Gaëlle Van Rosen, influenceuse et activiste, nous parle de ce qui la fait se lever de son canapé: Jacques Brel, Toni Morrison et "Mamie sauveur".
- Influenceuse, activiste.
- Initiatrice du projet «50 Shades of Racism».
- Propriétaire de «Maison Rosen» à Bruxelles et à Ibiza.
Quelle est la chaise de votre vie?
«Un classique du design sensuel, élégant et féminin des années 70: le canapé ‘Togo’, un nuage de douceur et de confort. Il y en a un dans chacun de mes projets ‘Maison Rosen’. Chez moi, j’ai un exemplaire vintage que j’ai fait recouvrir. Un canapé magnifique, mais aussi durable, qui transcende les saisons et les tendances. Je le transmettrai certainement à mes enfants. J’apprécie son caractère modulaire, car ses éléments sont faciles à agencer dans différents espaces. De plus, il est vraiment léger. Quand j’ai une séance photo dans une des trois maisons de ‘Maison Rosen’, je le transporte moi-même. Il est aussi idéal pour lire: à la fin de la journée, j’adore m’installer dans mon ‘Togo’ avec un bon livre.»
Qu’est-ce qui vous a fait tomber de votre chaise récemment?
«J’ai relu ‘King Kong Théorie’, un livre de Virginie Despentes sorti en 2006. Quand je l’ai lu pour la première fois, il y a dix ans, il m’a fait l’effet d’une bombe. Il m’a fait porter un regard différent sur la position de la femme dans la société contemporaine. Il y a vraiment un avant et un après.»
«Nous sommes une famille de femmes fortes, bosseuses et fières de notre indépendance.»
Savez-vous rester assise?
«Pendant longtemps, je n’ai pas pris le temps de le faire. J’étais débordée en raison de mes nombreux projets et activités en tant qu’entrepreneuse dans l’immobilier, directrice artistique d’un label de mode et mère. Pour mon bien-être, je souhaite désormais prendre un peu plus de temps pour moi, même si, en réalité, je bosse sur tous mes projets à du 100 à l’heure. Je voudrais faire plus de musique ou lire plus, ce que j’ai toujours aimé faire. J’étais une enfant très introvertie.
Au lieu de jouer dans la cour de récré, je passais mon temps le nez plongé dans un livre, souvent même avec un casque sur les oreilles. Cet amour de la littérature est allé crescendo et je le transmets à mes enfants. Il y a des parents qui ont du mal à inciter leurs enfants à lire, mais chez nous, c’est le contraire: quand ils vont se coucher, ils passent encore souvent des heures à lire alors qu’ils devraient dormir depuis longtemps.»
Biographie d’un canapé | Togo
Le «Togo» a été conçu par Michel Ducaroy (1925-2009) pour Ligne Roset, dont il dirigeait le département design. Ce siège bas modulaire très léger, en production depuis 1973, est un des premiers fauteuils entièrement en mousse de polyester.
Michel Ducaroy est issu d’une famille lyonnaise de fabricants de mobilier. Après des études de sculpture, il travaille chez Chaleyssin, l’usine familiale à qui l’on doit le mobilier du paquebot Normandie. À partir de 1960, il collabore avec Ligne Roset. Intéressé par les nouveaux matériaux, il conçoit des sièges innovants, mais aucun n’a connu autant de succès que le «Togo».
Qui aurait sa place au dîner de vos rêves?
«J’aimerais inviter des personnes qui se sont consacrées à de nobles causes. Le premier qui me vient à l’esprit est Jacques Brel. Les paroles de ses chansons regorgent de virtuosité linguistique et d’intelligence émotionnelle. Et Nina Simone, une artiste qui a dû se battre, comme de nombreux Afro-Américains. Tant Brel que Simone sont restés fidèles à eux-mêmes et n’ont jamais cherché à plaire à tout le monde. C’est ce que j’admire chez eux. J’aimerais aussi inviter l’activiste américaine Angela Davis et l’autrice Virginie Despentes, une voix féminine actuelle et très puissante.»
Sur la chaise de qui aimeriez-vous vous asseoir?
«Sur celle de Toni Morrison (1931-2019), la première femme noire à avoir obtenu le prix Nobel de littérature, en 1993. J’aurais aimé être à sa place quand l’inspiration a commencé à jaillir pour écrire ‘Beloved’, son chef-d’œuvre de 1987, une histoire vraie, dans laquelle elle mêle l’histoire de la traite négrière américaine à l’émotion et au mysticisme.»
À qui attribueriez-vous une chaire?
«À ma grand-mère, Anne Mathilde, qu’on appelait ‘Mamie sauveur’. J’étais très proche d’elle. À son niveau, elle a changé beaucoup de choses pour de nombreuses personnes de son entourage. En Haïti (je suis moitié haïtienne, moitié néerlandaise), elle était l’aînée de la fratrie. Comme elle devait aider à s’occuper des autres enfants de la famille, elle a été la seule à ne pas avoir eu la chance d’aller à l’école. Sans savoir ni lire ni écrire, elle s’est lancée dans les affaires aux Caraïbes. Avec succès: elle achetait des vêtements ici et là qu’elle revendait en Haïti. Et elle employait des couturières. Sans beaucoup de moyens, elle a très bien réussi.
Et quand elle ne parvenait pas à réaliser quelque chose ou ne savait pas comment s’y prendre, elle demandait conseil jusqu’à ce qu’elle sache comment procéder. Elle ne se contentait pas d’un refus. ‘Mamie sauveur’ était très généreuse: elle doit son surnom au fait qu’elle achetait des médicaments pour les pauvres de son quartier. Je l’ai bien connue, surtout après avoir perdu mon père, quand j’avais 18 ans. J’ai passé des mois à me ressourcer chez elle. Alors qu’elle luttait contre le diabète et le cancer, elle m’emmenait dans les montagnes et emportait des vêtements et des médicaments pour les pauvres qui en avaient besoin. C’était une femme incroyable, dotée d’un esprit extraordinaire. Nous sommes une famille de femmes fortes, bosseuses et fières de notre indépendance.»