Avec Maison Rocher, Jérémy Rocher ouvre les portes de son appartement au cœur du Marais, à Paris, pour des dîners, expositions et visites d’art, avec même la possibilité d’y passer la nuit.
Il porte un patronyme célèbre et, pourtant, Jérémy Rocher (40 ans) n’a jamais travaillé dans le secteur de la cosmétique. Depuis sa naissance, il est, bien sûr, actionnaire d’Yves Rocher, l’entreprise que son grand-père a fondée en 1959 à La Gacilly, en Bretagne.
Le siège social, la fondation, le jardin botanique et le restaurant Le Végétarium s’y trouvent toujours, mais, contrairement à son grand-père et à son oncle – tous deux également maires de La Gacilly –, Jérémy Rocher n’est pas resté dans la région. "J’ai grandi dans une ferme près d’Aix-en-Provence. Jusqu’à récemment, je faisais la navette entre Hong Kong et Milan. Après une brève escale au Luxembourg, je me suis installé à Paris avec mon épouse australienne, la designer Kym Ellery. J’ai rénové cet appartement à l’époque où j’étais célibataire. Il a été conçu pour être un pied-à-terre et une anti-galerie: un lieu accueillant pour exposer de l’art et du design. Mais depuis que nous avons deux jeunes enfants et un chien, je réalise que ce style de vie est assez complexe."
Ainsi, au cours de ces 15 dernières années, Jérémy Rocher a déménagé environ 13 fois, confie-t-il. S’il mène une vie plus sédentaire aujourd’hui, cela n’a rien à voir avec sa situation de jeune père. "Je n’arrive pas à me projeter dans un seul lieu", admet-il. "Je ne nous vois pas prendre définitivement racine dans cet appartement. Je souhaite vivre en dehors de Paris, dans un endroit où il y a plus de nature pour nos enfants, comme celui dans lequel Kym et moi avons grandi. Nous envisageons de nous installer dans une des îles Baléares."
Palazzo dans le Marais
Résider dans cet appartement minimaliste de 3.00m² n’a rien d’une corvée. Situé au cœur du Marais, à deux pas du concept-store The Broken Arm, la demeure du couple au premier étage est extraordinaire, même selon les critères parisiens. On oublie les volumes haussmanniens, les moulures classiques et la grandeur à la française: avec ses sols en terrazzo, ses plafonds voûtés et ses marbres expressifs, comme ceux que l’on trouve chez l’artiste d’intérieur Vincenzo de Cotiis, l’appartement évoque plutôt un palais italien contemporain.
"Les espaces de vie sont d’une grande polyvalence", affirme Rocher. "Actuellement, une longue table pour douze convives y trône, mais nous pouvons facilement y organiser des dîners pour cinquante invités."
La marque de design danoise Frama y a déjà organisé des dîners, comme Tiffany & Co. D’autres maisons de luxe telles que Berluti et Hermès ont choisi cet espace pour y photographier leurs nouvelles collections. "Nous recevons régulièrement des demandes pour des séances de prises de vues ou des lancements de produits. Par contre, je ne donne pas suite à toutes les demandes, même si elles sont financièrement intéressantes. Chaque projet que j’accueille doit impérativement témoigner d’une véritable appréciation pour l’art ou le design. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas l’endroit approprié. Ce n’est pas un espace juste pour faire la fête."
Jérémy Rocher préfère collaborer avec des galeries d’art et de design de premier plan pour organiser des expositions présentées au sein de Maison Rocher. "Lors de la foire Art Basel Paris, par exemple, j’ai collaboré avec la commissaire Ashlee Harrison et Étienne Macret pour monter ici une grande exposition présentant des œuvres d’Andy Warhol, Franz West, Studio Job, Man Ray, Raymond Pettibon, Rick Owens et Carlo Bugatti. Cela a été rendu possible grâce à des partenariats avec des galeries renommées telles que David Zwirner et Carpenters Workshop Gallery, pour n’en citer que quelques-unes. Maison Rocher n’est pas une galerie: je ne suis pas ouvert au grand public, je n’ai pas de vitrine, je ne représente pas d’artistes et je n’expose pas dans les foires d’art."
L’art à domicile
En tant que collectionneur et investisseur de la première heure dans la plateforme artistique Artsy, Jérémy Rocher dispose d’un vaste réseau dans le monde de l’art. "Bon nombre de galeries sont situées à deux pas d’ici. Elles sont demandeuses de ‘private viewings’ dans notre espace, car, que ce soit dans les foires d’art ou les galeries, en tant que collectionneur, on n’a jamais le temps de profiter d’une œuvre en toute quiétude. Ces événements sont souvent accablants, l’expérience émotionnelle et artistique laisse à désirer. Ici, les collectionneurs ont l’opportunité de passer deux jours en tête-à-tête avec les œuvres d’art qu’ils envisagent d’acquérir. Cela leur offre une expérience bien plus personnelle, une véritable exposition privée avec, désormais, la possibilité de passer la nuit ici. En effet, j’ouvrirai bientôt cet espace aux réservations en tant que résidence. J’ai hâte d’accueillir des invités pour qu’ils vivent l’expérience de la Maison Rocher comme si c’était leur propre maison."
Maison Rocher s’inscrit parfaitement dans la "domestication" du marché de l’art: les galeries de design et les marchands d’art recherchent des façons innovantes de présenter leurs objets d’art en dehors des foires traditionnelles ou des galeries "white cube". Des résidences privées spectaculaires servent de plus en plus souvent de cadre à des expositions temporaires, parfois précédées d’un dîner, où les clients triés sur le volet sont conviés. C’est ainsi que procède l’agence parisienne Genius Loci, qui, au cours de ces dernières années, a organisé des expositions dans des joyaux architecturaux privés conçus par Auguste Perret, Giò Ponti, Ricardo Bofill et Antti Lovag.
En Belgique également, cette pratique gagne du terrain. Des galeries comme Ronny Van de Velde, Gokelaere & Robinson ou Barbé ont déjà mis à disposition l’espace "Zwart Huis" à Knokke pour des expositions le temps d’un été. Stéphanie Frederickx a récemment investi la maison moderniste Chabot à Malines. Et le duo du design Muller Van Severen a exposé dans la prestigieuse Villa Cavrois à Croix, dans le nord de la France, conçue par Robert Mallet-Stevens.
Force brute
Bien que l’appartement de Jérémy Rocher soit adaptable et permette ainsi d’exposer toutes sortes de meubles, de design de collection et d’art, deux œuvres s’y trouvent et ne peuvent pas aisément être déplacées: il s’agit d’une boîte lumineuse hypnotisante de James Turrell et d’une sculpture de plafond en cire de Juliette Minchin. "Cet espace est idéal pour les sculptures ou les installations tridimensionnelles, mais j’aurais aimé avoir plus d’espaces sur les murs pour présenter des peintures ou des photographies. Il en sera autrement dans mon prochain projet."
Le Parisien a déjà discrètement entamé la rénovation de sa prochaine "Maison Rocher": un ancien hangar industriel dans le 8ᵉ arrondissement. "L’espace est vaste. Les plafonds culminent à sept mètres de hauteur, ce qui est parfait pour des œuvres monumentales. Ce sera un lieu avec des accents brutalistes, beaucoup plus brut de décoffrage que les douces courbes et les formes sinueuses que l’architecte Simon Pesin a conçues ici, dans le Marais. Je travaille avec l’architecte Clement Lesnoff-Rocard pour créer un lieu original, d’envergure, et avec le souci du détail. Chaque élément sera spécialement conçu pour l’espace: les poignées de porte, par exemple – un objet avec lequel chaque visiteur interagit en entrant -, seront conçues par un artiste. Le bâtiment même sera une œuvre d’art."
Enfin, ce nouveau projet devrait permettre à Rocher de s’exprimer avec davantage d’audace artistique. Et cela n’est guère surprenant, compte tenu de son parcours. "Ma famille a deux facettes: commerciale et artistique. Mon père est un artiste, comme mes deux sœurs. Noémie a travaillé pour l’artiste britannique Damien Hirst et elle a récemment exposé chez Kamel Mennour à Paris. Quant à moi, l’art est ma passion depuis toujours. Quand j’étais jeune, j’ai exploré divers médias créatifs. Aujourd’hui, je me consacre plutôt à la collaboration avec des artistes et des designers dans le but de les soutenir dans leurs nouvelles créations. J’exprimerai ma vision créative en réalisant des projets architecturaux où je pourrai exposer leurs œuvres."
Et que ce soit depuis Paris ou les îles Baléares, l’avenir nous le dira -à lire ici, le moment venu.