Dans sa nouvelle adresse, le chef Kobe Desramaults cuisine sur un piano La Cornue: le modèle Château. L'entreprise centenaire allie minutie, noblesse des matériaux et souci du détail.
Dans sa nouvelle adresse, le chef Kobe Desramaults tenait à cuisiner sur un piano la cornue, et particulièrement le modèle Château. Incarnation de l’art de vivre à la française, cette entreprise centenaire de la région parisienne privilégie l’approche artisanale qu’elle pare d’un savoir-faire de précision, alliant minutie du geste, noblesse des matériaux et souci du détail.
Dans un quartier calme, voisin du musée Matisse et du restaurant étoilé L’Arpège, le showroom de La Cornue joue la carte du charme discret. Labellisée EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant), la maison d’excellence est réputée dans le monde entier pour ses pianos et meubles de cuisine, l’équivalent d’une Maserati ou d’une Rolex. La Cornue a équipé la cuisine de célébrités. Aux États-Unis, son premier marché d’exportation, George Clooney, Brad Pitt, Kylie Minogue et Drake; en France, Daniel Auteuil et Pierre Arditi.
À propos de Kobe Desramaults que le cuisiniste équipe d’un piano de la gamme Château, la plus luxueuse, notre hôte précise une chose: "Nous sommes heureux de faire plaisir à un grand chef, mais notre piano sera plus utilisé pour finaliser les plats et les préparer à l’envoi." Édouard Laclavière, directeur général de l’entreprise depuis quelques mois, précise: "La restauration professionnelle n’est pas notre cible. Nos pianos sont des écrins, robustes et fiables, mais chers pour ce secteur. Nous visons la clientèle privée. Cela dit, de nombreux chefs reconnus, dont Alain Passard ou Jean-François Piège, cuisinent sur des pianos La Cornue, mais davantage dans leur cuisine personnelle".
Un premier four portatif
La Cornue est fondée en 1908 par Albert Dupuy, herboriste parfumeur, inventeur à ses heures perdues. Habitant Courbevoie, il s’inspire des tunnels voûtés du métro parisien inauguré quelques années plus tôt pour créer un four portatif qu’il baptise Rôtisseuse-Pâtissière La Cornue à gaz. La forme particulière du four, le haut en arc de cercle, encourage la circulation de l’air et optimise les cuissons. Le four semi-cylindrique en tôle et en fonte que l’on présente à l’entrée du showroom n’a rien de bien impressionnant. "Il entraîna pourtant une révolution dans les cuisines de l’époque", poursuit le directeur. "Avec ce système voûté, la chaleur circule continuellement de haut en bas, de bas en haut. Cette technique permet d’envelopper les produits de vapeur pendant la cuisson, ce qui empêche les viandes de se dessécher".
Les publicités de l’époque témoignent d’une rôtissoire promettant cuisson parfaite, succulence, saveurs et jolie couleur dorée pour les rôtis comme pour les pâtisseries.
Cette invention fait le succès d’Albert Dupuy, invention qu’il développe une quinzaine d’années plus tard en mettant au point un premier piano de cuisine qui combine un four à voûte et une table de cuisson.
French cook it better
En 2005, La Cornue a été rachetée par l’anglais Aga Rangemaster Group, propriétaire de la marque anglaise AGA et créateur de cuisinières en fonte. Cette entreprise a ses racines dans le Shropshire, berceau de la révolution industrielle, à l’ouest de Birmingham.
En 2015, le groupe américain Middleby Corporation, société américaine cotée en bourse spécialisée dans les équipements de cuisson, a racheté le groupe. La Cornue a réalisé un chiffre d’affaires de 33.000.000 euros en 2023. 90% des ventes sont réalisées sur la scène internationale, dont 70% aux USA.
La ligne Château
Au début des années 1960, son fils, André, positionne La Cornue sur le segment du luxe en créant la gamme Château, fleuron de la maison. À rebours du modernisme de l’époque, le modèle qu’il dessine joue la carte du prestige et du rétro chic. On raconte qu’il se serait inspiré de la cuisine d’un château de la Loire. Ce positionnement est subtil: André Dupuy aurait recherché légèreté et élégance pour aider les jeunes femmes à oublier qu’elles sont en cuisine. Le design n’est toutefois pas une priorité pour l’industriel. Le haut de gamme, à l’époque, c’est d’assurer un fonctionnement impeccable sur la durée. Un piano La Cornue se présente comme un objet luxueux et coûteux, mais indémodable. Une pièce que l’on achète une fois dans sa vie, se mariant autant avec les intérieurs rustiques que modernes, avec 70 ans de garantie.
"La ligne générale du Château n’a guère changé depuis son lancement, mais nous sommes attentifs aux tendances. Ce piano a été challengé par des collaborations, comme celle initiée avec l’architecte et urbaniste Jean-Michel Wilmotte il y a une quinzaine d’années. Ce dernier a mis au point un piano à induction baptisé W, mais il a également relooké les composants traditionnels de notre marque: la barre à torchons, les boutons de commande de cuisson, la dimension du piano et le mythique four voûte."
Depuis lors, d’autres collaborations ont été menées avec des artistes comme Lex Pott ou Ferris Raffaoli. En 2018, pour les 110 ans, le graffeur Cyril Kongo a signé 6 pianos représentant les cinq continents et la France. Prix de la création? 250.000 euros.
Récemment, La Cornue a entrepris un partenariat avec la maison Tournaire, un joaillier parisien réputé, qui a revu les ornements en recourant à des incrustations en bronze.
Un client nous a demandé de concevoir un piano de la même couleur que les yeux de son épouse.Édouard Laclavière
Personnaliser son piano
"Il n’a jamais été question de remettre en cause l’esthétique générale de notre maison", reprend Édouard Laclavière. "Un piano La Cornue se reconnaît au premier coup d’œil. C’est une identité indémodable. De la haute couture! D’autant que chacun d’eux, fabriqué sur commande, est personnalisable presque à l’infini. C’est aussi notre force: plusieurs milliers de possibilités de configurations sont laissées au client en termes de mesures, de couleurs et de finitions. On va très loin dans la personnalisation. Il y a quelques mois, un client tenait à avoir une cuisine de la couleur des yeux de son épouse. Nous avons fait pas mal d’essais dans nos cuissons pour répondre à ses attentes." Ce genre de demande a un prix. La facture d’un Château dépend de la taille et des spécifications réclamées, partant d’un premier prix dans les 20.000 euros, mais qui peut atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros pour les pianos d’exception.
La Cornue a également conçu des modèles plus accessibles, notamment la Flamberge, créé en 1975, une rôtissoire d’appoint qui permet de cuire viandes, volailles et poissons. En 2004, la mise au point de la gamme CornuFé (7.500 euros) lui a permis d’élargir sa clientèle. La gamme entre également dans le segment des cuisines d’appoint, un marché en développement. Deux tailles sont proposées, avec le choix entre trois finitions et quatre couleurs. Si le modèle est moins personnalisable, la gamme reste élitiste. Pas question pour la maison de tirer son image vers le bas. Ce piano est produit en série dans une usine de Birmingham, au Royaume-Uni. Et c’est devenu le modèle le plus vendu: environ 1.500 unités par an alors que le Château, produit à Paris, ne dépasse pas le millier.
Compagnonnage
Comment les choses se passent-elles lors de l’achat d’un Château? "Le contact se fait via l’architecte. Nous nouons un dialogue avec lui et son client pour bien comprendre leurs attentes. S’agit-il d’un simple piano, d’un îlot ou de l’entièreté de la cuisine avec la prise en compte du mobilier? Nous avons du répondant sur ce créneau, vu la collaboration entamée avec la designer française Élise Fouin. Pour les commandes très personnalisées, nos artisans se déplacent pour finaliser les détails en amont de la production. La plupart de nos clients premium profitent d’un voyage de quelques jours à Paris pour visiter l’atelier et suivre la construction de leur piano. Nous assurons évidemment un service après-vente premium. Et nos clients sont tous d’accord sur un point: essayer un de nos pianos, c’est l’adopter."
La construction fonctionne par compagnonnage. Un compagnon artisan prend en mains la commande et supervise sa réalisation, depuis la découpe des feuilles d’acier jusqu’à l’assemblage final. À l’exception de l’émaillage, confié à des spécialistes en Bretagne et en Alsace, toutes les opérations sont faites à l’atelier: du poinçonnage des plaques au pliage, en passant par l’assemblage et les finitions. Chaque four est monté et mis en état à l’atelier, avant d’être démonté et envoyé au client. Le Château terminé est numéroté et marqué au nom de son destinataire avant de prendre sa place dans une cuisine de Miami, de Dubaï ou de Bruxelles, la Belgique s’avérant être un marché porteur pour La Cornue.
La vie de château
Propriété depuis 2015 du groupe américain Middleby, La Cornue a connu un net développement au cours de ces dernières années. Le cuisiniste a profité du renouveau de la cuisine dans l’aménagement intérieur d’une maison. "La cuisine n’est plus ce petit espace à l’écart du séjour où l’on cuisinait en tournant le dos aux convives. Aujourd’hui, c’est un espace de convivialité, de travail et d’échanges au cœur de la maison. Cuisiner est devenu un plaisir. Le client accepte aussi de mettre le budget que cela réclame."
Autre agent de changement, le covid: le confinement a remis en cause les modes de vie et les mentalités. On a davantage investi dans son chez-soi. "Lors du premier lock down, les commandes ont explosé: on a atteint un record historique. Une dizaine de personnes ont acheté une cuisinière à plus de 100.000 euros sans l’avoir vue, juste en se basant sur sa réputation."
En 2023, pour répondre aux attentes d’une clientèle plus jeune, La Cornue a lancé une nouvelle gamme, La Castel 60, en complément de la gamme Château. Une de ses particularités est de proposer un fourneau entièrement électrique avec une table à induction tactile. L’objet est plus petit afin de s’intégrer dans des espaces adaptés – résidences de vacances ou appartements. Pour le reste, la ligne habituelle de la maison est respectée. L’identité de La Cornue est respectée: le four voûte, la barre à torchons, le bouton escargot et la personnalisation. L’ultra haut de gamme, comme au premier jour, avec un prix de départ de l’ordre de 20.000 euros.