut-on être soi-même stimulé par ces phéromones?
La réalité est à l’opposé de l’évolution: nous nous fréquentons en ligne, ce qui nous empêche de sentir les phéromones de l’autre.
Saisie d’une irrépressible envie de tester le produit, je file sur Amazon. Plusieurs best-sellers sont proposés. Pour les femmes, on trouve notamment "Copulinol", présenté comme "ultra puissant", mais son nom évoque un peu trop une intrusion soudaine et non souhaitée. J’opte donc pour "Pure Instinct", véritable phénomène sur TikTok. Une petite semaine plus tard, j’ouvre le colis: l’emballage est sommaire, la notice succincte et le flacon cheap. Le parfum rappelle les bonbons et les fruits. Bonne nouvelle: les phéromones sont synthétiques.
En espérant que le produit fasse plus de bien que de mal, j’en vaporise mes poignets, mon cou et le creux de mes bras, avant de me plonger dans Google Scholar, histoire de découvrir comment d’autres cobayes s’en sont sortis dans le cadre d’études scientifiques sérieuses.
Sueur et séduction
Les parfums fascinent l’humanité depuis toujours. De même, la quête de phéromones – soit des substances communicantes – ne date pas d’hier, mais remonte à 1959, pour être précis, quand des biologistes découvrent que les animaux sécrètent des substances chimiques capables d’influencer le comportement d’autres individus de la même espèce, un mécanisme utile pour effrayer les rivaux ou déclencher l’accouplement. Les animaux ont des glandes spécifiques qui produisent ces phéromones, ainsi qu’un organe nasal distinct pour les percevoir.
Cependant, selon un rapport rédigé par des chercheurs de la KU Leuven (Verhaeghe, Gheysen, Enzlin, 2013), la production et la détection des phéromones chez l’être humain s’avèrent plus complexes. En effet, nous ne possédons pas d’organe spécifique pour percevoir ces substances et devons donc nous contenter de notre sens de l’odorat. Chez les animaux, les phéromones sont principalement sécrétées par des glandes cutanées réparties sur tout le corps. Chez les mammifères par exemple, elles se trouvent autour des yeux, de l’anus, sur le menton ou les flancs. Chez les humains, leur production n’est pas localisée à un endroit précis du corps, mais on sait qu’elles sont présentes dans tous les fluides: l’haleine, la sueur, l’urine, la salive, le sperme, les sécrétions vaginales et même le lait maternel.
Fait intéressant, la plupart des chercheurs se sont principalement concentrés sur la sueur des aisselles pour tenter de percevoir les phéromones humaines. Si les phéromones sont inodores, elles développent une odeur au contact des bactéries présentes sur la peau. La sueur des aisselles contient des stéroïdes, comme l’androstadiénone et l’estratétraénol, qui sont étroitement liés aux hormones sexuelles masculines et féminines. L’androstadiénone, en particulier, a été détectée à des concentrations beaucoup plus élevées dans la sueur masculine et était mieux perçue par les femmes, car celles-ci y seraient plus sensibles que les hommes. Cependant, toutes les femmes ne sont pas également réceptives. Et, plus intrigant, il y aurait un groupe de personnes particulièrement sensibles, surnommées les "super smellers".
L'art de se flairer
Pour cette étude, on a mis un échantillon de sécrétion d’aisselle sur le philtrum d’un certain nombre de femmes, soit sur la peau qui va de la base du nez à la lèvre supérieure. Chez les femmes sensibles aux phéromones, cette exposition directe s’est traduite par une "amélioration de l’humeur et une capacité accrue à percevoir les informations émotionnelles". Et tenez-vous bien: certaines études ont même révélé un effet bénéfique sur leur désir sexuel et leur désir!
En 2004, l’Américaine Winnifred Cutler avait également testé les phéromones, mais sur des femmes ménopausées. Chez elles aussi, le "comportement sociosexuel" avait augmenté de manière significative. D’autres recherches ont également révélé que les femmes utilisaient les phéromones pour sélectionner leurs partenaires, préfèrent les hommes dont le système immunitaire est différent du leur. On en a conclu que les femmes agiraient de la sorte de manière inconsciente pour améliorer leurs chances en matière de qualité de leur descendance.
Aujourd’hui, neurosciences et intelligence artificielle sont mises à contribution pour créer des parfums sur mesure.
Se flairer mutuellement, à l’instar des animaux, n’est donc pas seulement utile pour trouver un partenaire, mais aussi pour maximiser les chances d’avoir des enfants en bonne santé. Pourtant, la réalité actuelle est bien différente: nous multiplions les rencontres en ligne, d’où il est impossible de percevoir les phéromones de l’autre. Nous sommes donc contraints de nous fier à des critères qui, à long terme en tout cas, se révèlent souvent peu pertinents.
Un autre problème s’ajoute à cette distance: si l’on en croit les chiffres actuels et les prévisions de l’industrie mondiale de la parfumerie pour les années à venir, nous nous aspergeons tous de parfum. Lors de nos rares sorties, notre nez ne perçoit guère plus que les effluves de notre propre parfum. Toutes les phéromones naturelles, pourtant riches en informations, sont éclipsées par la domination des parfums artificiels, qui présentent en outre l’inconvénient d’être commercialisés en masse. Résultat: votre "catch of the day" pourrait bien sentir comme votre ex ou votre oncle René. La mémoire associative peut être utile, mais certainement pas dans ce genre de circonstances.
Elles sont partout
Heureusement, l’industrie du parfum n’est jamais à la traîne de la science, bien au contraire. Aujourd’hui, neurosciences et intelligence artificielle sont mises à contribution pour créer des parfums sur mesure, adaptés aux besoins émotionnels de chacune et chacun. Selon certains insiders, ces créations personnalisées pourraient même intégrer des phéromones naturelles, qui peuvent être sélectionnées en fonction du pic hormonal – dans le cas des femmes.
Ne sommes-nous pas en train de compliquer inutilement les choses? Avant d’en arriver là, peut-être devrions-nous faire davantage confiance à notre corps, à la mémoire de notre peau et surtout, à celle de notre nez. Il serait sans doute plus judicieux d’opter pour des rendez-vous IRL, où l’on peut se parler plus facilement, à portée de la nuque et des oreilles de son interlocuteur. C’est vrai, cela demandera un effort aux plus sensibles d’entre nous. Peut-être devrions-nous aussi réduire notre utilisation de gels douche et autres déos qui désorientent nos sens. Après tout, la peau tout entière semble être un livre silencieux, qui se lit à l’insu de tous et influence subtilement l’humeur et le corps de l’autre, sans que nous en ayons conscience.
Passionnant, n’est-ce pas? Des recherches menées en Allemagne (Grammer et Jütte, 1997) ont montré que les phéromones masculines présentes dans la sueur pouvaient avoir une influence directe sur le cycle menstruel et même sur l’ovulation des femmes. Des études plus récentes ont également révélé que notre nez n’est pas le seul à percevoir ces phéromones. En France (Bensafi et al, 2004), on a découvert que les phéromones induisaient une amélioration de l’humeur chez les femmes et provoquaient également "une forme de changement comportemental inconscient" chez les hommes.
Les résultats suggèrent que les phéromones "pourraient jouer un rôle majeur" dans la communication chimique entre individus, non seulement par détection via le nez, mais aussi par diffusion transdermique, c’est-à-dire par contact cutané. En résumé, il est très probable que nous absorbions toutes ces phéromones qui influencent nos vies, non seulement par l’odorat, mais aussi par le toucher. Serrer une main, tenir une rampe, ouvrir une porte: ce transfert de phéromones pourrait bien influencer notre humeur, notre disposition sexuelle et même notre système reproductif.
Incroyable, non? Songez-y la prochaine fois que vous prenez le train, le tram ou le bus, que vous serrez la main de vos collègues ou leur claquez la bise, ou que vous ouvrez ou fermez une porte. Les phéromones sont partout. Malheureusement, nous n’en faisons souvent pas grand-chose, tout simplement parce que nous ne les percevons plus.
Pour les femmes en quête de séduction, il existe cependant une solution qui ne sort pas d’un flacon, mais de la région la plus intime de leur corps. La majorité des recherches scientifiques sur les phéromones portent sur des stéroïdes communs aux femmes et aux hommes. Cependant, une étude s’est également intéressée à une phéromone sécrétée uniquement par les femmes, la copuline. Ce terme évocateur (et rigolo) révèle d’emblée l’objectif de cette substance invisible (et par ailleurs totalement inodore), présente dans et autour des organes sexuels: accroître le désir chez l’autre. La copuline semble d’ailleurs plus facile à étudier que l’androstadiénone: en effet, plusieurs études scientifiques réalisées l’année dernière ont montré que les hommes exposés à la copuline voient leur taux de testostérone augmenter. Ce n’est pas tout: ils trouvent plus de visages attirants au sein d’un groupe de femmes et se perçoivent comme plus séduisants.
La copuline pourrait bien être une phéromone légèrement plus fiable pour les femmes qui souhaitent attirer les hommes. On la retrouve ainsi dans des produits populaires vendus sur Amazon comme le "Copulinol", mais aussi "au naturel", dans les acides gras volatils du vagin. Ce qui nous amène directement à une autre tendance largement commentée sur TikTok il y a quelques années: le "vabbing", contraction de "vagina dabbing". Cette astuce, adoptée par des millions de femmes à travers les siècles, consiste à appliquer un peu de sécrétions vaginales derrière les oreilles, comme un parfum. Si ça ne fait pas de miracles, c’est en tout cas bien moins risqué que ces produits étranges vendus en ligne, souvent sans aucune réglementation quant à leurs composants ou à leurs effets sur la santé.
Revenons à mon test: selon la notice, mon flacon de "Pure Instinct" contient de l’huile végétale, du parfum et des versions synthétiques d’andronone, de copulandrone et de copuline. L’efficacité de ces phéromones artificielles reste cependant à prouver. On ne sait pas s’il s’agit des mêmes phéromones ni si elles sont présentes dans les mêmes concentrations que celles testées dans le cadre des études scientifiques ayant mis en valeur leurs effets spéciaux. Telle est également la conclusion que les chercheurs de la KU Leuven ont tirée de leurs travaux: "Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour valider ces conclusions avant que toute allégation commerciale sur l’effet excitant de l’androstadiénone puisse être confirmé scientifiquement."
Blonde 1 - phéromones 0
Pour mon propre test, je ne me suis pas rendue à une soirée branchée, mais simplement au supermarché du coin. Je dois admettre qu’ en parcourant les rayons j’étais d’humeur particulièrement curieuse et plus joyeuse que d’ordinaire. Ma confiance en moi était également à son comble, me donnant l’impression d’être irrésistible. Hélas, la clientèle se composait principalement de messieurs d’un certain âge, retraités pour la plupart. Légère déception. J’ai évité de justesse une collision avec un caddie manœuvré par un monsieur âgé qui, lui, se précipitait derrière la seule autre femme présente dans le magasin: une belle blonde élancée, vêtue d’une combinaison ample à fines bretelles. Sous sa combinaison, hormis sa peau hâlée et quelques souvenirs d’Ibiza, elle ne portait absolument rien. Sa poitrine généreuse attirait tous les regards. Résultat du match? Blonde 1 - "Pure Instinct" 0.
Les choses ne se sont pas améliorées quand, le soir même, j’ai décidé d’augmenter la dose et de virevolter autour de mon compagnon en agitant les poignets pour que les phéromones atteignent plus rapidement ses narines. Je n’ai récolté qu’un regard perplexe et des réponses évasives à mes questions pleines d’enthousiasme. En bref: une journée exténuante, des frustrations irritantes et des attentes vaines. La vie avait pris le dessus. Dans ces moments-là, aucun parfum ne peut faire des miracles; seuls une odeur familière et un peu de réconfort font réellement la différence.