Karl Lagerfeld fait ses débuts dans le design avec ‘Architectures’, sa première collection néoclassique pour Carpenters Workshop. Où a-t-il trouvé son inspiration? "Les Grecs anciens ignoraient le mauvais goût."
De Karl Lagerfeld, nous avons déjà vu passer toutes sortes de choses: collections de mode, d’accessoires, de cosmétiques, des bougies parfumées, des cannettes de cola pimpées, une scénographie de la Biennale des Antiquaires de Paris, de la photographie pour Cassina, une suite présidentielle de l’Hôtel de Crillon... Mais, du mobilier, non, pas jusqu’à présent...
Un défi enfin relevé par le légendaire créateur. Ce n’est pas une surprise: depuis des années, sa devise est “chaque jour un nouveau défi”. Ce bourreau du travail n’arrête jamais de créer au point que, même lors du vernissage de sa première expo de mobilier, ‘Architectures’, chez Carpenters Workshop, il est arrivé en retard, faisant irruption vingt minutes avant la fin. Il était en pleine prise de vues…
Crillon connection
Lagerfeld est un bourreau du travail qui n’arrête jamais. Lors du vernissage de l’expo de sa collection de son mobilier, il est arrivé en retard “pour cause de prise de vues”.
Néoclassique: telle pourrait être la définition de cette première collection, que l’on peut découvrir jusqu’au 22 décembre dans la succursale parisienne de Carpenters Workshop. Le créateur présente miroirs, consoles, tables, tables d’appoint, fontaines en marbre noir et blanc veiné, toutes pièces dont les prix varient de 8.000 à 150.000 euros, le haut du panier étant occupé par les pièces en ‘arabescato fantastico’ blanc, une variété de marbre épuisée depuis plusieurs dizaines d’années."Il n’en reste plus que quelques blocs et les marbriers demandent des prix élevés", justifie Cédric Morisset, directeur de Carpenters Workshop. Cette galerie de design haut de gamme, établie à Paris, Londres, New York et San Francisco, édite des séries limitées de Studio Job, Rick Owens, Nendo, Robert Stadler, Vincenzo De Cotiis,...
Ce n’est pas lui, mais l’architecte libanaise Aline Asmar d’Amman qui a fait le lien entre la galerie et le kaiser de la mode. En 2011, quand le propriétaire saoudien la charge de rénover l’Hôtel de Crillon, elle lui demande de l’aider à concevoir les suites présidentielles. "Les luminaires, qui ressemblent aux sabres laser de ‘Star Wars’, ont été conçus à l’époque. Nous avions fait appel à Carpenters Workshop pour les produire, mais, à terme, nous voulions développer une collection complète avec Karl. C’est devenu ‘Architectures’."
Oui, le mobilier fait écho aux célèbres colonnes de l’Hôtel de Crillon, construit en 1753 et rouvert en 2018, mais les références à l’architecture grecque et romaine classique sont plus évidentes. "J’adore l’expression “mythologie moderne”", déclare Lagerfeld. "Les proportions parfaites des colonnes grecques sont le standard éternel de la beauté, une fois pour toutes. Les Grecs ignoraient le mauvais goût. Rien n’est plus moderne que l’Antiquité."
Renaissance de l’Antiquité
Pour être honnête, nous y voyons également des clins d’œil aux années 30 et 40, à Adolf Loos et Albert Speer. Le bureau créé par Lagerfeld pour Fendi l’aurait-il également inspiré? Ce dernier se trouve dans un bâtiment néoclassique, le Palazzo della Civiltà Italiana, à Rome. Mussolini avait commandé ce “Colisée du XXème siècle” juste avant la Seconde Guerre mondiale.
"Karl ne mentionne pas ces références: il cite plutôt la Villa Kérylos, à Beaulieu-sur-Mer, sur la Côte d’Azur, une demeure incroyable que l’archéologue Théodore Reinach a fait construire en style grec entre 1902 et 1908. La fontaine est directement inspirée de celle de la villa", précise Morisset. Effectivement, Lagerfeld y a souvent fait des prises de vues. Il a même écrit l’avant-propos d’un ouvrage sur la villa, “sa maison préférée”. "Karl a une connaissance encyclopédique de l’histoire de l’architecture et du mobilier. Il a eu une collection de mobilier XVIIIème et des pièces Art déco. Dans son appartement de Monaco il avait tout un intérieur Memphis", conclut le galeriste.
Sans couleurs
Pour Cédric Morisset, la boucle est bouclée. En 2014, pour le magazine AD France, il a collaboré étroitement avec Karl Lagerfeld pour un numéro dont ce dernier était le rédacteur en chef invité. Son appartement spacieux avec vue sur le Louvre avait, à cette occasion, fait la couverture. On y avait découvert son intérieur, aseptisé et clean -inox, miroirs et design épuré de Marc Newson à Martin Szekely. "Sans couleurs, parce que je suis constamment entouré de couleurs", avait-il précisé. Une boutade qui reste d’application pour ‘Architectures’.
La collection est-elle surprenante? Oui. Est-elle innovante? Non. Karl Lagerfeld est loin d’être le seul créateur de mode à s’être aventuré dans le mobilier haut de gamme. Il a été précédé dans cette voie par Alexander Wang et Rick Owens. "En tant que créateur, Karl Lagerfeld est au moins aussi important qu’Yves Saint Laurent, mais ce dernier n’a jamais dessiné de ligne de meubles", témoigne Morisset. "Avec cette collection, Karl a l’ambition de laisser une trace. Il fait un statement intemporel: des meubles sculpturaux qui ne se démodent pas."
Jusqu’au 22 décembre chez Carpenters Workshop à Paris. www.carpentersworkshopgallery.com