Les bougies artisanales de la Bruxelloise Hélène del Marmol sont des objets de collection que l’on peut comparer à des sculptures vivantes... à tel point que certains hésitent à les allumer.
"Regardez comment une seule bougie peut à la fois défier et définir l’obscurité". "Cette citation d’Anne Frank est certainement, à mes yeux, une des réflexions les plus intelligentes jamais écrites sur une bougie", lance Hélène del Marmol. C’est à l’occasion d’une visite dans son atelier que l’artiste bruxelloise évoque cette citation tragique. Dehors, un léger manteau de neige recouvre le paysage, conférant à l’ancienne annexe de l’abbaye de la Cambre une allure encore plus féérique. "Mon oncle habite ici. Moi, je travaille dans les anciennes écuries avec quatre autres artistes. Vivre ici? Je ne pourrais pas, je suis citadine jusqu’au bout des ongles! Par contre, c’est un bonheur de pouvoir créer dans un lieu chargé d’histoire et dans un calme absolu", confie-t-elle.
De Los Angeles à Singapour
Il fait frais dans son atelier qui occupe le rez-de-chaussée, mais nous avons la lumière des bougies pour nous réchauffer. Et il n’est pas question de rester sans rien faire: Noël est la période la plus chargée de l’année. Au programme, des bougies de petite taille, que l’artiste vend à la boutique éphémère Santa Home à Bruxelles, mais aussi des pièces plus imposantes et des créations uniques, généralement sur commande, car elle a des clients fans et des collectionneurs aux quatre coins du monde, de Bruxelles à Los Angeles et de Miami à Singapour.
Les bougies sont disponibles au pop-up shop Santa Home Christmas
Rue Darwin 54 à Bruxelles
| Ou sur commande via Instagram: @helahela_
Hélène del Marmol collabore avec Zeitgeist, une agence de talents qui a des antennes à Bruxelles, Londres et Sydney.
| www.zeitgeistagency.com |
"En fonction de la dimension, il faut compter entre 200 et 3.000 euros pour une bougie", précise-t-elle. "Beaucoup de commandes me parviennent grâce à Instagram. Certains clients m’envoient une photo de leur hall d’entrée, me demandant de créer une pièce unique: ce sont mes commandes préférées."
Ces derniers temps, Hélène Del Marmol a vu affluer les demandes de collaboration dans le secteur de l’événementiel. Elle a réalisé une installation pour le verrier français Lalique et la marque de vodka Beluga, toutes deux à la demande de l’agence événementielle Balbosté. Au début de l’année, elle a réalisé une imposante installation de bougies pour un défilé Massimo Dutti à La Verrière à Bruxelles, commandée par Profirst.
"Cela me rend dingue quand les gens n’allument pas mes bougies.Elles sont tellement plus jolies quand elles fondent."Hélène Del Marmol
"Les totems que j’ai conçus pour le label Massimo Dutti ont fondu lentement sur la scène. Je me suis inspirée du groupe Memphis, un mouvement de design des années 70 et 80 en Italie, porté par Ettore Sottsass. Comme Sottsass, j’adore jouer avec les formes et les proportions. Quand un de mes totems commence à se consumer, il se crée une tension fascinante entre les formes organiques et géométriques", explique-t-elle. "Pour l’utilisation de la couleur, je m’inspire d’artistes comme Josef Albers et Frank Stella. Le livre ‘Interaction of Colour’ d’Albers, publié en 1963, est ma bible. Il m’arrive d’intégrer une cire de couleur contrastante à l’intérieur d’une bougie, ce qui ne se dévoile qu’au fil de la fonte."
Interaction requise
Les bougies qu’Hélène Del Marmol fabrique à la main sont des pièces de collection, produites en éditions limitées à 30 exemplaires maximum. "La production de masse, très peu pour moi: mes bougies n’ont pas vocation à se vendre comme des petits pains", affirme-t-elle. Bien souvent, ses créations sont même des pièces uniques. C’est précisément pour cette raison que certains acheteurs les perçoivent davantage comme des sculptures que comme des sources d’éclairage d’ambiance.
"Ça me rend dingue que les gens n’osent pas les allumer. Elles deviennent tellement plus belles dès qu’elles commencent à fondre et qu’elles forment de nouvelles textures!", s’exclame-t-elle. "Mes bougies demandent une interaction entre la personne et l’objet. Certains les gardent précieusement dans une armoire, d’autres les allument tous les jours ou juste lors d’occasions spéciales. Ou alors, on n’allume qu’une seule mèche à la fois: chaque bougie a sa façon de se consumer. La manière dont elle fond est en partie aléatoire, même si, avec l’expérience, je parviens à en orienter légèrement le processus."
Le restaurant Batch, à Bruxelles, a parfaitement saisi l’essence des créations de Del Marmol: deux de ses bougies y brûlent en continu. "Elles sont là depuis un an, et nous n’avons dû les remplacer qu’une seule fois", explique-t-elle. "C’est fascinant d’observer leur évolution: chaque jour, elles se transforment."
Sculptures de cire
Il faut préciser que ses créations ne sont pas des bougies comme les autres: ce sont des sculptures en cire. En six ans, elle a maîtrisé son matériau de base (la paraffine et la cire de soja) et est désormais capable de donner vie à presque toutes les formes imaginables, même à grande échelle. "La cire est un matériau extraordinaire, parce qu’elle est infiniment malléable. On peut la modeler comme on veut, mais cela exige énormément de patience, ce qui n’est pas toujours mon point fort", avoue-t-elle.
"Chaque bougie a façon de se consumer. La façon dont elle fond est dûe au hasard."
"Travailler la cire et la paraffine m’a appris à ralentir. Rien que de les faire fondre prend des heures. Et quand je verse la cire dans un moule, il faut attendre jusqu’au lendemain qu’elle soit solidifiée pour découvrir le résultat. Si je suis impatiente et que j’ouvre le moule trop tôt, la bougie est fichue. J’utilise aussi des techniques traditionnelles, comme plonger la mèche à plusieurs reprises dans de la cire chaude, ce qui représente environ septante immersions par bougie. C’est un processus super exigeant, qui demande plusieurs jours de travail pour une seule bougie."
Cependant, le temps est un luxe dont le secteur de l’événementiel ne dispose pas toujours. "En général, les commandes arrivent à la dernière minute", explique Del Marmol. "Pour terminer l’installation pour le verrier de luxe Lalique, je n’ai pratiquement pas dormi pendant deux semaines. C’était une tâche colossale et, à un moment donné, j’étais tellement désespérée que j’ai été jusqu’à invoquer l’aide de Dieu (pour autant qu’il existe) et, quand j’ai finalement réussi à respecter ce délai, je me suis dit qu’il ne me restait plus qu’à devenir catholique!"
Malgré une éducation catholique, l’artiste n’a pas la foi, "si ce n’est la foi en l’humanité et au karma". Par contre, elle reconnaît la puissance symbolique de la bougie. "Quand elles ont une connotation religieuse ou spirituelle, on les appelle des cierges. On les allume lors de rites ou de célébrations particulières, qu’elles soient joyeuses ou empreintes de tristesse. Depuis plus de mille ans, c’est une bougie allumée qui marque les moments clés de la vie. La plupart des bougies ne durent qu’une soirée, c’est pourquoi j’ai voulu créer des formats plus grands qui fondent plus lentement et qui laissent des traces du passage du temps."
Cire perdue
En ce sens, les bougies de la Bruxelloise sont à la croisée de la performance artistique et de la vanité. Ce sont des œuvres d’art évolutives qui, dans leur état transitoire entre solide et liquide, symbolisent le passage du temps et la brièveté de notre passage sur Terre. Ce concept rappelle d’emblée la monumentale installation en cire d’Urs Fischer, exposée dans le hall central de la Bourse de commerce de Paris en 2021. Cette sculpture transformative a brûlé tout au long de la durée de l’exposition, jusqu’à ce qu’elle ait entièrement fond sous le regard des visiteurs, témoins directs de sa disparition.
"Depuis plus de mille ans, c’est une bougie allumée qui marque les moments clés de la vie."
Cette dimension fataliste se retrouve-t-elle dans son travail? "Je considère les bougies comme des objets festifs plutôt que sombres", répond-elle. Même ses totems n’ont rien d’animiste ni d’anthropologique, et encore moins de phallique. "Mes bougies sont une célébration optimiste de la vie, magnifiée par un spectaculaire processus de fonte. Les bougies ne laissent personne indifférent: chacun entretient avec elles un lien personnel ou mémoriel. Je les considère comme des œuvres mystiques dont la forme échappe en partie à mon contrôle."
Hélène Del Marmol collectionne les chandeliers depuis toujours, mais son aventure créative a commencé ailleurs: pendant ses études, elle crée des bijoux. "Les formes que j’imaginais à l’époque se retrouvent aujourd’hui dans mes bougies. La prochaine étape logique serait de créer des objets en métal, réalisés avec la technique de la cire perdue. J’ai des idées pour des ‘bijoux muraux’, comme des chandeliers à fixer sur un mur, par exemple», confie-t-elle. "Tout ce que je crée actuellement est éphémère, alors je me dis que je devrais peut-être concevoir quelque chose qui traverse le temps?"
Cherche-t-elle, en tant qu’artiste, à laisser une trace? "Pas du tout", répond-elle. "Mon seul objectif est d’arriver à ce que les gens apprécient mes créations."