La rose pour passer une bonne nuit et l’eucalyptus pour dégager le nez: depuis des décennies, les huiles essentielles sont utilisées pour traiter certaines maladies du corps et de l'esprit. Leurs vertus sont désormais reconnues dans le monde scientifique.
Il n’est pas facile de se faire de nouveaux amis en cette période. Pourtant, j’ai rencontré un compagnon fidèle: il me motive quand j’écris, me remonte le moral et me relaxe à l’heure du coucher. Il est gracieux, serein, chaleureux. Et il sent divinement bon.
Mon nouvel ami? C’est un diffuseur d’huiles essentielles et je suis loin d’être la seule à l’avoir adopté. Sur Instagram, sa brume parfumée s’élève dans les bureaux à domicile et les salles de bain. La société Rainpharma, principal acteur sur le marché belge, a vu ses ventes quintupler en 2020. D’autres, comme Diptyque, Muji et Le Labo, ont senti la tendance et proposent un modèle élégant, qui ringardise le système à bougie chauffe-plat. Et si l’on en croit les prévisions, nous aurons le nez dans les volutes parfumées tout au long de l'année.
Pour ceux qui n’auraient pas encore cédé à cette nouvelle envie, sachez que ce petit bijou permet la nébulisation d’huiles essentielles, des extraits de plantes très concentrés obtenus par distillation à la vapeur d’eau. Les gouttelettes d’huile sont mélangées à l’eau dans le réservoir par des vibrations ultrasoniques. Elles sont ensuite chauffées et projetées dans l’air ambiant sous forme de brume aromatique, enveloppant la maison d’un luxuriant parfum de plantes.
Les huiles essentielles de qualité apportent bien plus qu’un supplément de nature dans la maison. Leurs adeptes lui prêtent mille et une propriétés bénéfiques. Les agrumes freinent l’anxiété et certaines variétés de romarin pallient le manque de concentration.
Mood booster
Balivernes? Au cours du siècle dernier, les huiles essentielles étaient principalement prescrites par les thérapies alternatives. Mais, aujourd’hui, les aromathérapeutes bénéficient d’un soutien scientifique de plus en plus important, explique Iris Stappen, professeur de pharmacie clinique à l’université de Vienne et spécialiste en aromachologie (l’influence des odeurs sur le comportement).
"Les odeurs et les émotions sont étroitement liées dans le cerveau."Iris Stappen
Avec la pharmacienne Eva Heuberger et l’aromathérapeute Regula Rudolf, elle a écrit "De Neus", consacré aux effets neurologiques des huiles essentielles. "Ces dernières années, des centaines d’études qui prouvent les effets des huiles essentielles ont été publiées. Elles démontrent, par exemple, que le linalol, un composant majeur de nombreuses huiles essentielles, dont la lavande et le bois de rose, aide effectivement à mieux dormir. L’effet stimulant du limonène, un composant de l’huile essentielle de divers agrumes, a également été cliniquement prouvé, ainsi que l’impact de l’huile essentielle de romarin sur la concentration."
Il y a un parfum contre chacun des maux (du confinement): la mélisse aiderait à se réveiller de bonne humeur, le basilic favoriserait une meilleure concentration, quelques gouttes d’ylang-ylang mettraient de l’ambiance sous la couette, une goutte de camomille romaine dans un bain démultiplierait son pouvoir relaxant.
Effets curatifs
En Autriche et en Suisse, où la phytothérapie est mieux implantée, les huiles essentielles font aujourd’hui partie des soins standard en psychiatrie clinique. Elles sont, par exemple, utilisées à l’hôpital psychiatrique universitaire de Bâle pour activer le centre des émotions dans le cerveau, et ce, dans le traitement de la démence, de la dépression et de la toxicomanie
"Contrairement aux stimuli visuels, les stimuli olfactifs atteignent directement le système limbique, également appelé cerveau émotionnel", explique Stappen. "Pour faire simple, dans notre cerveau, l’odorat et les émotions sont étroitement liés, ce qui contribue à expliquer pourquoi la dépression peut s’accompagner d’une diminution de l’odorat. Et en stimulant les neurones récepteurs olfactifs, on peut susciter et traiter certaines émotions."
"Contrairement à toute autre odeur agréable, l’utilisation d’huiles essentielles dans ce type de thérapie olfactive présente un autre avantage spécifique", poursuit Stappen. "Les molécules odorantes sont extrêmement petites, non polaires et volatiles, ce qui signifie qu’elles pénètrent facilement dans le cerveau lorsqu’elles sont inhalées."
"Mieux encore: si l’exposition est suffisante, par évaporation dans l’air, les nanoparticules d’huile se retrouvent dans la circulation sanguine. Nous avons ainsi découvert que certaines nanoparticules d’huile essentielle de lavande détendent le corps de manière purement physiologique, même si l’on ne sent pas son odeur."
Adam Feyaerts, chercheur sur les effets biologiques des huiles essentielles à la KU Leuven, nuance: "Oui, certains composants des huiles essentielles peuvent franchir la barrière hématoencéphalique, mais ce n’est pas le cas de toutes les huiles. De plus, il y a d’autres substances aromatiques ayant ces propriétés."
Coronaproof
Si nous utilisons abondamment les diffuseurs d’arômes en cette année de coronavirus, c’est aussi parce que de nombreuses huiles essentielles ont un effet antibactérien, antifongique et antiviral. Le premier a été découvert en 1912 par le chimiste et parfumeur français René-Maurice Gattefossé.
Comme il avait été brûlé suite à une explosion dans son laboratoire de parfumerie, il a désinfecté ses plaies avec de l’huile essentielle de lavande: les tissus nécrosés ont miraculeusement guéri. Fort de cette expérience, il a soigné des soldats brûlés pendant la Première Guerre mondiale en recourant à ces mêmes huiles essentielles.
En soi, cette découverte n’est pas si surprenante: les composants des huiles essentielles défendent les plantes contre les nuisibles -bactéries, champignons et insectes. Les huiles essentielles de thym, d’origan et d’arbre à thé sont connues pour être de redoutables adversaires de certains microbes. C’est pour cette raison que, depuis des siècles, les pommades et autres lotions de soin de la peau sont composées d’huiles essentielles. "Ce même effet désinfectant est observé quand elles sont nébulisées par un diffuseur d’arômes", précise Feyaerts.
"Certaines huiles essentielles peuvent également avoir un effet antibactérien et antimicrobien par l’intermédiaire de l’air ambiant. Cependant, elles ne peuvent pas toutes être utilisées en toute sécurité dans un diffuseur d’arômes. L’origan, par exemple, ne convient pas, comme la plupart des variétés de thym, contrairement à l’eucalyptus (globulus, pour les voies respiratoires) et à la lavande. Il pourrait être intéressant de tester ce type de nébulisation dans une clinique ou un cabinet médical."
"Ce n’est pas parce qu’une chose vient de la nature qu’elle ne fonctionne pas."Adam Feyaerts
Feyaerts s’est consacré à la recherche sur les huiles essentielles après en avoir été un fervent utilisateur et s’être heurté à un manque de connaissances scientifiques. Aujourd’hui, il travaille sur une étude pilote portant sur l’effet des huiles essentielles nébulisées contre le virus du Covid, avec l’Institut Rega de la KULeuven.
"Les résultats ne sont pas encore disponibles, mais nous avons déjà fait un pas dans la bonne direction. Pour nous, cette expérience est révolutionnaire. Les huiles essentielles ne sont pas privilégiées par l’industrie pharmaceutique, car il est difficile de breveter le vivant. Mais ce n’est pas parce qu’une chose vient de la nature qu’elle ne fonctionne pas."
Parfum d’intérieur
L’avenir de l’aromathérapie semble prometteur: des études sur ses effets sur notre système immunitaire sont mises à l’agenda international. Néanmoins, le secteur devra drastiquement relooker son image et, en particulier, la manière dont les huiles essentielles sont commercialisées. Elles sont, en effet, de plus en plus souvent distribuées via une foule de réseaux où les vendeurs travaillent à la commission et les "barons des huiles" font fortune au bout de la chaîne.
Malgré leur manque de connaissances médicales, certains n’hésitent pas à les promouvoir sur les réseaux sociaux en vantant leurs propriétés contre le cancer ou la maladie de Lyme. De plus, le fait que des influenceuses du self-care comme Victoria Beckham, Miranda Kerr ou Gwyneth Paltrow s’en réclament n’améliore pas leur image.
Cependant, même si votre esprit cartésien prend le dessus, un diffuseur d'huiles essentielles représente une alternative naturelle et durable à la sempiternelle bougie parfumée. "C’est d’ailleurs là que tout a commencé pour nous", déclare Dominique Bastin, fondateur de Rainpharma.
"En raison de la combustion de paraffine, les bougies parfumées font rapidement diminuer la qualité de l’air ambiant. Un flacon d’huile essentielle, en revanche, est 100% végétal: on sent vraiment le parfum de la nature." Il ne reste plus qu’à espérer que ce cher virus ne nous prive pas de notre odorat...
Les huiles essentielles en toute sécurité
Les huiles essentielles étant assez puissantes, la prudence est de mise. Quelques gouttes suffisent pour que la maison sente bon, mais un dosage excessif peut provoquer maux de tête, vertiges, éruptions ou brûlures cutanées. Les experts recommandent de nébuliser par intervalles de quinze minutes.
Il faut également contrôler la qualité des huiles essentielles. Une bonne marque mentionne toujours sur l’étiquette le nom en latin et en français, la date de péremption et les consignes de sécurité. L’huile est non diluée et emballée dans un flacon en verre foncé pour la protéger de la lumière.