Le printemps s'annonce avec une nouvelle tendance: le "pebble hunting" ou la chasse aux plus beaux galets. Oui, c’est banal, mais c’est là que réside la beauté du geste.
Nous allons probablement rester accros aux savonnettes encore un certain temps et se faire la bise restera tabou au moins jusqu’à la fin de l’été. Autre changement spectaculaire dû à cette année de pandémie, le retour à la nature. Les parcs urbains ont joué sur notre équilibre physique et mental et la cabane isolée dans les bois est devenue le lieu idéal pour passer des vacances.
Nous avons passé nos weekends à surveiller nos jardinières et même les oiseaux les plus courants ont éveillé notre curiosité. Depuis, un nouveau passe-temps est apparu: le "pebble spotting" ou la chasse aux galets, avec ou sans géologue accompli pour les identifier. Une activité à pratiquer de préférence sur une plage de galets déserte au Royaume-Uni ou, plus près d’ici, le long de nos rivières et de nos lacs qui, eux aussi, recèlent des spécimens exotiques.
The Pebbles
En fait, rien de neuf sous le soleil. Dans les années 50, la chasse aux galets a connu son heure de gloire outre-Manche grâce au best-seller de Clarence Ellis, "The Pebbles on The Beach", premier manuel destiné aux dénicheurs en herbe. Cet ouvrage faisait miroiter des merveilles: de la serpentine vert vif au gneiss datant de plusieurs milliards d’années, en passant par les fossiles et autres pierres étranges datant de bien avant le paléolithique.
"On peut tomber sur une pièce maîtresse à tout moment, surtout lorsqu’on ne s’y attend pas."Clive Mitchell
Très vite, ce livre est devenu une valeur sûre des vacanciers britanniques. Comme l’écrit le naturaliste Robert Macfarlane: "la chasse aux galets rares constituait le principal ingrédient de l’expérience sur la côte britannique, une forme merveilleusement thérapeutique d’évasion et de plaisir gratuit."
Il y a deux ans, quand la maison d’édition Faber & Faber a réédité cet ouvrage, il a atteint la troisième place de la liste des best-sellers de non-fiction en Grande-Bretagne dès la première semaine. D’où la question: mais qu’est-ce qu’un bête galet peut bien avoir de si séduisant, et même, de si méditatif?
"Pour moi, c’est en grande partie lié à la sensation tactile d’un galet poli et joliment arrondi, qui se love dans la paume de la main", argumente le géologue Clive Mitchell qui, à la demande du National Trust, vient d’écrire un autre guide à ce sujet, "The Pebble Spotter’s Guide".
Il espère ainsi surfer sur ce come-back auquel la crise du Covid a également contribué. "Un premier intérêt s’est manifesté en 2016, quand le Guardian m’a contacté pour un article. Mais, ces derniers mois, les gens sont plus que jamais en quête de nouvelles activités à pratiquer en plein air. Il y a des galets partout et ils sont tous différents."
Dans un monde où de plus en plus de choses sont accessibles à la demande, ne pas savoir ce qui va se révéler à vous peut offrir une dose de réconfort. "Il y a des spécimens que je cherche depuis des années, mais que je n’arrive pas à trouver. En même temps, on peut tomber sur une pièce maîtresse à tout moment, surtout lorsqu’on ne s’y attend pas", explique Clive Mitchell.
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Jardin zen
Et puis, il y a le symbolisme du galet. Depuis des siècles, il est synonyme de paix et d’harmonie, en particulier dans les cultures orientales. Tapez "zen" sur Google et, entre les innombrables fleurs de lotus et les incontournables représentations de Bouddha, vous verrez apparaître des piles de galets au bord de l’eau.
Dans la plupart des jardins zen japonais, y compris le célèbre jardin de pierres du temple Ryoan-ji à Kyoto, une composition de galets parfaitement ovales, de graviers et de rochers favorise la méditation. Non seulement cette esthétique garantit la sérénité visuelle, mais, selon certains scientifiques, elle aurait même un effet relaxant sur le cerveau.
Le galet est aussi très important en poésie. La poétesse américaine Emily Dickinson a vu dans le caillou insouciant l’antithèse de l’être humain stressé, tandis que le prix Nobel irlandais William Butler Yeats a fait l’éloge du fracas des galets comme l’une de ces petites choses à chérir dans la vie.
"On trouve parfois un galet qui se love si bien dans le creux de la main qu’il semble fait pour soi."Clive Mitchell
Selon Clive Mitchell, les galets exercent même une sorte d’attraction naturelle sur les êtres humains depuis la nuit des temps. Des collections préhistoriques trouvées dans le sud de la France et en Espagne suggèrent qu’ils ont été collectionnés au paléolithique. Et, aujourd’hui, bien que personne ne sache vraiment pourquoi, de nombreux promeneurs empilent des galets au bord des chemins de randonnée.
"La plupart du temps, nous les ramassons sans arrière-pensée, juste parce que ça nous fait plaisir", explique Mitchell. "Qui, enfant, n’a jamais rempli son petit seau de galets un peu bizarres trouvés sur la grève pour les ramener à la maison? Qui n’a jamais cherché le galet parfait pour faire des ricochets? Oui, un chasseur de pierres sommeille en chacun de nous."
Reine Victoria
Techniquement parlant, toute pierre mesurant entre 4 et 64 mm est un galet à part entière, mais le chasseur expérimenté s’intéresse surtout à quelques trophées. La cornaline, un type de quartz rouge-orange translucide, figure en bonne place sur les bucket lists, tout comme le jais, une pierre noire qui, en fait, est une gemme fossile résultant de la carbonification d’une essence disparue.
Au XIXe siècle, la reine Victoria a arboré des perles de jais en guise de parure de deuil après le décès du Prince Albert, lançant ainsi une mode et une chasse au jais sur certaines plages.
Autres trouvailles surprenantes: un silex contenant le fossile d’un oursin, une pierre de calcaire corallien ou un poudingue, un galet qui ressemble effectivement à un pudding aux raisins secs. Le Graal ultime est le très rare porphyre rhombique, une pierre volcanique faite de petits cristaux, que l’on ne trouve que sur le Kilimandjaro, en Antarctique et en Norvège, mais qui s’échoue parfois ailleurs, sur les rivages, entraînant de nombreux géologues en herbe dans son sillage.
En même temps, Mitchell souligne que la vraie valeur d’un galet réside avant tout dans la préférence personnelle. "Parfois, vous trouvez un caillou qui se love si bien dans le creux de la main qu’il semble fait pour vous. Certains adorent la couleur blanc crème du quartzite, d’autres la trouvent terne. C’est ce qui distingue les galets des pierres précieuses ou des minéraux: à moins de mettre la main sur la collection de Charles Darwin ou sur les pierres que les astronautes ont recueillies sur Mars, il n’y pas de spécimens coûteux."
Voyage dans le temps
Comme de nombreux spots en Écosse, au Danemark et en Norvège, les plages britanniques telles que Lizard Point (pour la serpentine), Whitby (pour le jais) et Cromer (pour le porphyre rhombique) sont particulièrement appréciées des chasseurs de galets. En Cornouailles, les promeneurs en ont emporté tellement que les ramasser est devenu passible de lourdes amendes. Plus près de chez nous, l’île de Texel, dans la mer des Wadden aux Pays-Bas, et le Cap Blanc-Nez, sur la côte d’Opale en France, sont des paradis de galets, mais on peut aussi ramasser quelques superbes exemplaires le long de la Meuse.
Au bout d’un moment, vous entrerez dans la "pebble zone": vous vous sentez en harmonie totale avec la plage, ses odeurs, ses sons et son histoire.Clive Mitchell
"Certains ont l’air insignifiants, mais si on les observe de plus près, on distingue de belles nuances, de fines veines ou, parfois même, un fossile", explique Mitchell. "Mon conseil: ne marchez pas sans fin au bord de l’eau, mais ralentissez et concentrez-vous sur un mètre carré et là, prenez chaque pierre une à une et étudiez-la. Au bout d’un moment, vous entrerez dans la ‘pebble zone’: vous vous sentez en harmonie totale avec la plage, ses odeurs, ses sons et son histoire."
Cela peut paraître bizarre, mais y a-t-il meilleure échappatoire en ces temps troublés que de passer la journée à identifier des galets en transit sur notre planète depuis des centaines de millions d’années? Pour être honnête, il n’y a pas grand-chose de mieux à faire pendant une énième promenade...
La chasse aux galets est ouverte
Voici trois exemplaires spéciaux, où les dénicher et comment les reconnaître.
1/ Septaria
Comment le reconnaître? Il est sphérique et de couleur noire, brune, grise ou jaune. La plupart du temps, les fissures ont été scellées par des minéraux, évoquant ainsi la carapace d’une tortue.
Où le trouver? Le Maroc et Madagascar sont de bons spots pour le septaria, mais on en trouve aussi en Angleterre, sur la Côte jurassique. En Belgique, il y en a dans l’argile de Boom, un gisement de la vallée du Rupel.
Particularité? C’est la version géologique d’un "fortune cookie". Si on l’ouvre, on peut trouver un superbe mini-paysage de cristaux ou... juste une pierre dure.
2/ Serpentine
Comment le reconnaître? D’un vert profond et ultra lisse, avec un motif en écaille de serpent et des taches jaunes, ce galet n’a pas volé son nom.
Où le trouver? Au fond de la mer, car la serpentine fait partie de la croûte océanique. Au Lizard Point, en Cornouailles, cette croûte a été poussée en surface, si bien qu’il est parfois possible de trouver des fragments de serpentine sur la plage. Seuls Oman et la Californie possèdent des gisements similaires.
Particularité? Ces galets sont faciles à polir, c’est pourquoi ils sont parfois vendus en tant qu’imitation du jade. Autrefois, on croyait que la serpentine aidait à soigner les morsures de serpent.
3/ Échinide
Comment le reconnaître? Un silex gris comportant des pointillés à symétrie rayonnée, caractéristiques du squelette d’un oursin.
Où le trouver? Sur de nombreuses plages de galets le long de la côte.
Particularité? Il s’agit d’un fossile: le squelette de l’oursin s’est désintégré puis a été rempli de quartz, ce qui lui a permis de conserver son motif en étoile très reconnaissable.