© Alexander Popelier

La dernière entreprise d'émail de Belgique reprend du service

L'Émaillerie Belge est sauvée. L'entrepreneur Tanguy Van Quickenborne a repris l'entreprise bruxelloise moribonde, sur laquelle il fait souffler un vent de fraîcheur design. Architectes, créateurs et artistes se succèdent pour redécouvrir l'émail dans des applications innovantes. Muller Van Severen en tête.

"Émailler une surface réfléchissante, c'est possible? Et appliquer une couche d'émail sur de la pierre naturelle? Peut-on choisir une couleur d'émail différente de chaque côté? Combien y a-t-il de couleurs?" Nous nous trouvons, depuis cinq minutes à peine, à l'Émaillerie Belge que l'imagination de Fien Muller et Hannes Van Severen tourne déjà à plein régime. Il est fascinant de voir comment l'émail inspire d'emblée ce duo de designers de renommée internationale. Comme s'ils avaient déjà des projets concrets en tête. Et c'est le cas.

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En effet, ils étaient déjà passés dans l'entreprise molenbeekoise l'année dernière avec une idée concrète, destinée à l'exposition 'Belgium is Design', au Salone del Mobile de Milan. "L'objectif de l'exposition, dont la curatrice était Siegrid Demyttenaere, directrice artistique du Damn Magazine, était de créer des binômes de designers et d'entreprises belges artisanales. Si nous avons choisi l'Émaillerie Belge, c'est parce que nous trouvons que l'émail est un matériau magnifique. Hélas, quand nous avons contacté l'entreprise et exposé notre idée, le CEO de l'époque a refusé: son équipe et lui n'étaient que très peu intéressés par la réalisation de notre projet. Et le prix qu'il avançait était astronomique. Il ne comprenait pas que ce type de collaboration puisse être innovant pour son entreprise, qui était moribonde à l'époque", explique Muller.

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L'information sur cet état de santé de l'entreprise arrive aux oreilles de l'entrepreneur Tanguy Van Quickenborne (37 ans). En février, il se rend à l'Émaillerie Belge, dernier fabricant d'émail de Belgique . Le 17 juin, il reprend les rênes de l'entreprise et réinvite Muller Van Severen à insuffler une vie nouvelle à l'émail. Cette fois-ci, en compagnie de Sabato.

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"J'ai l'intention de faire avec l'Émaillerie Belge la même chose qu'avec l'entreprise Van Den Weghe", explique l'entrepreneur Tanguy Van Quickenborne (à droite). "La dépoussiérer pour qu'une nouvelle génération découvre son produit."
"J'ai l'intention de faire avec l'Émaillerie Belge la même chose qu'avec l'entreprise Van Den Weghe", explique l'entrepreneur Tanguy Van Quickenborne (à droite). "La dépoussiérer pour qu'une nouvelle génération découvre son produit."
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Poésie à 800°C
Commençons par répondre aux questions de Muller Van Severen. Émaillage sur une surface réfléchissante: c'est possible. Sur de la pierre naturelle: en phase de test. Couleur d'émail différente de chaque côté: c'est possible. Nombre de couleurs: infini. "Rares sont les matériaux qui nous inspirent autant que l'émail", avoue Van Severen. "Nous aimons sa brillance qui reflète magnifiquement la lumière. La profondeur des couleurs des épaisses couches d'émail est incroyable. L'émail, c'est bien plus qu'une couche de peinture: il est à la fois solide et vivant."

L'émaillage est un processus artisanal comparable à celui de la glaçure sur céramique. Il est constitué de paillettes de verre broyées avant d'être mélangées à un liant et un pigment. Cette pâte est pulvérisée sur un support métallique et fondue dans un four à 800°C. Le cycle de cuisson requiert 45 minutes par couche de couleur et le nombre de couches est infini. Par contre, la couleur de base est toujours taupe, à laquelle on peut superposer d'innombrables nouvelles couleurs et même des motifs sérigraphiés.

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"Rares sont les matériaux qui nous inspirent autant que l'émail", expliquent Hannes Van Severen et Fien Muller. "Nous aimons cette brillance qui reflète magnifiquement la lumière. La profondeur des couleurs des épaisses couches d'émail est incroyable."
"Rares sont les matériaux qui nous inspirent autant que l'émail", expliquent Hannes Van Severen et Fien Muller. "Nous aimons cette brillance qui reflète magnifiquement la lumière. La profondeur des couleurs des épaisses couches d'émail est incroyable."
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L'émail n'est pas un produit nouveau: il était déjà connu dans l'antiquité. Les Égyptiens et les Romains l'utilisaient pour décorer des objets d'art. Ce n'est que vers 1920 qu'une véritable industrie de l'émail a vu le jour: certains objets usuels sont alors systématiquement émaillés pour des raisons fonctionnelles car cette matière est ignifuge, lavable, dure, résistante, durable et inaltérable.

Les collectionneurs associent encore l'Émaillerie Belge aux plaques publicitaires d'époque pour lesquelles ils sont prêts à dépenser des fortunes. Fondée en 1921, l'entreprise emploie 130 ouvriers à son apogée, dans l'entre-deux-guerres. Aujourd'hui, il n'en reste plus que cinq. "Autrefois, pratiquement tout était émaillé: casseroles, baignoires, réfrigérateurs, lessiveuses, poêles, bouilloires, passoires, seaux, pots de fleurs, mais aussi les plaques de rue et du métro parisien", explique Tanguy Van Quickenborne. "Avec l'avènement de l'industrie de la peinture en poudre, nous avons perdu ce marché. Aujourd'hui, nous devons trouver d'autres débouchés."

L'émail, c'est bien plus qu'une couche de peinture: il est à la fois solide et vivant.
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600.000 euros d'investissement
Revitaliser une entreprise oubliée s'avère plus difficile que prévu, même si c'est un patrimoine national. Ces dernières années, il ne s'était pas passé grand-chose en termes d'acquisition ou de suivi des clients et puis, tout s'est arrêté quand le propriétaire précédent a discrètement mis l'entreprise en vente après avoir cédé le terrain à un promoteur immobilier. "Nous devons être partis dans l'année. Ce n'est pas une surprise", confie Tanguy Van Quickenborne. "Je suis à la recherche d'un nouveau site pour y installer une nouvelle usine, entre 1.500 et 5.000 m², de préférence en région bruxelloise car je trouve que c'est un produit typiquement belge. Cela représente un investissement de 600.000 à 700.000 euros. Nous devons donc fameusement booster nos activités. Il nous faut aussi de quoi financer les expériences façon Muller Van Severen. Sinon, c'est game over."

La première tâche de Vincent Vanden Borre, responsable de la gestion quotidienne, c'est de secouer les anciens clients, de rechercher de nouvelles missions et de se distinguer par un profil novateur. "Je tiens à travailler avec des architectes, des designers et des artistes qui imaginent de nouvelles applications pour l'émail", explique Van Quickenborne. "Il faut recréer un engouement pour ce magnifique produit un peu oublié et, bonne nouvelle, ça commence tout doucement à être le cas: des architectes tels que Glenn Sestig, Wim Goes et Sophie Dries sont déjà venus ici. L'artiste Michaël Borremans m'a demandé si je pouvais émailler une sculpture en bronze. Des designers comme Damian O'Sullivan, Maarten De Ceulaer et Quentin Decoster sont aussi déjà passés. J'attends le passage des chefs Sergio Herman, Peter Goossens et les frères Boxy. Si certains n'ont pas réagi, d'autres ont été inspirés. Je ne force personne à travailler avec l'émail, mais nous sommes ouverts aux idées nouvelles."

L'émail est constitué de paillettes de verre broyées et mélangées avec un liant et un pigment. Cette pâte est ensuite pulvérisée sur des supports métalliques, puis fondue dans un four porté à 800°C.
L'émail est constitué de paillettes de verre broyées et mélangées avec un liant et un pigment. Cette pâte est ensuite pulvérisée sur des supports métalliques, puis fondue dans un four porté à 800°C.
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Instigateur
Rien d'étonnant à ce que ce soit Tanguy Van Quickenborne qui dirige l'Émaillerie Belge. Cet entrepreneur, connu pour être un amateur d'art et de design passionné, est doté d'un excellent flair pour identifier les produits de qualité et les opportunités commerciales. "Je n'étais pas en quête d'une reprise, mais je garde les yeux ouverts!", s'amuse-t-il. "L'acquisition de l'Émaillerie Belge, comme celle de la société de pierre naturelle Van Den Weghe à Zulte, est le fruit du hasard. J'étais fraîchement diplômé et je voulais absolument avoir ma propre affaire. Mon père connaissait bien le propriétaire, Philippe Van Den Weghe, et il savait que son entreprise était à reprendre. J'étais jeune et naïf, et je l'ai achetée, mais j'aurais tout aussi bien pu faire quelque chose de complètement différent. C'est en tant qu'instigateur que je suis le meilleur: j'aime (re)lancer les entreprises et, dès qu'elles tournent bien, il me faut un nouveau défi à relever."

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En cinq ans, Tanguy Van Quickenborne a donné une envergure internationale à son entreprise de pierre naturelle. Les missions traditionnelles représentent encore la majeure partie de son chiffre d'affaires, mais l'entreprise travaille de plus en plus avec des architectes et des designers pour des projets haut de gamme, tels que Joseph Dirand, Pierre Yovanovitch ou Glenn Sestig, mais aussi Hannes van Severen et Fien Muller, lors du lancement de leur première collection en tant que duo, sur initiative de la galerie Valerie Traan. En effet, l'entrepreneur leur avait fourni de la pierre naturelle à bon prix pour qu'ils ne soient pas entravés par des questions financières.

"L'une de leurs premières réalisations a été un buffet rectangulaire dont ils voulaient réaliser chaque paroi dans un type de marbre différent. Chez Van Den Weghe, nos collaborateurs étaient sceptiques, mais quand le meuble et ses créateurs sont passés à la télé, ils ont compris l'intérêt de l'innovation. Quand on rêve avec des créateurs, ça donne des ailes à une entreprise. C'est aussi ce que j'ai l'intention de le faire avec l'Émaillerie Belge: la réinventer pour qu'une nouvelle génération découvre ce produit."
Rendez-vous en avril prochain au Salone del Mobile à Milan. www.emailleriebelge.com

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