Les sports d'endurance: pour le plaisir de souffrir... et de se forger un caractère

Les sports d'endurance peuvent se comparer à un pèlerinage: ils renforcent le corps et l'esprit. Pas étonnant qu'ils séduisent de plus en plus de gens.

À la fin de l’année dernière, on pouvait lire un message étonnant sur le site 3athlon.be, où sont publiées toutes les actualités du triathlon et du duathlon: "Le défi pour 2021: s’inscrire à une course." Le défi n’est visiblement plus seulement de terminer la course, mais aussi de pouvoir y participer. En raison du covid, mais aussi du vif intérêt d’un public toujours plus nombreux.

L’être humain recherche manifestement l’effort total, prolongé et épuisant.
L’être humain recherche manifestement l’effort total, prolongé et épuisant.
©Shutterstock
Publicité
Publicité

Le boom du triathlon est la "pars pro toto" des courses d’endurance extrêmes. Qu’il s’agisse de la Dodentocht (100km de course), des ultraruns (plus longs qu’un marathon) ou des courses Ironman (3,8km de natation, 180km de vélo et 42,2km de course à pied), ces sports qui ne requièrent pas de talent technique, mais une endurance particulière ont le vent en poupe. Des sports extrêmes, cela ne fait aucun doute, et qui ne conviennent pas à tout le monde, mais qui semblent désormais devenir la nouvelle normalité. L’être humain recherche manifestement l’effort total, prolongé et épuisant. L’homo ludens aurait-il troqué le jeu pour le sport?

Ironman

Bram Goekint est à la tête d’un cabinet de kinésithérapie à Ostende. Il y constate que l’âge des sportifs d’endurance diminue. Auparavant, la tranche d'âge se situait généralement entre la fin de la vingtaine et la fin de la quarantaine. Aujourd'hui, son cabinet accueille des patients plus jeunes.

Et il connaît l’acidification pour l’avoir éprouvée: dans quelques semaines, Bram reliera à vélo Ostende à Arlon avec des amis: 400 kilomètres à travers le territoire belge sans s’arrêter. "Et la Cristobal Diagonal n’est même pas une course!", s’exclame-t-il en riant. "C’est un tour organisé par un copain. Quand il a présenté son plan, ça m’a intrigué. Je suis manifestement attiré par les événements que je ne suis pas sûr de pouvoir gérer."

"Franchir la ligne d’arrivée de l’Ironman était une étape importante de ma vie."
Bram Goekint
Kinésithérapeute et sportif d'endurance

Les sports d’endurance sont rarement une passade. Au fur et à mesure on s’améliore, la distance augmente et le niveau de forme physique croît. C’était également le cas du kiné ostendais. Après un 1/8ème de triathlon ("amusant") lorsqu’il était étudiant, il passe au quart de triathlon ("ça devrait être possible, non?"), puis au demi-triathlon ("j’avais les larmes aux yeux") et, finalement, à l’Ironman de Nice. Dans l’intervalle, il a également participé au North C Trail et couru sur sable pendant 50 kilomètres.

Publicité
Publicité

"Franchir la ligne d’arrivée de l’Ironman était une étape importante de ma vie", déclare cet ancien sauveteur. "C’était génial de nager dans la Méditerranée, de courir sur la Promenade des Anglais et de parcourir à vélo l’arrière-pays de la Côte d’Azur. Ce lien avec la nature est important. On est plongé dans l'eau, puis dans la verdure, on se focalise sur le point final et, même si l’on souffre, c’est un plaisir. Comme la préparation de ce type d’événement: dès que l’on s’est inscrit, on a un objectif et l’on s’y consacre, tant physiquement que mentalement. Ensuite, chaque séance d’entraînement devient un rituel: manger, s’équiper et partir."

Enfourcher son vélo pour parcourir des centaines de kilomètres n'est plus le monopole des sportifs professionnels.
Enfourcher son vélo pour parcourir des centaines de kilomètres n'est plus le monopole des sportifs professionnels.
©Unsplash / Simon Connellan

"Ce rituel fait partie de l’expérience, du processus par lequel, séance d’entraînement après séance d’entraînement, on sent son corps se muscler et sa résistance s’accroître. Ça me fascine: pourquoi en ai-je envie? Pourquoi persévérer? Pourquoi vouloir absolument dépasser cette limite? Peut-être par fierté, pour l’idée que la tête entraîne le corps de plus en plus loin. Ce n’est pas l’heure d’arrivée qui compte, mais le simple fait d’aller jusqu’au bout. Dès que l’on atteint la ligne d’arrivée, on éprouve un kick incroyable. Je repense encore souvent à Nice et j’évolue de plus en plus vers le bikepacking, soit des journées d’aventure à vélo. C’est ce qui me correspond le mieux, je pense."

"Le sport d’endurance est une échappatoire à ce monde frénétique et imprévisible."
Jeroen Scheerder
Sociologue et sportif d'endurance

Saint-Jacques de Compostelle

"Avoir un corps sain est devenu une forme de sécurité dans un monde inconstant et axé sur la technologie", déclare Jeroen Scheerder. Lui aussi est un sportif d’endurance. Chaque année, Scheerder participe au Monstertijdrit à Almere, aux Pays-Bas. Il parcourt les 138 kilomètres de l’épreuve en solitaire, contre la montre et contre lui-même.

Il a également pratiqué le triathlon, mais son intérêt transcende le volet physique: Scheerder est sociologue du sport à la KU Leuven. "Les sports d’endurance sont une échappatoire possible au monde frénétique et imprévisible qui nous entoure", explique-t-il. "C’est une distraction, une forme de catharsis, une façon de se vider la tête. Une sorte de slow sport, dans le sillage du slow reading et de la slow democracy que la crise du covid a favorisés."

Selon Scheerder, cette focalisation sur l’endurance n’est pas un phénomène récent. "L’homme et l’endurance, c’est une longue histoire. Prenez les pèlerinages à Saint-Jacques de Compostelle. À l’ère prémoderne, le pèlerinage était une forme d’endurance: des semaines, voire des mois de souffrance pour atteindre cette destination en Espagne depuis toute l’Europe."

"Cette idée de pèlerinage se retrouve aujourd’hui dans le sport, comme s’il s’agissait d’atteindre un objectif supérieur. Après l’industrialisation, le caractère spirituel des pèlerinages s’est mué en courses mesurables. Il suffit de penser aux courses de six jours du cyclisme sur piste. C’est dans ce contexte que sont nées les "multiday races", également sur route. À la longue, ce qui était un rituel, comme le pèlerinage, est devenu un record à battre, comme le pole sitting, par exemple.

"Ceux qui franchissent un col de montagne à vélo ou à pied apprennent à se déplacer dans le monde et sont capables d’affronter davantage de revers de fortune."
Ron Welters
Philosophe du sport à l’université Radboud de Nimègue

Mythe de Sisyphe

"À notre époque, l’ascétisme est synonyme de retrait du monde, de réflexion dans un environnement calme et isolé. Les Grecs anciens attribuaient un sens très différent à cette 'askesis'. À l’instar de l’entraînement physique, ils y voyaient la clé de l’épanouissement personnel. Le philosophe allemand Peter Sloterdijk a ravivé cette signification", déclare Ron Welters, homme d’action autant que penseur.

Welterts est philosophe du sport à l’université Radboud de Nimègue et vient de boucler une randonnée à vélo de cinq jours aux Pays-Bas. "L’entraînement physique renforce le corps, mais aussi l’esprit. La séparation cartésienne du corps et de l’esprit n’est pas judicieuse. Nous ne sommes pas limités à notre cerveau: nous sommes notre corps dans son ensemble."

Les efforts extrêmes pourraient être la version moderne du pèlerinage.
Les efforts extrêmes pourraient être la version moderne du pèlerinage.
©Shutterstock

Le philosophe plaide en faveur des sports d’endurance qu’il voit comme une forme d’obligation que l’on doit à la vie: "Celui qui valorise et entraîne son corps rend son esprit résilient. Albert Camus disait déjà qu’il faut imaginer Sisyphe heureux. Autrement dit, pousser la pierre vers le sommet de la montagne, encore et encore, ne lui fait pas de tort ni de mal au fond. Et c’est intéressant à imaginer cette version du mythe dans une société axée tout particulièrement sur la facilité."

"Ceux qui franchissent un col de montagne à vélo ou à pied apprennent à se déplacer dans le monde et sont capables d’affronter davantage de revers de fortune. En procédant ainsi, on finit automatiquement par vivre dans de bonnes conditions, à l’image de ce qui motivait les Grecs anciens. Pour cela, il faut juste continuer à marcher. Ou à pédaler."

5 défis pour dépasser ses limites

CHALLENGE GRAMMONT
Le 6 juin, demi-triathlon
challenge-geraardsbergen.com

FRENCH DIVIDE
Du 7 au 21 août, plus de 2.200 km en France en bikepacking.
Frenchdivide.com

ULTRA TOUR DES SOURCES
Les 14 et 15 août, 159 km de course à pied depuis Spa.
utds.be

Publicité

ULTRA-TRAIL DU MONT BLANC
Du 23 au 29 août, 170 km de course à pied dans les Alpes (Italie, Suisse et France).
Utmbmontblanc.com

BADLANDS
Le 5 septembre, plus de 700 km de course en (gravel)bike et en bikepacking dans la Sierra Nevada (Espagne).
Transiberica.cc/badlands

Publicité