Du design de la créatrice Sabine Marcelis disponible à partir de 1 euro chez Ikea
La créatrice néerlandaise Sabine Marcelis lance une collection en collaboration avec Ikea. A-t-elle vendu son âme au diable jaune et bleu?
La créatrice néerlandaise Sabine Marcelis lance une collection en collaboration avec Ikea. A-t-elle vendu son âme au diable jaune et bleu?
Décembre 2015. À Design Miami, nous nous trouvons devant la galerie Victor Hunt et admirons bouche bée quelques néons blancs courbés, coulés dans une résine transparente et colorée. La lumière et les teintes nous rappellent un coucher de soleil. Un peu plus tard, le galeriste belge Alexis Ryngaert nous présente la designer, un talent prometteur. “Bonjour, je suis Sabine Marcelis. Puis-je vous en dire un peu plus sur mon travail?”
Aujourd’hui, plus de sept ans après cette première rencontre, nous sommes à nouveau assis en face de la designer à la chevelure blond platine, désormais immensément populaire. Cette fois-ci à Rotterdam, autour d’une table dressée. Et à l’autre extrémité du spectre du design. Ici, pas d’objets fabriqués à la main en édition limitée et coûtant plusieurs dizaines de milliers d’euros, mais des articles aux prix démocratiques. En l’occurrence, créés pour Ikea. À partir du 1er février, vous pourrez, en effet, acheter un véritable Marcelis pour un euro seulement chez le géant suédois du design.
Avec sa collection Ikea, Marcelis passe des privilégiés au grand public. La collection de vingt pièces comprend cinq lampes, sa spécialité, mais aussi des tapis, des tables basses, une étagère ainsi que différentes pièces pour la table: des verres, des plats de service, une carafe, un plateau, un vase, un décapsuleur et des serviettes. Les lampes rejoindront la collection permanente. Pour le reste, il faudra faire vite: quand il n’y en a plus, c’est terminé!
“Apporter de la chaleur dans les intérieurs, tel était l’objectif de cette collection”, déclare Marcelis (37 ans) tout en me passant son bol en verre en forme de donut contenant une salade de fenouil. “D’abord avec la lumière: la collection comporte cinq lampes. Mais aussi avec la vaisselle, car manger ensemble apporte aussi de la chaleur. Et enfin, avec la couleur, un élément essentiel dans mon travail. Je n’ai délibérément pas ajouté de couleur aux pièces en verre, afin que le contenu reçoive toute l’attention. Pour moi, un vase ne doit pas être plus accrocheur que les fleurs qu’il contient.”
Ceux qui voulaient des objets Ikea en résine transparente repartiront bredouilles. Ils sont, en effet, trop chers et demandent trop de travail, c’est pourquoi Marcelis a principalement travaillé avec du verre et du métal. A-t-elle dû adapter ses exigences de qualité pour cette collab? “J’ai été extrêmement stricte quant aux détails. Même lorsque le sixième prototype s’est avéré une fois de plus insuffisant, je n’ai pas cédé. Heureusement, ils ont fait preuve de compréhension. C’est très agréable de travailler comme ça.”
Lorsqu’Ikea lui a demandé de raccourcir une lampe de cinq millimètres, elle s’est à son tour montrée compréhensive. “Ça permet d’en loger vingt de plus sur une palette.” Et même lorsqu’Ikea a voulu des petits objets supplémentaires, elle s’est montrée conciliante. “Ikea insiste sur le fait que chacun puisse acheter quelque chose, même si ce n’est qu’en dépensant quelques euros. Ils ont suggéré un bougeoir, mais je déteste ça: pour moi, c’est de la décoration sans la moindre fonction. Je ne voulais vraiment pas créer cet objet. Il s’est donc transformé en décapsuleur et en serviettes de table.”
Stricto sensu, il s’agit de sa deuxième collab avec Ikea. En 2021, elle avait déjà créé une applique, qui s’est vendue en un rien de temps. “Quand ils m’avaient appelée pour ça, j’avais hésité, car je ne voulais pas faire une version bon marché de mon travail. De plus, je préfère garder autant que possible la production entre mes mains. Tous mes objets sont fabriqués dans mon studio ou par mon fabricant attitré, situé à proximité. Mais j’ai tout de même accepté. Passer à la production de masse m’est apparu comme un défi. Et j’aime aussi toujours l’idée que mes créations soient désormais accessibles à un plus large public.”
Le prix, la quantité et le processus de production ne sauraient être plus éloignés, mais l’idée qui sous-tend ses objets Ikea n’est guère différente de celle de ses autres réalisations: sa fascination pour la lumière, qui constitue l’épine dorsale de son œuvre. “Quand j’étais jeune, je faisais beaucoup de snowboard. J’avais une paire de lunettes différente pour chaque type de soleil, avec des verres réfléchissants, rouges ou foncés. On voit alors le monde sous un jour littéralement différent. Et jamais je n’oublie la lumière lorsqu’on file au-dessus des nuages. Cette fascination se ressent encore dans mon travail.”
Marcelis ne se qualifie pas de product designer, car la forme n’est pas de la plus grande importance pour elle. Celle-ci est souvent sobre et minimaliste, afin que toute l’attention se porte sur le matériau. C’est ce qui compte vraiment à ses yeux. Il suffit de penser à ses “Candy Cubes”, de simples cubes laiteux et translucides de résine coulée et polie. C’est également ce qui a attiré Alexis Ryngaert. En tant que fondateur de la galerie Victor Hunt, il a été le tout premier à présenter Marcelis à Design Miami en 2015, lorsque nous l’avions, nous aussi, découverte.
“Ses lampes ne sont pas conçues pour la lecture d’un livre. La fonction est secondaire. Elles constituent avant tout une expérience sensorielle. On associe les lampes au néon aux quartiers rouges trash, mais elle les a traduits en quelque chose de glamour, de sexy et d’élégant”, explique le Bruxellois. “Lors de cette première exposition à Miami, j’avais vendu deux des six lampes avant même l’ouverture de la foire. Dont une à la grande architecte Zaha Hadid, qui est décédée quelques mois plus tard. À l’époque déjà, je savais que Sabine avait le potentiel pour devenir un des grands noms du monde du design. Parce qu’elle a tout: le talent, le look et la personnalité.”
Eindhoven est au design ce qu’Anvers est à la mode: si vous choisissez cette orientation, c’est dans “cette” académie que vous devez aller. Sabine Marcelis en est sortie en 2011. La célébrité a suivi quelques années plus tard. “De nombreuses choses sur lesquelles je travaillais depuis des années se sont alors mises en place. C’était vraiment un momentum. D’un coup, le monde entier savait que j’existais”, explique-t-elle.
La présentation à Design Miami de ses lampes “Dawn” chez Victor Hunt lui a valu sa notoriété ainsi qu’un article dans le New York Times. Elle y déclarait également qu’elle travaillait sur un projet pour la maison de mode Celine, qui installait ses “Candy Cubes” dans toutes ses boutiques. Son travail était également présenté à l’exposition “Project Rotterdam” au Musée Boijmans Van Beuningen. Et la nouvelle bijouterie Repossi, pour laquelle elle avait réalisé un mur de verre commandé par le cabinet d’architecture OMA de Rem Koolhaas, ouvrait ses portes sur la place Vendôme à Paris. Tout cela en l’espace de six mois. “Soudain, les commandes ont afflué. Je disais ‘oui’ à tout. Parce que mon travail me rapportait enfin. Jusque-là, mon studio ne faisait que me coûter de l’argent, que je gagnais en faisant du baby-sitting. Heureusement, je me contentais de peu, car je vivais en anti-squat à Rotterdam.”
Dans les années qui ont suivi, sa clientèle s’est élargie au who’s who du monde de la mode, du design, de l’architecture et de l’art: Fendi, Burberry, Isabel Marant, Aesop, Hem, cc-tapis, Established & Sons, OMA, Vitra Design Museum, et tutti quanti. Mais s’il n’en tient qu’à Marcelis, cette liste ne s’allongera pas. Alors qu’au début, elle disait toujours “oui”, elle répond maintenant surtout “non”. “De nombreuses marques me demandent de refaire ce que j’ai réalisé pour une autre marque. Ça ne m’intéresse pas. De plus, j’évite la surenchère de collaborations. Ça finit par se retourner contre vous. C’est pourquoi cette collab avec Ikea sera la dernière avant longtemps. À partir de maintenant, je veux me concentrer sur des projets d’art publics, comme récemment en Arabie saoudite.”
Pour le festival annuel d’art et de lumière Noor Riyadh, à la fin de l’année dernière, Marcelis a réalisé l’installation “Light Horizon”, une succession de onze colonnes lumineuses en verre miroir coloré. “Fin 2023, je réaliserai une installation en Nouvelle-Zélande pour le musée Te Papa. J’ai hâte d’y être! Ça fait six ans que je n’y suis plus allée.”
Bien que Marcelis vive et travaille à Rotterdam depuis plus de dix ans déjà, elle est un peu chez elle en Nouvelle-Zélande, où elle a vécu de ses neuf à ses 23 ans. “Une midlife crisis précoce de mes parents, qui en avaient assez des Pays-Bas et ont opté pour un mode de vie totalement différent à l’autre bout du monde!”, s’exclame-t-elle en riant. Son néerlandais parfait est constamment émaillé de mots anglais. Marcelis parle également anglais avec son mari francophone, leur petit garçon et son personnel.
Il y a quinze ans, en 2008, elle a quitté la Nouvelle-Zélande pour aller étudier à Eindhoven. Dans l’idée de revenir par la suite, mais cela ne s’est jamais produit. “Les projets se succédaient et je m’étais retrouvée avec un studio de sept collaborateurs, un crédit hypothécaire, un mari et un enfant.”
Ce mari est Paul Cournet, un architecte français qui a travaillé pour OMA pendant plus de dix ans et possède maintenant son propre bureau. “Ces derniers mois, nous avons travaillé sur un projet commun: nous avons acheté une parcelle de forêt près de Tessenderlo, où nous espérons faire construire une résidence secondaire cette année. Le projet est prêt, nous n’attendons plus que les permis. Ce sera un endroit où nous pourrons nous échapper brièvement de la ville en famille.”
Pendant la semaine, ils vivent avec leur fils Koa, âgé de deux ans, dans un loft industriel du quartier Coolhaven, à Rotterdam, au bord de l’eau. Ikea est-il présent dans cette papeterie reconvertie? “Absolument. Nos armoires de cuisine viennent de chez Ikea. Mais nous avons fabriqué nos propres façades en acrylique transparent. Nous avons également acheté le meuble de salle de bain chez Ikea. Leurs systèmes sont parfaits. Et nous avons quelques lampes ‘Fado’. J’ai ces lampes de table sphériques blanches depuis l’époque où j’étais étudiante. Elles m’ont même inspirée pour la lampe donut de ma collection Ikea.”
Disponible dans tous les magasins Ikea à partir du 1er février. Prix entre un euro pour trente serviettes en papier et 299 euros pour un tapis.
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