Une carte de visite signée de la main de Steve Jobs? 181.000 dollars. Le premier ordinateur Apple-1 de 1976? Au moins 300.000 dollars. Un jeu vidéo "Super Mario Bros" de 1985? 2,5 millions de dollars.
Une carte de visite signée de la main de Steve Jobs? 181.000 dollars. Le premier ordinateur Apple-1 de 1976? Au moins 300.000 dollars. Un jeu vidéo "Super Mario Bros" de 1985? 2,5 millions de dollars.
© Philip Van Bastelaere

De la gameboy à la carte de visite de Steve Jobs | Vintage tech est le nouvel or

Les collectionneurs de vintech acquièrent des artefacts emblématiques de l’histoire de l’informatique et des jeux vidéo. En témoignent Peter Hinssen ou les entrepreneurs de la Silicon Valley.

"Steve Jobs and the Apple Revolution." Ce n’est pas le nom d’un groupe de reprises funk, mais l’intitulé de la dernière vente aux enchères dédiée aux artefacts Apple, organisée par la maison américaine RR Auction. La pièce la plus surprenante? Un iPhone 4 Go de première génération, dans son emballage d’origine. Prix estimé? 75.000 dollars. La pièce phare? Un ordinateur Apple-1 encore fonctionnel, accompagné de son manuel d’origine, estimé à 300.000 euros. Il y a vingt ans, il ne valait même pas un dixième de cette somme.

"C’est le tout premier ordinateur personnel d’Apple, fabriqué à la main en 1976 par Steve Wozniak et commercialisé par Steve Jobs. Moins de 200 exemplaires ont été produits, et ceux qui fonctionnent sont encore plus rares. En posséder un, c’est détenir un lien tangible avec les fondateurs légendaires d’Apple. Sa rareté et son importance dans l’histoire de la tech en font un objet extrêmement convoité", explique Bobby Eaton, directeur des opérations chez RR Auction. Basée à Boston, cette maison de ventes aux enchères est l’une des rares au monde à se spécialiser dans les ordinateurs, téléphones et jeux vintage, un marché désormais appelé "vintech", le vintage de la Tech.

Publicité
Publicité
Les femmes qui redéfinissent l'industrie cosmétique: visionnaires, influenceuses et scientifiques

Paul Allen

Il y a exactement un an, ils faisaient la une des médias du monde entier en vendant une carte de visite signée de la main de Steve Jobs en 1983, adjugée pour 181.000 dollars. "En quatre ans, le marché des ordinateurs et jeux vidéo vintage de Catawiki a doublé. Et l’intérêt ne fera qu’augmenter, y compris chez les femmes", observe Toby Wickwire, spécialiste de la vintech pour la plateforme d’achats en ligne Catawiki. "Autrefois, la vintech était l’apanage de quelques nerds qui connaissaient son histoire, mais aujourd’hui, elle devient mainstream. Même les grandes maisons de vente aux enchères s’y mettent."

"Ma femme me répète sans cesse que j’aurais mieux fait d’acheter des actions Apple plutôt que tout ce bric-à-brac. Elle n’a peut-être pas tort."
Peter Hinssen
Entrepreneur belge

De fait: en 2024, Christie’s a adjugé un Apple-1 pour 945.000 dollars, un exemplaire issu de la collection privée de Paul Allen, cofondateur de Microsoft. Une provenance prestigieuse qui a contribué à faire grimper son prix. Mais ce sont précisément ces pionniers qui détiennent les véritables trésors. "De nombreux objets uniques proviennent directement d’anciens employés d’Apple, qui ont participé aux innovations des premières années", explique Eaton. "Ou encore d’early adopters et de collectionneurs qui ont soigneusement conservé ces pièces au fil des décennies."

Apple Chapel

Peter Hinssen, entrepreneur belge dans la Tech, auteur à succès et conférencier de renommée internationale, est un fidèle client de RR Auction. Depuis des années, il se consacre avec passion à la constitution d’une vaste collection d’artefacts Apple vintage.

Publicité
Publicité

"Ma collection figure parmi les trois plus importantes d’Europe et dans le top dix mondial. La plus grande collection privée, l’Apple Museum, est installée dans un ancien supermarché à Varsovie. De mon côté, j’ai acheté une église à Mater, près d’Audenarde, que j’ai rebaptisée Apple Chapel. Elle abrite des pièces retraçant toute l’histoire d’Apple, de 1976 à aujourd’hui", explique-t-il. "Ordinateurs, prototypes, manuels, logiciels, rapports annuels, matériel marketing: ma passion a pris des proportions démesurées. Tout a commencé en 1981, lorsque j’ai commencé à programmer sur un Apple-2. À partir de 1984, nous avons toujours eu des ordinateurs Apple à la maison, et je n’ai jamais rien jeté. Je collectionne depuis 2000. Mon attachement à la marque ne m’a jamais quitté."

Marie Kondo vous aide à vous déconnecter de votre smartphone. Et le concept est belge!
"Apple Chapel", le sanctuaire privé de Peter Hinssen dédié aux souvenirs d’Apple, abrite une collection impressionnante. Des tout premiers Macs aux prototypes les plus rares, chaque pièce trouve sa place dans une ancienne église à Mater.
"Apple Chapel", le sanctuaire privé de Peter Hinssen dédié aux souvenirs d’Apple, abrite une collection impressionnante. Des tout premiers Macs aux prototypes les plus rares, chaque pièce trouve sa place dans une ancienne église à Mater.
© Luc Roymans Photography

Peter Hinssen n’a pas de curateur pour gérer sa collection, et tient à guider lui-même les visites organisées dans son Apple Chapel. "Il m’est déjà arrivé de voir un petit nuage de fumée s’échapper d’un vieil Apple que je venais fièrement d’allumer devant mes visiteurs. Je sens alors mon estomac se nouer et je me demande: combien d’argent vient encore de partir en volutes? De toute façon, ma femme me répète sans cesse que j’aurais mieux fait d’acheter des actions Apple plutôt que tout ce bric-à-brac. Elle n’a peut-être pas tort."

Publicité

Enterrées

La collection de Hinssen se concentre sur les débuts d’Apple, de 1976 à 1997. Il lui manque un Apple-1. "Ce serait la pièce maîtresse de ma collection", confie-t-il. "Je ne cherche pas l’exhaustivité. J’ai du mal à collectionner des pièces qui ne me plaisent pas. En tant qu’ingénieur, je perçois la beauté d’une carte mère ou d’un prototype. Ouvrez un vieux Mac de 1984, et vous verrez à l’intérieur les signatures de ceux qui l’ont construit. Ça me donne des frissons. Ce qui est fou, c’est que les pièces Apple les plus rares ont été les plus grands flops commerciaux. Mon préféré est l’Apple Lisa, le premier ordinateur doté d’une interface graphique et d’une souris. J’en possède désormais quatre, alors qu’il n’en existe que très peu: les stocks invendus ont été détruits à l’époque. Apple a tout simplement jeté ces machines dans le désert de l’Utah. C’est pourquoi elles sont quasiment introuvables aujourd’hui."

"Le vintech est certainement un meilleur placement qu’un compte-épargne."
Jeroen Wittevrongel
Propriétaire du magasin Games&Co à Ostende

"Une histoire similaire circule dans le monde des jeux vidéo", explique Ben Allossery, spécialiste belge du gaming. "En 1982, lorsque le jeu ‘E.T. The Extra-Terrestrial’ s’est révélé être un fiasco total, l’éditeur Atari a enterré les centaines de milliers de cartouches invendues dans le désert du Nouveau-Mexique. En 2014, une partie de ce stock a été exhumée lors du tournage d’un documentaire sur Atari. Et aujourd’hui, ce jeu est devenu un objet de collection, alors qu’il était considéré comme l’un des pires jeux jamais créés." Wickwire, de chez Catawiki, confirme l’anecdote. "Lorsque ce stock de cartouches exhumées a été mis en vente, j’en ai acheté une. J’ai eu la bonne idée de garder la boîte scellée. Un ami, en revanche, a ouvert la sienne... et une odeur épouvantable s’en est échappée."

Dans le salon de l’entrepreneur de la tech Adrien Dewulf à Los Angeles
Prototypes, matériel marketing, manuels... La collection de Peter Hinssen se classe parmi les trois meilleures d’Europe et figure dans le top 10 mondial.
Prototypes, matériel marketing, manuels... La collection de Peter Hinssen se classe parmi les trois meilleures d’Europe et figure dans le top 10 mondial.
© Luc Roymans Photography

Buzz Aldrin

L’antiquaire Luca Cableri est convaincu que la vintech s’imposera en tant que nouveau domaine de collection. "J’ai déjà enchéri plusieurs fois sur un Apple-1 et des objets ayant appartenu à Steve Jobs, mais les prix sont devenus exorbitants", soupire-t-il. Avec sa galerie Theatrum Mundi à Arezzo, il s’est spécialisé dans la création de cabinets de curiosités contemporains. Dès le XVE siècle, souverains et intellectuels collectionnaient des artefacts et objets d’art qu’ils réunissaient dans un cabinet de curiosités: coquillages, minéraux, instruments de mesure, animaux naturalisés, globes terrestres, objets insolites…

Publicité

Ces cabinets incarnaient à la fois le savoir encyclopédique, la richesse et la sagesse universelle. Mais ils représentaient avant tout de véritables condensés d’histoires: celles des grands voyages de découverte, d’animaux et civilisations exotiques que personne n’avait encore jamais vus, et des avancées technologiques dans le domaine de la navigation. "Si je devais constituer un cabinet de curiosités moderne pour un collectionneur, j’y intégrerais des artefacts qui ont marqué notre époque. Comme le costume original du film Batman de 1989, ou une moonboot portée par Buzz Aldrin lors de l’expédition lunaire Apollo 11. Un Apple-1 y aurait tout à fait sa place."

Gaming au Moyen-Orient

Les artefacts liés à l’histoire de l’informatique, du gaming et des télécommunications ne sont pas si difficiles à dénicher: eBay, Catawiki ou encore les marchés aux puces restent de bonnes sources. Quel est alors le conseil essentiel pour un collectionneur débutant? "Ne surtout pas ouvrir la boîte! Les enchères s’envolent lorsqu’il s’agit d’ordinateurs, téléphones, jeux ou consoles encore scellés dans leur emballage d’origine", explique Jeroen Wittevrongel de Games&Co.

Dans sa boutique d’Ostende, des collectionneurs venus de toute l’Europe affluent pour acheter des jeux rétro, des bornes d’arcade vintage et des flippers rares. "Mais je vends aussi en ligne, où j’ai 15.000 pièces en stock", précise-t-il. Le record? Un exemplaire scellé de "Super Mario Bros." de 1985, adjugé en 2021 pour la somme astronomique de 2 millions de dollars. Un exemplaire scellé de "Super Mario 64" pour Nintendo 64 est quant à lui parti pour 1,5 million en 2021. "La vintech est certainement plus rentable qu’un compte épargne!", lance Wittevrongel.

Games&Co est spécialisé dans les jeux rares, les éditions difficiles à trouver, ainsi que les bornes d’arcade et les flippers. "Depuis la pandémie, les prix ont triplé. Un flipper ‘The Addams Family’ coûtait 1.500 euros à l’époque, mais il atteint maintenant 9.000 euros. Il existe même des groupes d’investissement qui en font un objet de spéculation."

Jeroen Wittevrongel constate que ses jeux les plus chers partent actuellement vers le Moyen-Orient. "Aux Émirats, ils n’ont pas cette culture du jeu vidéo, avec laquelle nous avons grandi en Europe, au Japon et aux États-Unis. Ceux qui disposent de gros budgets cherchent à combler ce retard et achètent des jeux historiques, en commençant par les plus rares. Et quand ils se mettent à collectionner, c’est directement au plus haut niveau."

Découvrez la collection de sacs à main Delvaux exclusifs de Stefanie Weckx
Publicité
Le Commodore 64 est l’ordinateur domestique le plus vendu de tous les temps. Une machine à remonter le temps pour les collectionneurs, un terrain de jeu toujours fonctionnel pour les fanatiques de technologie.
Le Commodore 64 est l’ordinateur domestique le plus vendu de tous les temps. Une machine à remonter le temps pour les collectionneurs, un terrain de jeu toujours fonctionnel pour les fanatiques de technologie.
© Federico Magonio/Shutterstock

Trésors de la Silicon Valley

Jusqu’il y a peu, Thijs Bastiaens détenait l’une des plus grandes collections privées de jeux vidéo en Europe: 12.000 pièces, dont la plupart encore scellées dans leur boîte d’origine. "Toute ma collection a été rachetée par le milliardaire suédois Lars Wingefors, CEO d’Embracer Group, un consortium d’entreprises spécialisées dans les jeux vidéo et le divertissement. Son équipe m’a contacté pour intégrer ma collection à leur musée d’archives, l’Embracer Games Archive."

"Nintendo a ouvert son propre musée à Kyoto. Aux Pays-Bas, un musée du jeu vidéo a également vu le jour à Zoetermeer, avec une collection couvrant presque toutes les consoles", explique Allossery, spécialiste du gaming. "Les musées participent régulièrement à nos enchères", confirme Eaton de chez RR Auction. "Nos acheteurs de memorabilia informatiques vintage sont souvent des entrepreneurs Tech à succès, des cadres de la Silicon Valley et des collectionneurs privés avertis. La plupart sont des baby-boomers disposant de fonds conséquents, et souvent des personnes ayant des souvenirs personnels de la période pionnière du personal computing."

Cave aux Commodore

"Tout ce marché est alimenté par la nostalgie", affirme Yves Kerwyn, cofondateur de Green IT Globe et fervent collectionneur de Commodore. La cave de sa maison a été transformée pour accueillir sa collection. "Je suis né en 1971. Les ordinateurs de ma jeunesse étaient encore compréhensibles, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Je fais partie de ces gens qui, en lisant la trilogie de Bill Gates, ont les larmes aux yeux dès la préface, parce que je me reconnais totalement dans ce qu’il faisait à treize ans. Beaucoup de ceux qui ont travaillé chez Microsoft ont commencé leur carrière chez Commodore. Pour moi, c’était l’inverse: j’ai passé 17 ans chez Microsoft, mais je ne collectionne que des Commodore. Le langage Basic utilisé sur ces machines a été écrit par Bill Gates lui-même. Alors, quand je démarre un de mes Commodore, j’interagis directement avec la programmation de Gates. C’est un morceau d’histoire de l’informatique qui se déroule sous mes yeux."

En termes de valeur, la collection d’Yves Kerwyn n’est pas comparable à celle de Peter Hinssen, qui est d’ailleurs un ami. "On peut déjà trouver un Commodore en état de marche pour 100 à 200 euros. S’il n’est pas jauni par le temps, il peut coûter un peu plus cher", ajoute-t-il. "Comme ils sont abordables, je me permets de les bricoler un peu. Aujourd’hui, on peut faire beaucoup plus avec un Commodore que dans les années 1980. J’ai installé des logiciels Commodore dans ma Tesla et sur mon smartphone. Pendant les vacances de Noël, j’ai acheté des trains miniatures Märklin, que je contrôle maintenant avec mon Commodore. Comme vous pouvez le constater, c’est une vraie obsession."

"Vous voyez ces passionnés qui vont admirer leurs voitures de collection avant d’aller dormir? Moi, je fais pareil avec mes Commodore. Il me faut ce rituel pour m’endormir paisiblement."

Publicité
Publicité
Service Sponsorisée

Lire Plus