Dans sa biographie sans fard, la chanteuse et actrice Cher raconte le difficile chemin vers la gloire, son enfance misérable et son mariage tumultueux avec Sonny Bono.
Chanteuse, actrice, fashionista, icône gay et déesse de la pop: Cher est sans conteste l’une des plus grandes figures américaines du show-business. Avec 100 millions d’albums vendus, elle reste l’une des chanteuses les plus populaires de tous les temps. Au cours de ses 60 années de carrière, elle a été récompensée par un Oscar, un Grammy, un Emmy et la palme de la "meilleure actrice" au Festival de Cannes. Dans sa récente biographie, Cher, 78 ans, offre une plongée sans filtre dans sa vie mouvementée, sobrement intitulée "The Memoir: Part One".
"Part One", car il faudra patienter jusqu’à l’année prochaine pour lire la seconde partie. Un choix de l’éditeur, HarperCollins, qui estime que Cher a vécu "une vie bien trop riche pour tenir en un seul volume". Et, de notre point de vue, également trop intense. "Ces mémoires m’ont totalement épuisée. Elles m’ont demandé énormément d’énergie", a-t-elle confié au New York Times. Coucher son histoire sur le papier a été un long chemin.
"Honnêtement, je l’ai commencé au moins deux fois, peut-être même trois", avoue Cher au magazine Vogue. "Mais je me disais toujours ‘Tu sais quoi? Si tu veux écrire ce livre, il faut en raconter davantage.’ Écrire ce livre, c’était comme sauter d’une falaise, mais je ne l’ai pas fait seule."
La première version de ses mémoires ne reflétait pas vraiment sa voix. Pour y remédier, Cher a fait appel à trois ghostwriters et un éditeur, qui ont séjourné chez elle pendant une semaine. Finalement, le livre a été achevé en seulement quatre mois, mais la superstar ne l’a pas encore lu entièrement -Cher souffre de dyslexie, ce qui rendait impossible la rédaction de ses mémoires sans aide extérieure- et la première partie du livre compte à elle seule plus de 400 pages.
Mémoire imparfaite
La voix grave et caractéristique de Cher retentit dans chaque phrase. Avec son honnêteté brute, son humour pince-sans-rire et son style fluide, le livre se dévore d’une traite. Dès la première page, une note prévient que ce récit repose sur sa mémoire "parfois imparfaite", mais on est quand même frappé par la précision de ses souvenirs. Des tenues aux conversations, en passant par les restaurants (dont Le Dôme à Hollywood, tenu par le Belge Eddy Kerkhofs), tout est décrit dans les moindres détails. "Je veux dire, mon Dieu; ma famille, c’est inimaginable", peut-on lire dans le premier chapitre, dans lequel Cher revient sur l’histoire de sa famille. Cette phrase résonne tout au long du livre, suscitant un sentiment de surprise et d’incrédulité, tout en éveillant une interrogation: combien de vies Cher a-t-elle réellement vécues?
Échapper à la misère
L’histoire de Cher, née Cheryl Sarkisian, commence en 1946. "La résilience est inscrite dans mon ADN", écrit-elle. L’histoire de sa famille est marquée par des générations de misère. "Pour la plupart des membres de ma famille, chaque jour était une bataille pour survivre. Dans notre famille, la dépendance ne court pas, elle galope."
Autre héritage de la famille de Cher, c’est le talent pour le chant. De son arrière-grand-mère à sa mère, toutes avaient une voix magnifique et rêvaient de percer à Hollywood. À propos de sa mère, Cher écrit: "Pour Jackie Jean, chanter était la seule façon d’échapper à la pauvreté. ‘Quand je chante, je m’envole loin des problèmes et de la douleur’, me confiait ma mère. Ayant trouvé tout au long de ma vie une échappatoire dans la musique, je comprenais parfaitement ce qu’elle voulait dire."
La vie de Jackie Jean, la mère de Cher, aurait pu prendre un tout autre tournant. Cher raconte qu’un jour, sa grand-mère Lydia a emmené sa fille de 19 ans chez un médecin pour une interruption de grossesse, mais, finalement, Jackie Jean décide de garder l’enfant. À ce sujet, Cher écrit: "Je n’ai jamais douté qu’elle ait été sur le point de prendre la décision qui aurait fait que je ne sois jamais née. C’était sa vie, son corps et son choix. Dieu merci, elle a changé d’avis, sinon je ne serais pas ici à écrire ces pages". Ou plutôt, à les faire écrire.
Héroïne et poker
Autre fardeau transmis de génération en génération dans la famille de Cher: "Les femmes de ma famille ont souvent choisi les mauvais hommes et Jackie Jean n’a pas fait exception à la règle." Dans un chapitre poignant consacré à sa petite enfance, Cher évoque la période qu’elle a passée dans un orphelinat, où son père arménien l’avait abandonnée. "Mon père indigne n’est jamais revenu: il s’est volatilisé." Tandis que son père dilapidait son argent dans l’héroïne et le poker, sa mère travaillait sans relâche comme serveuse pour payer les frais d’hébergement de sa fille, à environ 4,50 dollars la semaine.
Avançons à 1979. Cette année-là, Cher entame des démarches pour changer officiellement son prénom de Cherilyn à Cher. "Lorsque j’ai demandé mon acte de naissance, j’ai été stupéfaite de constater que j’avais été nommée Cheryl. J’ai demandé à ma mère si elle connaissait mon vrai nom. Elle m’a répondu: ‘Je n’étais qu’une adolescente et j’ai énormément souffert après l’accouchement. Give me a break.’ Pendant des années, j’ai donc porté un nom qui n’était pas le mien."
Star-system
Plus loin dans le livre, Cher évoque son adolescence, marquée notamment par une brève liaison, à l’âge de 15 ans, avec l’acteur Warren Beatty, de dix ans son aîné. Quelques années plus tard, à 19 ans, elle épouse Sonny Bono. "Le chaos auquel j’ai été confrontée si jeune, c’était tout simplement trop: trop de colère, trop de peur, trop de tout!", confie Cher dans une interview accordée au New York Times.
Le chaos semble être le terme le plus juste pour décrire la vie de Cher. Bien que ses mémoires suivent une structure strictement chronologique, le lecteur est plongé dans un tourbillon de gloire et d’épreuves. En 1965, le duo Sonny & Cher décroche (à la grande surprise de Cher) un succès planétaire avec "I got you babe". Son cercle d’amis se compose alors de stars telles que les Beatles, les Rolling Stones, Francis Ford Coppola, Tina Turner et Dolly Parton, une période qu’elle décrit comme le tournant dans sa vie, qu’elle appelle son "moment ‘je ne connaîtrai jamais plus la faim’", en référence à la scène culte du film "Autant en emporte le vent".
Malgré les succès, la vie de Cher est également marquée par de nombreux et profonds moments sombres, notamment son mariage avec Sonny Bono, un homme violent. Les dernières années de leur relation ont été si oppressantes, tant sur le plan émotionnel que financier, que Cher a même envisagé de se défenestrer.
Las Vegas
Dans le dernier chapitre, "Changes", Cher revient sur son époque à Las Vegas, où elle se produisait deux fois par jour à guichets fermés. Bien qu’elle ait passé sa vie sur scène, elle confie sa lutte constante contre le trac. "Ce que peu de gens savent, c’est à quel point j’ai toujours été nerveuse avant de monter sur scène. C’est une question de fermer les yeux et de sauter." Ces passages dévoilent la facette vulnérable de Cher et donnent au lecteur l’impression de la connaître personnellement, comme si elle offrait un aperçu de son âme.
"The Memoir" est avant tout une histoire d’espoir, de persévérance et de réinvention. Tout au long de sa carrière, Cher n’a cessé de se réinventer encore et encore: de hippie bohème, elle est devenue rockeuse rebelle, puis reine du disco. Le livre s’achève ainsi sur son premier amour, le cinéma. "Mes rêves de Dumbo, mes espoirs de Cendrillon."
À Las Vegas, le réalisateur Francis Ford Coppola lui pose une question qui sera décisive: "Pourquoi ne fais-tu pas de films?" Face à ses doutes, il ajoute: "Le problème, c’est que personne ne te croit capable de le faire tant que tu ne le fais pas. Le pire qui puisse arriver, c’est que tu échoues, mais au moins tu auras essayé". Voilà une belle introduction pour "Cher: The Memoir, Part Two".